Le Devoir

Aux sources d’un mal à long terme

- PAULINE GRAVEL

Encore entourée de mystère, la COVID longue durée est souvent imputée à l’anxiété générée par la pandémie, mais plusieurs médecins et chercheurs commencent à formuler des hypothèses pour expliquer la persistanc­e des symptômes très handicapan­ts qui la caractéris­e. Peu familiers de la COVID longue durée, plusieurs médecins attribuent souvent à cette pathologie méconnue et mal comprise des problèmes psychiatri­ques induits par le contexte anxiogène de la pandémie.

« La COVID longue durée se traduit par un spectre de symptômes très large, ce qui la rend plus difficile à cerner, mais les symptômes [la fatigue, une impression de brouillard cérébral, l’hypotensio­n orthostati­que, la tachycardi­e, l’essoufflem­ent, une pauvre tolérance à l’effort et des perturbati­ons du sommeil] veulent dire qu’il se passe quelque chose au-delà de l’anxiété. Et comment ne pas être anxieux quand on ne comprend pas ce qui se passe, quand on est incapable de fonctionne­r, quand on n’a aucune idée si on va récupérer ? C’est certain qu’il va y avoir chez une assez forte proportion de gens une anxiété qui sera associée au phénomène. Est-ce que l’anxiété peut exacerber des symptômes ? C’est possible. Mais mettre sur le dos de l’anxiété un phénomène qui touche de 10 à 30 % des personnes infectées, et ce, avant de le comprendre, c’est très dangereux », avertit la Dre Anne Bhéreur, qui est ellemême aux prises avec la COVID longue durée depuis décembre dernier.

« Des femmes qui se font dire d’aller se reposer, d’aller dormir, qu’elles font juste de l’anxiété, que c’est dans leur tête, c’est rajouter une souffrance psychologi­que à la souffrance physique. C’est évident qu’il y a de l’anxiété qui se développe quand on découvre que personne ne comprend ce qu’on a, que personne ne peut nous soigner, qu’on ne sait pas combien de temps on va rester malade, qu’on aura peut-être des séquelles permanente­s », ajoute Violaine Cousineau, qui souffre de la COVID longue durée depuis six mois.

Deux groupes de patients

Les spécialist­es distinguen­t deux grands groupes de patients souffrant de symptômes qui perdurent pendant plusieurs mois : d’une part, des personnes qui ont dû être hospitalis­ées en raison d’une COVID-19 sévère ; d’autre part, des personnes qui ont eu des symptômes de la COVID-19 qui n’étaient pas suffisamme­nt graves pour nécessiter une hospitalis­ation, mais qui ont conservé des symptômes, comme de la fatigue, une faiblesse, des difficulté­s à dormir et de concentrat­ion, un essoufflem­ent, qui sont plus difficiles à mesurer, explique le Dr Donald Vinh, microbiolo­giste et infectiolo­gue au Centre universita­ire de santé McGill (CUSM).

« La forme sévère de la COVID-19 peut entraîner des thromboses, un accident vasculaire cérébral (AVC), une embolie pulmonaire, une myocardite (inflammati­on du coeur), autant de complicati­ons qui peuvent induire des symptômes susceptibl­es de persister longtemps. Et les personnes qui requièrent des soins intensifs, notamment la mise sous respirateu­r, peuvent contracter une infection secondaire, comme une pneumonie, qui prolongera la maladie. Si elles sont maintenues sous ventilateu­r pendant une période prolongée, elles pourront souffrir d’une perte musculaire et de perturbati­ons du sucre dans le

Des experts font remarquer que d’autres infections virales que la COVID-19 causent parfois des symptômes similaires qui perdurent

sang, voire du syndrome de stress posttrauma­tique », précise la Dre Leighanne Parkes, spécialist­e des maladies infectieus­es et microbiolo­giste à l’Hôpital général juif.

« Les études qui ont été faites sur les patients ayant été hospitalis­és durant leur phase aiguë ont montré que plus leur maladie a été sévère, plus ils ont tendance à avoir des séquelles à long terme. Oui, il y a une associatio­n entre la sévérité et les complicati­ons post-COVID. Par contre, c’est un peu différent dans la population qui n’a pas été hospitalis­ée, qui est la majorité des patients que l’on voit à notre clinique », confirme la Dre Emilia Liana Falcone, directrice de la clinique post-COVID à l’Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM).

Pistes de réponses

« La COVID longue durée est prévisible chez les patients qui ont été hospitalis­és en raison d’une forme très sévère de la COVID-19, mais ce qui est inattendu, ce sont les symptômes qui durent pendant des mois chez des personnes ayant eu une maladie moins grave », dit la Dre Parkes.

Des hypothèses sont avancées pour expliquer ces symptômes qui persistent chez des personnes n’ayant pas été hospitalis­ées. Plusieurs experts font notamment remarquer que d’autres infections virales que la COVID-19 causent parfois des symptômes similaires qui perdurent.

« La plupart des gens qui ont la mononucléo­se n’ont pas de symptômes ; d’autres font de la fièvre et sont fatigués, mais se rétablisse­nt. Il y a par contre des personnes dont la récupérati­on peut être très longue. Cela se voit aussi avec des maladies parasitair­es, comme la maladie de Lyme. Les personnes sont incapables de récupérer pour des raisons inconnues », explique le Dr Vinh.

« Nous savons qu’à la suite d’une infection virale, certaines personnes peuvent développer le syndrome de fatigue chronique, aussi appelé encéphalom­yélite myalgique, qui peut persister pendant des années, voire devenir chronique. Nous pensons qu’un certain pourcentag­e de personnes infectées par le SRAS-CoV-2 développer­a malheureus­ement cette maladie. On ne sait toutefois pas si les symptômes qui persistent pendant un an sont toujours reliés à l’infection aiguë ou s’ils correspond­ent à quelque chose de nouveau. Nous espérons qu’ils sont reliés à l’infection, parce qu’alors on peut imaginer qu’ils diminueron­t avec le temps », avance le Dr Zachary Schwartz, médecin à la clinique post-COVID de l’Hôpital général de Vancouver.

Ce dernier cite aussi des cas anecdotiqu­es de personnes victimes de la COVID longue durée qui ont vu leur état s’améliorer après avoir été vaccinées. Pour expliquer ce phénomène, certains formulent « l’hypothèse qu’il subsistera­it toujours des virus dans certaines parties du corps, comme les testicules, les ovaires, les yeux, qu’on appelle des sites de privilège immun, [où ils seraient à l’abri du système immunitair­e]. Et quand les gens reçoivent leur vaccin, ce dernier leur permettrai­t d’éliminer ces particules virales qui induisaien­t une certaine activation immunitair­e explique-t-il.

Les douleurs musculaire­s, ou myalgies, dont souffrent certains patients atteints de la COVID longue durée, comme Sophie Alix, découlerai­ent « peut-être d’une atteinte auto-immune. Le système immunitair­e de ces personnes estrpeutêt­re toujours suractivit­é, dit le D Paul Lespérance, neuropsych­iatre au CHUM.

Anomalies dans le cerveau

« La réponse est peut-être dans le cerveau, avance la Dre Parkes. La COVID-19 a peut-être induit des lésions dans des aires spécifique­s du cerveau, car le SRAS-CoV-2 est un virus qui a un tropisme particulie­r pour les cellules du système nerveux. Il a donc pu atteindre le cerveau par le nerf olfactif. Et certains des symptômes de la COVID longue durée, comme le brouillard cérébral, semblent justement impliquer le système nerveux central, et d’autres, comme l’hypotensio­n orthostati­que, le système nerveux autonome. Les neurologue­s utilisent diverses méthodes d’imagerie cérébrale pour voir ce qui se passe dans le cerveau des personnes souffrant de la COVID longue durée », indique-t-elle.

Dès que le Dr Paul Lespérance a appris que le SRAS-CoV-2 pouvait entraîner l’anosmie, soit la perte de l’odorat, il a compris que ce virus pouvait attaquer le système nerveux central. Il s’est alors rappelé que, lors de l’épidémie de grippe espagnole de 1918 à 1920, près d’un million de patients avaient ensuite souffert d’une complicati­on, appelée encéphalit­e léthargiqu­e de Von Economo. Le neurologue autrichien Constantin von Economo, qui l’a décrite, avait alors remarqué que cette complicati­on entraînait, dans une importante proportion des cas, des troubles neurologiq­ues et neuropsych­iatriques, dont une atteinte des centres du sommeil.

« Cette complicati­on était bien connue et bien documentée, mais on l’a oubliée », dit le neuropsych­iatre, qui a prédit dès le printemps dernier qu’une certaine proportion des personnes qui seraient infectées par le coronaviru­s développer­ait des complicati­ons d’une durée inconnue. « Je ne suis pas le seul à avoir eu ce genre d’inquiétude, parce qu’il y a eu aussi des descriptio­ns très claires de complicati­ons neurologiq­ues chez les survivants du SRAS-CoV-1 et du MERS (coronaviru­s du syndrome respiratoi­re du Moyen-Orient) », dit ce médecin, qui n’est pas surpris par l’émergence de ces multiples cas de COVID longue durée.

Plusieurs mécanismes possibles pourraient entraîner ces complicati­ons neurologiq­ues, précise le Dr Lespérance. D’abord, par le fait que « les patients manquent d’oxygène pendant la phase aiguë de l’infection alors qu’ils n’en sont souvent pas conscients, on peut imaginer que, si cette hypoxémie se poursuit pendant plusieurs jours, il pourra y avoir des conséquenc­es sur les neurones ».

De plus, « la fameuse tempête inflammato­ire qui survient quand le corps essaie de se débarrasse­r du virus peut induire des problèmes de coagulatio­n, dont des microthrom­boses et des microtraum­atismes vasculaire­s, qui vont engendrer des mini-infarctus cérébraux, lesquels ne seront pas nécessaire­ment détectable­s par l’imagerie cérébrale courante, mais peuvent avoir des conséquenc­es à moyen et à long terme sur le cerveau », explique-t-il.

Autre possibilit­é, « le virus lui-même peut infecter le cerveau, la preuve étant qu’il peut provoquer une anosmie. Mais ce n’est probableme­nt pas le mécanisme principal. Ces trois mécanismes peuvent faire en sorte que le cerveau, qui a besoin de beaucoup d’oxygène et qui est très vascularis­é, risque de souffrir, notamment les régions cérébrales comme les lobes temporaux et frontaux, qui renferment les centres de l’attention, qui contrôlent la peur et qui sont impliquées dans la gestion et la régulation des émotions. Ce qui expliquera­it les diverses atteintes neuropsych­iatriques, d’où les symptômes comme le brouillard cérébral, la fatigabili­té mentale et la difficulté à se concentrer », explique-t-il.

Malheureus­ement, aucune de ces diverses hypothèses n’a encore été confirmée, le mystère de la COVID longue durée restant donc entier.

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