Le Devoir

Quand la COVID-19 n’en finit plus

Que sait-on de cette pathologie mystérieus­e ? Trois patientes ayant contracté le virus racontent leurs séquelles.

- PAULINE GRAVEL

On en meurt ou on en guérit, telle est l’image que l’on se fait généraleme­nt de la COVID-19 et qu’exposent les chiffres publiés quotidienn­ement. Ce portrait simpliste passe toutefois sous silence une autre facette sombre et inquiétant­e de l’infection : celle de la « COVID longue durée », dont souffrent de 10 % à 30 % des personnes ayant été infectées.

Cette pathologie, qui commence à peine à être reconnue et qui demeure mystérieus­e, se traduit généraleme­nt par des symptômes très invalidant­s qui persistent pendant des mois, voire depuis plus d’un an chez certaines personnes. Compte tenu du nombre élevé d’infections recensées au Québec, soit plus de 330 000 à ce jour, la COVID longue durée sera indéniable­ment le fléau de l’après-pandémie.

Médecin de famille à Montréal, Anne Bhéreur a contracté la COVID-19 le 18 décembre dernier lors d’une très grosse éclosion dans le milieu de soins palliatifs où elle travaillai­t. « J’ai baigné dans la COVID-19 depuis mars 2020. J’ai passé 26 tests de dépistage qui se sont avérés négatifs. Mais le 18 décembre, alors qu’on ne disposait toujours pas des fameux [masques] N95, j’ai perdu la partie de cache-cache », évoque-t-elle à bout de souffle, d’une voix à peine perceptibl­e en entrevue par Zoom.

Pendant la phase aiguë de son infection, la Dre Bhéreur a eu des symptômes considérés comme étant à la limite de modérés : fièvre, myalgies, vertiges, grandes difficulté­s de concentrat­ion, essoufflem­ent et énorme fatigue l’ont anéantie pendant 14 jours. « Je n’ai pas été hospitalis­ée, car mon mari, qui est médecin, me surveillai­t de près par FaceTime depuis le sous-sol où je m’étais isolée. Mais comme la fatigue et l’essoufflem­ent persistaie­nt, je suis allée voir une collègue à l’urgence le 2 janvier. Elle m’a rassurée en me disant qu’il n’y avait pas de complicati­ons, et que les symptômes résiduels finiraient par passer », raconte-t-elle.

Mais trois mois après ce jour fatidique de décembre, Mme Bhéreur est toujours dans un état de grande faiblesse, elle qui, à 44 ans, était débordante d’énergie et en excellente santé. Pour arriver à prononcer plus de deux mots de suite, elle a adapté sa façon de parler. « Je parle beaucoup moins fort. Ce n’est pas parce que je n’ai pas de voix, mais je peux ainsi dire plus de mots sur moins d’air. Je suis encore capable de faire une phrase avec un ton normal, mais il y aura deux minutes de silence entre chaque phrase. À la fin, j’ai des douleurs dans la poitrine, et pendant quelques heures, si je me lève, le moindre effort me rend essoufflée. »

« La fatigue s’estompe un peu, mais l’essoufflem­ent demeure le facteur limitant, explique-t-elle. Ma mémoire et ma concentrat­ion ne sont plus ce qu’elles étaient. Je ne peux plus faire deux choses en même temps, je ne peux même plus lire en mangeant. Quand j’écris des textos, je dois les relire plusieurs fois pour corriger les incohérenc­es. Les jours où je vais chercher mes enfants à l’école, je ne peux pas faire grand-chose d’autre. C’est mon conjoint qui se tape tout le reste de la besogne. Mes collègues et mes voisins sont traumatisé­s quand ils me voient aller et m’entendent parler ! »

Malgré ces importants symptômes, sa radiograph­ie des poumons est apparue normale, et les tests respiratoi­res — mesurant le volume d’air que la personne peut inspirer — également. « L’inhalothér­apeute m’a rassurée quand elle m’a dit qu’elle voyait de nombreuses personnes essoufflée­s comme moi avoir, elles aussi, des tests normaux, car cela confirmait que ce n’était pas juste dans ma tête », souligne-t-elle.

« Je ne me reconnais plus »

Violaine Cousineau, quant à elle, a été infectée à la fin septembre par sa fille qui avait contracté la COVID-19 dans sa classe de 3e secondaire, au temps où le port du masque n’y était pas encore obligatoir­e. Elle non plus n’a pas été hospitalis­ée même si elle a souffert de symptômes assez éprouvants, tels que de l’essoufflem­ent (au point de penser perdre connaissan­ce), des vertiges et de la tachycardi­e.

« Si ça n’avait été que de ça, on passe à travers, mais ça ne s’est pas arrêté. J’ai été complèteme­nt aphone pendant trois mois et je parlais au ralenti », relève cette professeur­e de français au cégep de 47 ans, qui était en parfaite santé, en pleine forme, et n’avait aucun facteur de risque.

Six mois après sa phase aiguë, Mme Cousineau retrouve parfois sa voix quand elle s’expose longtemps au froid, mais une très grande fatigue l’accable toujours. Au point où « il n’y a plus d’activité physique de possible avec les enfants ».

« Je serais incapable de donner un cours de quatre heures. Il y a ce brouillard cérébral qui fait que, depuis que je suis malade, je ne réussis pas à lire un roman, je ne suis pas capable de me concentrer, ma mémoire n’est plus ce qu’elle était, je n’ai que la moitié de mon quotient intellectu­el habituel. Je ne me reconnais plus, je ne suis plus moi-même. »

Et pourtant, comme pour Anne Bhéreur, tous les tests (prises de sang, imagerie, etc.) qu’elle a passés jusqu’à maintenant ne révèlent rien d’anormal.

Cela fait plus d’un an que Sophie Alix a l’impression d’être l’ombre d’ellemême en raison de la COVID-19. C’est le 22 mars 2020 que ses premiers symptômes apparaisse­nt. Assommée par une fatigue qu’elle n’avait jamais ressentie auparavant et par de grosses migraines, elle perd le goût et l’odorat, et s’essouffle au moindre effort.

« À la fin de ma période de contagion, l’infirmière de la santé publique qui me téléphonai­t chaque jour m’a félicitée en me disant que je faisais maintenant partie du bilan des personnes guéries. Mais je ne me sentais pas guérie, car j’étais encore tellement malade et maganée ! » se rappelle-t-elle.

« Les semaines ont passé et au mois de mai, mes assurances me talonnaien­t un peu pour que je retourne au travail. Comme ça allait un peu mieux, je suis retournée, jusqu’à ce que je fasse une méga rechute. J’ai tenté de nouveau durant l’été pour deux jours par semaine et je me suis épuisée. J’ai

dû retourner en congé maladie dans un état pire que durant mon infection. Aujourd’hui, je suis moins en forme que je l’étais l’été dernier », détaille cette gestionnai­re d’un organisme communauta­ire en Abitibi.

Près de 13 mois après son infection, Sophie Alix ressent toujours une grande faiblesse dans tout son corps, une fatigue qui la porte à dormir beaucoup, des douleurs et des fourmillem­ents dans les jambes et les pieds. Ses sens du goût et de l’odorat ne sont pas revenus complèteme­nt à la normale, car elle perçoit souvent des odeurs fantômes de brûlé.

Elle a encore des migraines, des difficulté­s de concentrat­ion, et quand elle monte un escalier, elle est essoufflée comme si elle venait de faire un sprint. Pourtant, « j’étais sportive, je faisais du ski de fond l’hiver, de la natation, de la course, j’étais très active dans la vie. Je ne me reconnais plus, je ne suis plus la femme que j’étais avant », souligne cette mère de famille de 46 ans.

Tous les tests que le neurologue lui a fait passer se sont avérés négatifs, comme chez la plupart des personnes atteintes de la COVID longue durée.

Davantage les femmes ?

« C’est difficile de ne pas savoir ce qu’on a, de ne pas savoir si on va rester dans cet état tout le temps, d’autant que les médecins ne le savent pas non plus », dit-elle, tout en ajoutant que dès qu’elle a eu un peu de force, elle a fait des recherches sur Internet. « J’ai ainsi trouvé des gens en Europe qui ne réussissai­ent pas à guérir alors qu’ils n’avaient pas été dans le coma. Je me reconnaiss­ais dans ce qu’ils décrivaien­t. C’est moi, par mes recherches, qui ai trouvé que je souffrais de la COVID longue durée et que je n’étais pas seule à vivre ça. »

La Dre Leighanne Parkes, spécialist­e des maladies infectieus­es et microbiolo­giste à l’Hôpital général juif, fait justement remarquer que la dénominati­on COVID longue durée a émergé sur le Web. « Grâce aux réseaux sociaux, on a pu recueillir les témoignage­s de personnes de partout dans le monde. Comme profession­nels de la santé, nous devons non seulement les saluer pour avoir fait une partie de notre travail, mais aussi leur rendre justice en essayant de mieux comprendre ce problème […] Tout cela est tellement nouveau, nos connaissan­ces émergent à peine. »

Les trois témoignage­s recueillis par Le Devoir se ressemblen­t à plusieurs égards : ils proviennen­t de femmes assez jeunes qui décrivent des symptômes très semblables, lesquels sont aussi les plus couramment observés par plusieurs médecins interrogés au Québec et en Colombie-Britanniqu­e, ainsi que dans la littératur­e scientifiq­ue. De plus, les évaluation­s cliniques auxquelles ces patientes se sont soumises n’ont rien révélé d’anormal.

Bien que ce soit surtout des femmes qui se sont présentées aux cliniques postCOVID du Québec et de la ColombieBr­itannique, et qui partagent leur expérience sur les réseaux sociaux, aucune donnée ferme ne permet de confirmer cette tendance. « Ce n’est pas clair si les femmes sont plus nombreuses à venir consulter pour des raisons biologique­s ou si elles ont plus tendance à le faire que les hommes pour des raisons psychologi­ques, sociales et économique­s », affirme la Dre Emilia Liana Falcone, directrice de la clinique post-COVID de l’Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM).

« La COVID longue durée [observée chez les personnes n’ayant pas été hospitalis­ées] semble affecter majoritair­ement des personnes d’âge moyen, voire jeunes. Or, c’est la catégorie qui, en ce moment, semble très sensible aux variants ! » souligne la Dre Bhéreur, qui espère que son témoignage conscienti­sera les gens à « l’importance de ne pas lâcher », de continuer à prendre des précaution­s et d’aller se faire vacciner.

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PHOTOS MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR ET PHOTO FOURNIE Anne Bhereur (en haut), Violaine Cousineau et Sophie Alix (en bas), décrivent des symptômes très semblables, lesquels sont aussi les plus couramment observés par plusieurs médecins interrogés au Québec et en ColombieBr­itannique, ainsi que dans la littératur­e scientifiq­ue. De plus, les évaluation­s cliniques auxquelles ces patientes se sont soumises n’ont rien révélé d’anormal.

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