Le Devoir

Des CHSLD plus humains

- LOUIS CORNELLIER

La pandémie a jeté une triste lumière sur les centres d’hébergemen­t de soins de longue durée (CHSLD). La première vague de la COVID-19, au printemps 2020, a entraîné une hécatombe dans ces institutio­ns, au Québec et au Canada. La tragédie de la résidence Herron, à Dorval, où des dizaines de personnes sont mortes seules, abandonnée­s, a marqué les esprits. Le 29 mars, des ambulancie­rs appelés auprès d’un malade y découvrent qu’il n’y a sur place que trois employés pour s’occuper de 133 résidents.

Cette histoire d’horreur, révélée par le quotidien Montreal Gazette, a suscité, à juste titre, de nombreuses réactions courroucée­s. Plus jamais ça, a-t-on clamé avec raison. Toutefois, les constats formulés et les solutions avancées pour éviter la répétition d’un pareil drame n’ont pas toujours brillé par leur justesse et par leur pertinence.

Plusieurs commentate­urs, de toute évidence étrangers à la réalité des CHSLD, ont lâché des bombes dans le débat public. Les Québécois, disaient-ils, plus que les autres peuples, parquaient leurs vieux dans ces centres inhumains, n’allaient pas les visiter et étaient donc responsabl­es de ce qu’on pourrait presque qualifier de négligence criminelle.

Ces propos incendiair­es m’ont heurté. Mon père vit dans un de ces centres. Mon expérience des lieux ne correspond pas à la sombre descriptio­n qui précède. Son CHSLD public n’est certes pas parfait — aucun ne l’est —, mais il n’a rien d’inhumain. La grande majorité des employés — pas assez nombreux, il est vrai — y sont dévoués et les visiteurs sont nombreux.

Ce CHSLD lanaudois, d’ailleurs, n’a eu, à ma connaissan­ce, aucun cas de COVID-19. À cet égard, on ne peut donc le considérer comme représenta­tif de la situation générale. Il reste que, comme l’ont illustré mes collègues chroniqueu­rs Isabelle Hachey et Francis Vailles, de La Presse, les données démentent les affirmatio­ns selon lesquelles les résidents des CHSLD ne recevraien­t pas de visite et seraient plus nombreux qu’ailleurs. Dans une entrevue au magazine

L’Actualité (avril 2021), la gériatre Marie-Jeanne Kergoat, spécialist­e de l’organisati­on des soins à l’Institut universita­ire de gériatrie de Montréal, abonde dans ce sens.

« On n’est pas plus lâches ni moins généreux » qu’ailleurs, dit-elle, en soulignant notamment la présence de nombreux proches aidants dans les milieux d’hébergemen­t. Elle rappelle aussi la nécessité de ne pas confondre les CHSLD, qui accueillen­t des personnes lourdement malades, avec les résidences privées pour aînés (RPA), des lieux d’hébergemen­t librement choisis par des personnes autonomes.

Qu’on me comprenne bien : je ne dis pas que tout va bien dans les CHSLD ; j’invite seulement à la nuance et au réalisme dans le jugement qu’on porte sur eux. Tout le monde, évidemment, souhaite vivre à la maison jusqu’à la fin et y recevoir de bons soins, mais ce n’est pas toujours possible. Ceux qui sont déjà entrés dans un CHSLD le savent : les personnes qui y vivent sont si fatiguées, si malades, si fragiles qu’elles ne pourraient vivre ailleurs.

Ce dernier constat n’est pas une raison pour ne pas tout faire pour améliorer ces lieux afin de les rendre plus accueillan­ts. Dans Les grands

oubliés (L’Homme, 2021, 248 pages), André Picard, journalist­e spécialisé en santé au Globe and Mail, trace un portrait sans complaisan­ce de la réalité canadienne des soins aux aînés. Son livre montre bien que les problèmes québécois en la matière ont leurs pendants partout au Canada. Picard pointe particuliè­rement la désorganis­ation du système — très confondant­e pour les bénéficiai­res et leurs familles —, le manque de financemen­t et de personnel, l’inadéquati­on des infrastruc­tures, l’absence de reddition de comptes et, on n’y échappe pas, l’âgisme, qui explique une bonne partie de ces problèmes.

Nous vieilliron­s tous, rappelle Picard, et nous devons donc nous demander « à quoi voulons-nous que nos vies ressemblen­t quand nous serons vieux ». Il importe, bien sûr, de mieux financer et de mieux organiser les soins à domicile — ce qui inclut une aide financière aux proches aidants — afin qu’on puisse y demeurer le plus longtemps possible.

Toutefois, comme le souligne Marie-Jeanne Kergoat, il est irréaliste de penser que cela sera possible pour tous. Il faut donc rendre les CHSLD plus humains. Ça veut dire, conclut Picard, leur fournir du personnel bien formé, notamment en matière de prévention des infections, bien traité et suffisant ; les réorganise­r physiqueme­nt pour les rendre plus conviviaux ; les inspecter fréquemmen­t pour s’assurer de leur bon fonctionne­ment. Je me permets d’ajouter : nationalis­er ceux qui ne le sont pas encore pour les soustraire à la logique du profit.

Après tout, nous y serons peutêtre un jour. Mourir dans la dignité, c’est d’abord vivre pareilleme­nt.

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