Odile Tremblay
Le 23 avril, on verra atterrir au grand écran Le dernier Nataq de Lili Marcotte. Ce documentaire fort inspirant autant qu’intime, d’abord lancé au Festival d’Abitibi-Témiscamingue, nous fait parcourir les rues de Rouyn-Noranda aux côtés du chanteur-compositeur Richard Desjardins. Alors que se peint une murale collective en hommage à sa poésie, l’auteur de Tu m’aimes-tu ? se trimballe dans sa ville minière, avec arrêt devant sa maison natale, abordant au passage son parcours de créateur, mais aussi de militant.
Or, l’un va-t-il sans l’autre ? La mine de cuivre dans son berceau a créé de l’emploi tout en tuant des travailleurs au contact des eaux usées et des effluves délétères souterrains. De même la forêt des alentours, poumon de la région, se voit-elle détruite par des coupes sauvages dénoncées dans son puissant documentaire L’erreur boréale.
Grandir en Abitibi aura été pour Desjardins une source d’inspiration et un appel au combat écologique.
« Quand même ça s’rait ma faute / Qu’est-cé qu’tu veux qu’ça m’fasse ? / Si c’est pas moi c’t’un aut’ / Qui va l’faire à ma place », chantait-il dans Développement durable, dénonçant l’inertie du quidam face à la débâcle de sa planète sous mauvais traitements humains. « J’ai mal à la terre », entonnait Gilles Vigneault de concert. Le confort et l’indifférence ne sont pas que des postures politiques, mais dynamitent en pleine torpeur les efforts des uns pour rendre la planète viable.
On célèbre la Journée internationale de la Terre nourricière, le 22 avril. Bien amochée, la pauvre ! La tragédie covidienne a occulté depuis un an la crise environnementale, qui mâche son chiendent aux quatre coins du monde, en attendant de retrouver la vedette. Même si les confinements ont laissé souffler un instant la nature, cette criselà n’aura pas connu de vrai répit. Et les catastrophes naturelles se succèdent dans des pays ravagés par le virus, sans garde-fous pour leurs peuples sacrifiés. Pandémies, surpopulation, mondialisation et maladies du globe demeurent liées pour le pire. Faut-il vraiment rêver d’un après-COVID identique au quotidien d’avant le chaos, avec la surconsommation, les détritus éparpillés partout, la pollution en roue libre ? Ou plutôt utiliser la pause pour se réaligner mieux que ça ? Cocher la bonne case ne serait pas plus mal.
Donnez-moi de l’oxygène !
Les scientifiques ne sont pas seuls à hurler devant la destruction de notre habitat. De nombreux artistes depuis longtemps dénoncent le saccage planétaire à pleines fresques urbaines, à coups de chansons, de fictions et de documentaires, de peintures et d’installations, de pétitions, de coups de gueule et de spectacles-bénéfice. Au Québec et ailleurs, la droite identitaire a souvent du mal avec les engagements écologiques qui transcendent les langues et les frontières en communion d’efforts. Un grand nombre d’artistes, nationalistes ou pas, de gauche en général, cherchent plutôt à voir au loin et pleurent l’horizon disparu. « Donnez-moi de l’oxygène », clament-ils.
Des vedettes ont fait rire d’elles en signant en 2018 le Pacte pour la transition. Pensez donc, des riches et célèbres venus sermonner le peuple ! Mais utiliser sa notoriété pour défendre l’avenir de l’humanité est préférable à s’asseoir dessus. D’ailleurs, il y a maintes façons de protester dans l’arène culturelle.
Longtemps, l’écrivain Réjean Ducharme, alias Roch Plante, aura écumé à Montréal les poubelles pour y dégoter les matériaux de ses sculptures Trophoux. Le poète de L’avalée
des avalés transformait le plomb en or à l’instar des anciens alchimistes, sonnant l’alerte en éclaireur du chemin contre la folie du gaspillage qui enfouit des trésors au lieu de les transfigurer au jardin des merveilles.
Au Musée McCord, dans l’exposition Il fut un chant, la plasticienne autochtone Meryl McMaster, à partir d’oiseaux empaillés sous cloches, d’un volatile mort sur écran ou d’herbiers desséchés, attaque le rapport mortifère que l’humain entretient avec la nature. « Tue-moi si je manque de respect à ma terre », exhorte la poétesse innue Joséphine Bacon. Les artistes des Premières Nations, dont Samian et Elisapie Isaac, inspirés par le contact millénaire de leurs peuples avec la nature, sont bien placés pour prendre le bâton de pèlerin en la matière.
Les générations montantes aussi, qui désirent un avenir. Cette semaine, je suis allée visiter la websérie documentaire Citoyens du futur de Cyrielle Deschaud. Elle donne la parole à des jeunes engagés, qui proposent des solutions pour contrer, à leur échelle, l’obsolescence programmée et le gaspillage, en recyclant, en plantant, en informant. Et j’ai levé mon chapeau à ceux qui s’engagent au lieu de balancer, comme dans la chanson de Desjardins : « Quand même ça s’rait ma faute / Qu’est-cé qu’tu veux qu’ça m’fasse ? »