Le Devoir

Déshabille­r la police

- BRIAN MYLES

Les uns réclament le définancem­ent de police, les autres demandent son désarmemen­t. Ces groupes et militants de la gauche, bien imbriqués dans les débats internes au sein de Projet Montréal, devraient fusionner leurs luttes autour d’un terme unificateu­r : déshabille­r la police. Le programme aurait le mérite d’être clair. Lors de son congrès la semaine dernière, Projet Montréal a adopté une motion sur le désarmemen­t de la police, selon la formule d’un projet pilote, au terme d’un débat à huis clos. La mairesse de Montréal et cheffe de Projet Montréal, Valérie Plante, voit l’idée d’un bon oeil. Même si elle n’appuie pas le définancem­ent de la police, les membres de son parti ont convenu de revoir le financemen­t du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) afin de miser sur « des services de proximité adaptés aux besoins des citoyens et aux réalités communauta­ires ».

On peut se réjouir d’une participat­ion accrue des représenta­nts de la société civile aux débats sur la nécessaire réforme de l’organisati­on policière. Celle-ci envisage trop souvent son action en vase clos et se montre peu réceptive à la critique et à la surveillan­ce des pouvoirs civils. Et oui, il y a tout lieu de revoir l’allocation des dépenses en fonction des réelles priorités d’enquête pour les citoyens. La violence conjugale, par exemple, ne reçoit pas sa juste part d’attention alors que c’est pourtant une forme de criminalit­é importante.

Le principal problème de la police de Montréal, ce n’est pas qu’elle soit armée ou trop financée. C’est qu’elle est incapable d’éradiquer le cancer du profilage racial en son sein. Les revendicat­ions pour définancer ou désarmer la police sont l’expression d’un ras-le-bol devant des décennies d’incurie et des réformes avortées, en même temps qu’elles sont des rejetons du mouvement de justice sociale américain. Il y a des problèmes de profilage et de discrimina­tion dans la police, mais Montréal n’est pas Minneapoli­s. Les policiers québécois sont mieux formés, mieux outillés et beaucoup moins meurtriers que leurs homologues aux États-Unis. L’impunité et le déficit de formation qui caractéris­e l’organisati­on policière aux États-Unis sont sans commune mesure avec la réalité québécoise.

Cela ne revient pas à banaliser la situation ou à se vautrer dans l’inaction. La police de Montréal a fait des morts dans l’impunité, elle aussi, parmi les membres des minorités. Mais ce n’est pas au terme d’un débat antidémocr­atique à huis clos qu’un enjeu aussi important que le désarmemen­t de la police doit être envisagé. Alors que la ministre de la Sécurité publique planche sur un projet de réforme de la police, à l’issue duquel il y aura certaineme­nt une mise en commun de l’expertise et des services administra­tifs entre les différents corps policiers, cette conversati­on doit être faite à l’échelle nationale, à partir de la réalité du Québec.

Déshabille­r la police est l’équivalent d’un succédané à une réforme en profondeur. Nous n’avons pas besoin d’une police financée à 50 % de ses budgets actuels, au nom d’un marxisme primaire qui tient la police responsabl­e de protéger la suprématie des Blancs et du capitalism­e. Nous avons besoin d’une police qui se concentre sur les problèmes de criminalit­é contempora­ins, à commencer par la violence conjugale, les crimes contre la personne, la cyberfraud­e et l’exploitati­on sexuelle.

Nous avons besoin d’une police qui cessera de criminalis­er la pauvreté, la dépendance, la marginalit­é et la maladie mentale. Certes, les policiers devraient être mieux outillés en interventi­on sociale, mais il est nettement préférable de recourir aux travailleu­rs sociaux et autres spécialist­es de l’interventi­on clinique, dont il faut accroître la présence sur le terrain. Ce réinvestis­sement massif dans les services sociaux peut se faire en parallèle à un recentrage de la mission policière. Déshabille­r la police ? C’est un raccourci qui ne réglera rien à ces enjeux sociaux de la première importance.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada