Le Devoir

Des malades laissés à eux-mêmes

Plus de 900 patients sont sur la liste d’attente pour obtenir un rendez-vous à la clinique post-COVID de l’’Institut de recherches cliniques de Montréal

- PAULINE GRAVEL

Les personnes qui souffrent de la COVID longue durée se sentent souvent abandonnée­s à leur sort, ne pouvant compter que sur des ressources bien maigres alors que leurs besoins sont immenses. Plus de 900 patients sont toujours en attente d’un rendez-vous à l’une des deux cliniques post-COVID du Québec.

Alors qu’on estime que plus de 10 % des personnes infectées développer­ont une COVID longue durée, ce qui représente à ce jour au moins 33 000 Québécois, les besoins de prise en charge sont criants.

« Il y a très peu de prise en charge. Quand je vois toutes les embûches que j’ai eues en étant médecin et en connaissan­t le réseau, j’imagine une mère célibatair­e amanchée comme moi en ce moment qui se fait dire par un médecin qu’elle est anxieuse, déprimée et de se reposer. Mais il y en a probableme­nt des centaines de personnes comme ça, avec de faibles revenus, qui n’ont pas les ressources pour avoir du soutien et qui en plus ne peuvent pas demander aux grands-parents de venir les aider en ce moment », fait remarquer la Dre Anne Bhéreur, qui souffre de symptômes handicapan­ts d’une COVID longue durée depuis décembre dernier.

Manque d’accompagne­ment

Interrogé au sujet des ressources qui sont offertes au Québec pour les malades de la COVID longue durée, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) insiste sur le fait que « les connaissan­ces [étant] encore limitées au sujet des séquelles à long terme de la COVID-19, il importe donc de développer des connaissan­ces », d’où la mise en place de deux cliniques postCOVID au Québec, soit la clinique de recherche IRCM post-COVID-19, à Montréal, et la clinique ambulatoir­e post-COVID, à Sherbrooke.

« Ces cliniques ont un mandat axé principale­ment sur la recherche et la prise en charge, afin d’établir quelles sont les causes des symptômes postCOVID persistant­s et quelles seraient les meilleures approches de traitement­s. Elles permettent d’offrir des services aux patients sous forme de clinique ambulatoir­e, en plus d’aider les cliniciens et chercheurs à mieux comprendre la condition de ces patients et leurs besoins », explique la porte-parole du MSSS, Noémie Vanheuverz­wijn, qui mentionne par ailleurs que les personnes n’ayant pas accès à une telle clinique « peuvent obtenir des soins

et services dans le réseau de la santé et des services sociaux, par exemple auprès de leur médecin de famille ».

Or, « les médecins de famille sont complèteme­nt dépassés par la situation, souligne Violaine Cousineau, victime d’une COVID longue durée depuis six mois. Il faut qu’on ait des pôles où on serait en mesure de soigner les gens adéquateme­nt, et ce, peu importe où ils vivent au Québec. Ça arrache le coeur de lire les témoignage­s des gens, de voir dans quel état d’abandon ils se trouvent ».

Sophie Alix, qui habite en Abitibi, n’a accès à aucun service, à part son médecin de famille qui est « bienveilla­nte, curieuse » et « ouverte aux informatio­ns que j’ai trouvées sur Internet et que je lui ai apportées », confie cette jeune femme de 46 ans qui est anéantie par des symptômes invalidant­s depuis plus d’un an. « Je suis suivie par mon médecin qui fait bien son travail, mais je ne me sens pas accompagné­e dans ma COVID longue durée. Dès qu’on n’est plus contagieux, la Santé publique n’intervient plus du tout, on est laissé à soi-même. »

Appel à l’action

La clinique post-COVID de l’Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM) a ouvert ses portes le 12 février. Deux mois plus tard, plus de 900 patients sont sur la liste d’attente pour obtenir un rendez-vous. « Présenteme­nt, vu les ressources limitées que nous avons, seuls les patients qui acceptent d’être enrôlés dans un protocole de recherche sont acceptés à la clinique », souligne la Dre Emilia Liana Falcone, directrice de la clinique.

Le protocole de recherche prévoit de soumettre tous les patients à une même série de tests. « On fait une évaluation clinique de base pour au moins voir si on peut attribuer ces symptômes à une complicati­on plus précise, comme de l’anémie, pour laquelle il y a un traitement défini. S’il y a quelque chose d’anormal qui ressort de l’évaluation, on dirige le patient vers un spécialist­e. Quand on ne trouve rien d’évident, on pourra prescrire un traitement de réadaptati­on », explique la chercheuse-clinicienn­e.

Avec une population 40 % moins élevée que celle du Québec, la Colombie-Britanniqu­e inaugurera très bientôt une quatrième clinique post-COVID sur son territoire. « Notre première clinique a ouvert ses portes en juillet dernier pour suivre principale­ment les patients qui avaient été hospitalis­és parce qu’ils étaient à haut risque. Mais maintenant, la plupart des personnes qui viennent à la clinique n’ont pas été hospitalis­ées », souligne le Dr Zachary Schwartz, médecin à la clinique post-COVID de l’Hôpital général de Vancouver. Les quatre cliniques combinent recherche et services cliniques. Elles rassemblen­t des médecins généralist­es, des pneumologu­es, des psychiatre­s, des infirmière­s, des physiothér­apeutes, des ergothérap­eutes et des médecins spécialisé­s en réadaptati­on.

Violaine Cousineau, qui n’en peut plus du « déni » auquel les personnes aux prises avec la COVID longue durée font face au Québec, martèle qu’« il faut une reconnaiss­ance officielle de la maladie pour que la COVID longue durée soit prise en considérat­ion dans les décisions de santé publique ». Présenteme­nt, dit-elle, « seuls le nombre de lits disponible­s, le nombre d’hospitalis­ations, le nombre de cas en soins intensifs le sont, mais jamais le nombre d’adultes qui vont être lourdement hypothéqué­s à moyen et à long terme ! »

Dès qu’on n’est plus contagieux, la Santé publique n’intervient plus du tout, on est laissé à soi-même

SOPHIE ALIX

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