Un homme et son parti
Depuis son élection comme chef du Parti conservateur du Canada en août dernier, Erin O’Toole fait tout en son pouvoir pour projeter l’image d’un politicien modéré qui entend mener sa formation vers le centre de l’échiquier politique. Le problème de M. O’Toole n’est pas tellement sa crédibilité personnelle à titre de modéré, même s’il a déjà courtisé les militants de la droite sociale durant sa campagne à la chefferie. Son problème fondamental découle plutôt de son absence de mainmise sur son propre parti, et ce, plus de huit mois après avoir pris les rênes du PCC. Les Canadiens en ont eu la preuve deux fois plutôt qu’une cette semaine.
Le débat entourant un projet de loi privé de l’une de ses députées visant à interdire les avortements sexosélectifs a démontré que, contrairement à Stephen Harper, M. O’Toole ne peut pas faire taire les conservateurs sociaux au sein du caucus. Au contraire, ces derniers semblent se faire davantage entendre sur les dossiers qui les préoccupent. La conférence de presse qu’a tenue cette semaine la députée saskatchewanaise Cathay Wagantall pour vanter son projet de loi sur l’avortement, au moment même où M. O’Toole rencontrait les journalistes, s’est avérée un véritable pied de nez à l’endroit du chef.
Les conservateurs sociaux doivent savoir qu’ils nuisent aux efforts que déploie M. O’Toole pour attirer des électeurs modérés déçus des libéraux de Justin Trudeau. Si M. O’Toole occupait la même position d’autorité au sein de son propre parti que celle que M. Harper a occupée, il n’aurait pas eu à subir ce genre d’humiliation publique de la part d’une députée d’arrière-ban. M. O’Toole a eu beau dire qu’il allait voter contre le projet de loi de Mme Wagantall, les dérives de certains de ses députés sur les questions sociales telles que les thérapies de conversion et l’avortement sexo-sélectif lui font très mal. Surtout au Québec, où le PCC stagne dans les sondages depuis son élection comme chef.
Faible autorité au sein du caucus
La grogne qu’a suscitée le plan conservateur dévoilé cette semaine par M. O’Toole pour combattre les changements climatiques a elle aussi mis en relief la faible autorité que semble exercer le chef au sein de son propre caucus. Le fait que M. O’Toole n’ait pas voulu présenter son plan au caucus avant de le rendre public jeudi en dit long sur la réaction qu’il redoutait de la part de ses députés, surtout ceux de l’Ouest canadien, pour qui l’opposition à la taxe sur le carbone du gouvernement Trudeau constitue la pierre angulaire de leur engagement politique.
Personne ne croit M. O’Toole lorsqu’il prétend que son plan respecte sa promesse de ne pas remplacer la taxe libérale sur le carbone avec une taxe conservatrice en fin de compte semblable. Même s’il est vrai que les revenus provenant de la « tarification » proposée par M. O’Toole n’iraient pas directement dans les coffres du gouvernement fédéral, mais seraient plutôt déposés dans des « comptes d’épargne pour la réduction du carbone », l’administration du programme relèverait nécessairement de l’appareil gouvernemental.
La tarification sur le carbone
Le plan de M. O’Toole n’est pas sans mérite. Certes, il serait insuffisant pour atteindre les cibles canadiennes actuelles en matière de réduction de gaz à effet de serre, sans parler des cibles encore plus ambitieuses que le premier ministre Justin Trudeau et le président américain Joe Biden s’apprêtent à annoncer la semaine prochaine. Mais le plan de M. O’Toole constitue un énorme pas en avant pour un parti dont les militants refusaient de reconnaître formellement l’existence des changements climatiques lors de leurs congrès il y a à peine deux semaines.
La question est de savoir si M. O’Toole sera capable de faire avaler la pilule de la tarification sur le carbone à ces mêmes militants avant la prochaine élection. Si le PCC demeure divisé sur une question aussi fondamentale que sa politique de lutte contre les changements climatiques lors de la prochaine campagne fédérale, cette campagne risque d’être perdue d’avance.
Un chef populaire a toujours plus de chances de rallier les militants récalcitrants qu’un chef impopulaire. La perspective de la prise du pouvoir réussit généralement à convaincre les camps opposés à se ranger derrière leur chef. Or, M. O’Toole n’a pas ce luxe. La plupart des derniers sondages accordent une avance confortable aux libéraux, avance qu’espère consolider M. Trudeau en annonçant de nouveaux programmes sociaux dans le budget de lundi, dont un programme national de garderies, perçu comme le saint Graal au Canada anglais, où le manque de services de garde abordables est dénoncé de toutes parts.
Heureusement pour M. O’Toole, la prochaine élection risque d’être retardée plus longtemps que prévu en raison de la troisième vague de la pandémie. Mais ce retard ne ferait-il que repousser l’inévitable pour le chef conservateur mal aimé ?
Le problème d’Erin O’Toole n’est pas tellement sa crédibilité personnelle à titre de modéré, même s’il a déjà courtisé les militants de la droite sociale durant sa campagne à la chefferie. Son problème fondamental découle plutôt de son absence de mainmise sur son propre parti, et ce, plus de huit mois après avoir pris les rênes du PCC.