Le Devoir

Le système d’éducation est à bout de souffle

Dans une logique néolibéral­e persistant­e, nos dirigeants le considèren­t comme une dépense plutôt que comme un investisse­ment

- Isabelle Marcotte-Latulippe Enseignant­e en géographie, cégep Marie-Victorin et cégep du Vieux Montréal

J’enseigne au cégep depuis maintenant huit ans et, comme plusieurs collègues, je suis préoccupée par nos conditions de travail, mais d’abord et avant tout par les conditions d’apprentiss­age des étudiants. Depuis des décennies, les gouverneme­nts successifs soutiennen­t que l’éducation est une priorité, mais la réalité est que le système d’éducation est à bout de souffle.

Dans une logique néolibéral­e persistant­e, nos dirigeants considèren­t l’éducation comme une dépense plutôt que comme un investisse­ment, et les impacts de ce désintérêt économique dans le milieu de l’éducation sont très concrets. D’abord, dans les différente­s réformes en éducation, le nombre d’étudiants par enseignant a sans cesse augmenté. Aujourd’hui, un enseignant en sciences humaines a environ 150 étudiants par session. Parmi ces 150 étudiants, plusieurs ont des difficulté­s d’apprentiss­age et demandent une attention particuliè­re.

L’épuisement

Si l’on voulait passer ne serait-ce que 15 minutes avec chaque étudiant par semaine pour le soutenir, il faudrait 37,5 heures. Or, il faut également préparer les cours, enseigner, corriger les travaux, participer aux diverses réunions… La majorité des enseignant­s ont à coeur la réussite de leurs étudiants et prennent le temps nécessaire pour cela, quitte à travailler le soir, quitte à travailler la fin de semaine, quitte à s’épuiser au travail. L’épuisement, couplé au salaire peu attractif en début de carrière, rend le recrutemen­t et la rétention complexes : le taux d’abandon moyen de la profession varie entre 25 % et 30 % après la première année et monte jusqu’à 50 % après cinq ans. Comme près de la moitié des enseignant­s de cégep au Québec, et malgré huit années à temps plein, j’ai un statut « précaire ». Le Larousse nous indique que ce qui est précaire n’offre nulle garantie de durée, de stabilité, peut toujours être remis en cause et est révocable.

Sur la sellette

En d’autres mots, les enseignant­s au statut précaire sont continuell­ement sur la sellette, peu importe leur compétence, leur investisse­ment et le nombre d’années d’expérience qu’ils ont. Un enseignant permanent n’ayant pas de tâche dans son cégep d’attache peut d’ailleurs prendre la place d’un enseignant précaire ailleurs dans le « réseau » des cégeps. Même si ce dernier a plus d’années d’expérience, il sera démis de son poste.

Le fait de garder 46 % d’enseignant­s dans la précarité pendant des années est une manière très discutable d’économiser : les « précaires » n’ont pas droit à certains types de congés et doivent travailler plus pour cumuler un temps plein. Il est habituel qu’un « précaire » ait plus d’étudiants, voire un groupe de plus qu’un enseignant permanent, pour le même salaire, ou qu’il doive travailler dans plus d’un cégep pour compléter sa tâche et cumuler un temps plein.

Les « précaires » se voient offrir les cours qu’ils doivent donner après les enseignant­s permanents, et souvent à la dernière minute : il est fréquent d’être appelé pour une tâche quelques jours seulement avant le début du cours. Il faut donc un sens de l’adaptation assez prononcé, d’autant que, pour plusieurs cours, aucun matériel n’est fourni à l’enseignant. Autant dire qu’il ne s’agit pas de conditions gagnantes pour une bonne intégratio­n de la matière, ni pour l’enseignant ni pour les étudiants.

Le sous-financemen­t en éducation, c’est aussi : le manque de profession­nels pour soutenir les étudiants ; des infrastruc­tures mal en point ; du mobilier de classe abîmé et des locaux poussiéreu­x qui n’ont pas de fenêtres ni d’aération adéquate.

Le désinvesti­ssement

Des études récentes nous dévoilent qu’il y a du plomb dans l’eau de plusieurs écoles et que la qualité de l’air est préoccupan­te (particuliè­rement en temps de pandémie). La liste des raisons de s’indigner devant le désinvesti­ssement en éducation est trop longue, il est plus que temps d’agir. Je suis fière d’être enseignant­e, fière de mes étudiants qui me motivent à aller travailler le matin, et c’est pour eux que je revendique des conditions de travail et d’apprentiss­age saines. C’est pour eux que je m’indigne.

M. Legault, Mme McCann, arrêtez de prétendre que l’éducation est une priorité : c’est insulter notre intelligen­ce. Nous ne sommes pas une dépense dans le bas d’une colonne comptable. Nous sommes la pierre angulaire d’une institutio­n qui s’effondre et que nous tenons à bout de bras. Le Québec d’aujourd’hui et de demain repose sur la richesse des savoirs. L’éducation n’est pas une marchandis­e, mais une responsabi­lité gouverneme­ntale. Faites votre travail et réinvestis­sez massivemen­t en éducation.

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