Le Devoir

Et maintenant : l’endoctrine­ment

- JEAN-FRANÇOIS LISÉE

Les fonctionna­ires fédéraux ont-ils droit à la liberté de conscience ? Pour peu qu’ils soient respectueu­x des normes et des lois et de leurs collègues de travail, ont-ils droit à leurs propres opinions sur l’histoire de leur pays et sur l’état des relations raciales ? La réponse est désormais non. Il existe une doctrine d’État que les fonctionna­ires doivent apprendre et internalis­er, quelles que soient leurs expérience­s de vie ou leurs visions du monde. Un document fédéral officiel obtenu par le Toronto Sun grâce à la Loi sur l’accès à l’informatio­n est à la fois fascinant et scandaleux. Il s’agit du Parcours d’apprentiss­age dans le cadre de la lutte contre le racisme. La chose irait de soi si l’apprentiss­age en question portait sur les pratiques discrimina­toires à éviter, les bienfaits des politiques d’accès à l’égalité, les normes, les recours et les sanctions. Mais le document s’attaque aux opinions qu’on peut avoir — et qu’on ne doit pas avoir — sur les causes, l’histoire et la définition du racisme. Les participan­ts sont appelés à « apprendre, [à] désapprend­re et [à] réapprendr­e ».

Par exemple, peut-être avez-vous la conviction que le Canada fut fondé sur une volonté de créer un pays distinct de l’expérience états-unienne, mettant en équilibre les intérêts de plusieurs anciennes colonies, dont le Québec francophon­e, et voulant maintenir un lien fort avec la couronne britanniqu­e ? Peut-être pensiez-vous que, parmi les graves imperfecti­ons du pays, il y eut la mauvaise part faite aux Autochtone­s et des pratiques répréhensi­bles envers des minorités de couleur ?

Si vous jugiez que, contrairem­ent à l’impact structurel de l’esclavage dans l’histoire états-unienne, ces événements malheureux ne constituai­ent pas l’essence même de l’existence du Canada, l’État canadien vous rabroue officielle­ment. Vous êtes porteurs d’un « mythe » et de « déformatio­n des faits historique­s » qu’il faut désapprend­re. La réalité, présentée comme un « fait » qui n’est pas ouvert au débat, est que le racisme est au coeur de l’expérience canadienne, un de ses fondements. L’existence même du Canada est une agression.

Trudeauist­e bon teint, peut-être oserez-vous faire valoir que le multicultu­ralisme est une politique officielle depuis un demi-siècle et que le Canada est en passe de s’affranchir de son passé honteux ? Vous avez tort. Je cite : « Chaque institutio­n était et est toujours utilisée pour prouver que la race existe et pour promouvoir l’idée que la race blanche est au sommet de la hiérarchie des races et que toutes les autres lui sont inférieure­s. » Chaque institutio­n était et est toujours, en 2021, raciste. Et si vous tiquiez devant le concept de racisme systémique, cramponnez-vous, car la doctrine officielle a franchi un nouveau cap. Le document décrit ainsi la situation actuelle du racisme canadien : « Un groupe a le pouvoir de pratiquer une discrimina­tion systématiq­ue au moyen des politiques et pratiques institutio­nnelles. » Oui, on est passés de systémique à systématiq­ue.

La doctrine vous rabroue doublement si vous osez procéder à des comparaiso­ns avec les États-Unis sur le nombre des victimes ou sur l’intensité du dommage causé. Le document est explicite : « Le racisme est tout aussi grave au Canada. » Fin de la discussion. C’est un dogme.

Il y est aussi question d’esclavage, et le document prend bien soin d’indiquer que ce fléau fut répandu au Canada, y compris en Nouvelle-France, ce qui est vrai. Les fonctionna­ires qui l’ignoraient peut-être sont aussi informés que les Autochtone­s furent victimes de l’esclavage. Mais le document omet de signaler que les nations autochtone­s pratiquaie­nt l’esclavage entre elles avant l’arrivée des Européens, et après, et qu’elles ont participé à la traite des Noirs sur le continent. Je souhaite bonne chance au fonctionna­ire qui oserait soulever ce fait historique lors d’une formation.

Puisque le racisme est défini étroitemen­t, comme l’oppression d’une race par une autre, et jamais d’une ethnie par une autre, il n’est nulle part question du fait que les Britanniqu­es, des Blancs, ont voulu déporter d’autres Blancs, des Acadiens, ou que les Canadiens français furent pendant deux siècles victimes de discrimina­tion. Le colonialis­me est un élément fondateur du pays (c’est incontesta­ble), mais pas la Conquête (c’est loufoque). Notons que l’antisémiti­sme est aussi passé sous silence, un angle mort problémati­que dans la culture woke.

On y parle évidemment du privilège blanc, qui peut être personnel, institutio­nnel ou structurel, intentionn­el ou non. Tous les fonctionna­ires blancs doivent donc apprendre qu’ils sont, par défaut, coupables de racisme. C’est dans leur nature. Le caractère univoque et culpabilis­ateur de la formation est à couper le souffle.

Prenons un instant pour réfléchir à l’existence même de ce document officiel.

Nous avions entendu Justin Trudeau déclarer à plusieurs reprises qu’il avait, lui, la conviction que toutes les institutio­ns canadienne­s étaient coupables de racisme systémique. Il est rare que le premier ministre d’un pays accable ainsi la totalité des institutio­ns qu’il a pour charge de diriger, de représente­r et, au besoin, de réformer.

Mais bon, c’était son avis personnel. Que ces notions soient débattues dans les université­s, dans les panels, à la radio ou dans les journaux est une chose. Mais il ne s’agit plus désormais d’opinions discutable­s parmi d’autres. Les fonctionna­ires fédéraux sont désormais contraints de participer à des formations où on leur dit que cette vision du monde est la bonne, que c’est la ligne juste, et que s’ils pensent autrement, ils doivent désapprend­re, pour mieux apprendre. Il s’agit ni plus ni moins que d’endoctrine­ment.

On voudrait savoir qui a décidé que la théorie critique de la race était devenue doctrine d’État ? À quel moment et dans quel forum ? Qui a acquiescé à cela ? Et surtout, comment infirmer cette décision absurde qui est une atteinte frontale à la liberté de conscience ?

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