Le Devoir

Coup de cafard, la chronique de Michel David

- MICHEL DAVID

Malgré les mauvaises nouvelles et quelques sautes d’humeur, le premier ministre Legault a généraleme­nt réussi à afficher une confiance assez rassurante depuis le début de la pandémie. La nature humaine étant ce qu’elle est, il y a cependant des limites à « ramer dans la gravelle » sans que le moral en soit affecté et M. Legault n’a pas l’impassibil­ité du joueur de poker. Son visage trahit facilement ses états d’âme. Cette semaine, il a visiblemen­t eu un coup de cafard.

L’entendre déclarer, l’air déconfit, que le 24 juin ne marquerait pas le retour à une certaine normalité, mais qu’on pourrait simplement « commencer à penser à espérer », avait de quoi déprimer même les plus optimistes.

Quand il est devenu premier ministre, les attentes à son endroit n’étaient pas très élevées. Plusieurs craignaien­t même un coup de barre à droite et une nouvelle tentative de « réingénier­ie » de l’État qui ne sont pas venus. Bon nombre de ceux qui ont voté pour lui le

1er octobre 2018 voulaient surtout chasser les libéraux, mais il a agréableme­nt surpris.

Un des reproches qu’on faisait à son prédécesse­ur, Philippe Couillard, était un manque apparent d’empathie. Il semblait complèteme­nt indifféren­t aux difficulté­s de la vie quotidienn­e du commun des mortels. Durant la campagne électorale, sa prétention qu’une famille d’un adulte et deux adolescent­s pouvait se nourrir avec 75 $ par semaine lui a causé un tort considérab­le.

Tout millionnai­re qu’il soit, M. Legault n’a jamais eu l’air de regarder les Québécois de haut et ils aiment généraleme­nt que leur premier ministre ressemble à monsieur Tout-le-Monde, avec ses qualités et ses défauts.

Il y a pourtant une faiblesse à laquelle il n’a pas droit : le découragem­ent. S’il donne l’impression de baisser les bras, toute la population va lâcher prise. Dans la situation actuelle, ce serait la catastroph­e.

Il est vrai qu’en début de semaine, il y avait de quoi broyer du noir. Le Vieux-Montréal avait été envahi par des centaines d’opposants aux mesures sanitaires, auxquels s’étaient mêlés les inévitable­s casseurs. Un peu partout sur la planète, y compris en Ontario, les variants semblaient sur le point de gagner la course contre les vaccins et les experts prédisaien­t que c’était simplement une question de temps avant que le Québec perde à son tour le contrôle de la situation.

Pour couronner le tout, le gouverneme­nt s’est emmêlé les pinceaux sur la question du port du masque à l’extérieur, forçant le premier ministre à une piteuse volteface qui a contribué à semer le doute sur le bien-fondé de mesures souvent décrétées dans une précipitat­ion déroutante.

Contrairem­ent à d’autres, M. Legault est capable de reconnaîtr­e publiqueme­nt une erreur, ce que la population apprécie, mais il ne faut quand même pas abuser de la contrition. Même si elle peut parfois sembler mince, il y a une différence entre s’adapter à une situation changeante et se contredire.

Il est vrai que les explicatio­ns du Dr Horacio Arruda laissent de plus en plus dubitatif. On peut comprendre la perplexité de l’associatio­n Golf Québec en l’entendant déclarer : « Quand vous jouez au golf, vous n’allez pas nécessaire­ment vous tenir à deux mètres. » C’est à se demander s’il est toujours l’homme de la situation ou s’il comprend bien le rôle qui devrait être le sien.

Dans tous les parlements, les malheurs du gouverneme­nt font le bonheur de l’opposition. Encore faut-il bien choisir son angle d’attaque. Sans aller jusqu’à parler d’ésotérisme, comme l’a fait le premier ministre, l’Assemblée nationale a sans doute mieux à faire que de débattre de la nécessité de reconduire automatiqu­ement un état d’urgence qui constitue une évidence aux yeux de tous, comme le réclame la cheffe du PLQ, Dominique Anglade. L’esprit des règles démocratiq­ues peut très bien s’accommoder du bon sens.

En revanche, Pascal Bérubé a raison de demander à M. Legault de faire précéder ses conférence­s de presse d’un communiqué qui exposerait clairement l’ensemble des mesures que le gouverneme­nt entend mettre en vigueur. Cela permettrai­t d’éviter les annonces sélectives et de fournir à tout le monde un aide-mémoire auquel se référer. Le premier ministre se pique de transparen­ce, mais il est manifeste que ses explicatio­ns ne sont pas toujours aussi claires et complètes qu’elles devraient l’être.

Cela dit, M. Legault, qui invite continuell­ement les Québécois à se consoler en se comparant avec ce qui se passe ailleurs, pourrait suivre son propre conseil. Certes, la partie est loin d’être gagnée, mais Doug Ford, qui ne sait plus à quel saint se vouer, et Jason Kenney, qui doit faire face à une véritable révolte au sein de son caucus, ont bien plus de raisons de déprimer. Qui sait, quelques victoires d’affilée du Canadien contribuer­aient peut-être à remonter le moral de ce grand amateur de hockey qu’est le premier ministre ?

Contrairem­ent à d’autres, M. Legault est capable de reconnaîtr­e publiqueme­nt une erreur, ce que la population apprécie, mais il ne faut quand même pas abuser de la contrition. Même si elle peut parfois sembler mince, il y a une différence entre s’adapter à une situation changeante et se contredire.

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