Amour des feintes
Dix films plus tard, Emmanuel Mouret creuse toujours son meilleur sillon : les sentiments
Apolitique, philosophe et poète, Emmanuel Mouret affiche une constance qui l’honore, et qui sans cesse nous éblouit. Certains avaient cru à une petite révolution à caractère historique avec Mademoiselle de Joncquières, mais cette histoire de trahison inspirée de Diderot comportait sa part d’éléments chers au réalisateur de
L’art d’aimer et de Caprice : badinage, mensonges, secrets, galanterie et, surtout, verbe bien aiguisé.
On retrouve tout cela, en abondance, dans Les choses qu’on dit, les choses
qu’on fait, magnifique retour au présent, en droite ligne avec tout ce qui séduit, et préoccupe, Mouret depuis ses débuts, dont les imprévisibles aléas du coeur. De même que tous les discours qui les enrobent, pour mieux les cacher, ou les révéler, embrouillant souvent les protagonistes. Et les spectateurs au passage, mais eux en redemandent.
Car il y a un véritable conteur en ce cinéaste de l’épure et de l’élégance, se plaisant à transformer ses personnages en oracles pour des auditoires triés sur le volet, le plus souvent aspirés (émotionnellement) dans ces récits s’étirant en longueur, et en langueur. Cette mélancolie propre à ses jeunes antihéros, plus près de celle d’un Christophe Honoré que d’un Éric Rohmer — à qui il est beaucoup comparé, à raison d’ailleurs — traverse ce magnifique assemblage de récits fragmentés, démarrant par les confidences de deux inconnus qui ne le resteront pas longtemps.
Fragile comme du papier de soie, Maxime (Niels Schneider dans la posture de l’ange blond) débarque avec son spleen dans la maison de campagne de son cousin François (Vincent Macaigne, plein de bonhomie, la fragilité en prime), croyant passer quelques jours avec lui. C’est sa compagne, Daphné (Camélia Jordana, d’une présence incandescente), qui l’accueille avec bienveillance, lui annonçant que François est retenu à Paris, et, détail important, qu’elle est enceinte. S’amorce alors un conte à deux voix, chacun décrivant à l’autre ses déconvenues sentimentales, Maxime aimant deux demi-soeurs avec une inégale intensité, alors que Daphné s’est jetée dans les bras de François, alors marié, à la suite de ses amours déçues avec un cinéaste qui lui préféra sa meilleure amie.
Tout cela apparaît résolument alambiqué, mais, comme on dit : vous n’avez rien vu ! Ce déballage de confidences multiplie les égratignures sur ces figures en apparence lisses, voire irréprochables, mais pouvant très bien faire preuve de lâcheté, et de duplicité. Car leurs discours prennent de nouvelles facettes lorsque des personnages que l’on croyait anecdotiques accaparent brillamment le devant de la scène, racontant à leur tour leur version de l’histoire sentimentale dont ils étaient jusque-là à la périphérie.
D’où le choix judicieux de Mouret de dévier le cours de ces confidences campagnardes en laissant Vincent Macaigne et une étonnante Émilie Dequenne, ici en épouse trompée, mais digne devant l’outrage, prendre le relais narratif et ainsi explorer toutes les douleurs de l’infidélité conjugale. Car dans cet univers aux allures contemporaines dans ses artifices, ces naufragés du coeur s’expriment comme s’ils venaient d’un autre temps, maniant une langue qui ne semble appartenir qu’à eux seuls, colorée, fleurie, voire théâtrale. Et n’y a-t-il pas quelque chose de plus ironique, et d’anachronique, que d’assister à une chicane de couple où l’on se balance des livres par la tête ?
Certains diront, et avec raison, que la chose est devenue rarissime, même dans le cinéma français. Mais comptez sur Emmanuel Mouret pour assumer pleinement, et avec éclat, sa nostalgie pour les choses bien dites, et bien faites.