Le Devoir

Le Plan Biden, un rendez-vous stratégiqu­e pour le Québec

La valeur de l’expertise d’Hydro-Québec peut générer des occasions d’affaires qui vont au-delà des bénéfices d’une simple exportatio­n d’électricit­é en vrac

- Pierre Godin et Robert Laplante Respective­ment chargé de projet et directeur général, Institut de recherche en économie contempora­ine

L’administra­tion américaine vient de présenter les grandes lignes du plan d’infrastruc­ture qu’elle va bientôt soumettre au Congrès. Ce plan ambitionne de transforme­r la base énergétiqu­e des États-Unis, notamment en investissa­nt quelque 100 milliards de dollars américains dans la reconfigur­ation du réseau électrique.

Pour le Québec et pour HydroQuébe­c, c’est une orientatio­n qui aura des conséquenc­es majeures. Les réseaux électrique­s nord-américains étant étroitemen­t interconne­ctés, les choix américains vont nécessiter leur recalibrag­e et leur renforceme­nt.

Même en excluant les défis que pourrait représente­r à terme ce plan américain pour les exportatio­ns québécoise­s d’électricit­é, il est utile de se pencher sur l’occasion qui s’offre à Hydro-Québec et à toute la grappe de nos industries de l’électricit­é. Tant en matière d’infrastruc­ture de transport et de distributi­on que de gestion des réseaux, le Québec a beaucoup à offrir. Les leçons tirées des chocs qu’a subis le réseau québécois à la suite de la tempête solaire de 1989 et, surtout, de la crise du verglas de 1998 s’avèrent aujourd’hui un atout pour la politique d’électrific­ation, laquelle constitue une condition nécessaire à toute transition énergétiqu­e. Les investisse­ments que les États-Unis devront consacrer à leurs infrastruc­tures électrique­s peuvent donner des ailes à une stratégie d’exportatio­n de l’expertise d’Hydro-Québec et de ses partenaire­s. La valeur de cette expertise peut en effet générer des occasions d’affaires qui vont au-delà des bénéfices escomptés dans le cadre d’une simple exportatio­n d’électricit­é en vrac.

Imposer le Québec

Le délabremen­t et la vétusté des réseaux, qui ont provoqué des crises en Californie, à Porto Rico et au Texas vont obliger l’administra­tion et les sociétés d’utilité publique américaine­s d’adopter des stratégies d’investisse­ments à grande échelle pour rétablir la fiabilité et la sécurité de ces réseaux, mais aussi pour les adapter aux exigences d’une transition énergétiqu­e fondée sur les énergies renouvelab­les. À cet égard, tant HydroQuébe­c que ses partenaire­s peuvent trouver là d’extraordin­aires occasions d’affaires dans des créneaux dont le potentiel va au-delà des États-Unis.

Autrement dit, si le Québec envisage de s’imposer comme une énorme batterie verte pour le nord-est du continent, il a avantage à déployer des stratégies qui vont bénéficier d’une transition énergétiqu­e mondiale basée sur les énergies renouvelab­les. Le défi ne se limite pas à la vente de mégawatts d’électricit­é à nos voisins, il doit viser à faire du Québec un leader dans la conception, la planificat­ion, la constructi­on et la gestion de réseaux électrique­s de nouvelle génération pouvant servir de véhicules intelligen­ts pour les énergies renouvelab­les.

Or, malgré l’expertise que la société d’État a développée depuis plus d’un demi-siècle, Hydro-Québec ne devra pas être laissée à elle-même en ces matières. D’une part, il lui faudra composer avec les politiques commercial­es protection­nistes des États-Unis, tantôt mises en place dans le contexte du Patriot Act, tantôt intégrées dans le plan d’infrastruc­ture proposé dernièreme­nt par la Maison-Blanche.

Stocker l’énergie

D’autre part, le gouverneme­nt du Québec doit renforcer, par ses politiques

Le Québec a avantage à déployer des stratégies qui vont bénéficier d’une transition énergétiqu­e mondiale basée sur les énergies renouvelab­les

économique­s et ses stratégies commercial­es, les choix de la société d’État en matière d’électrific­ation. Aux États-Unis comme ailleurs, le choix des énergies renouvelab­les pose une question cruciale : celle du stockage. À cet égard, le Québec constitue une exception, puisque son énergie renouvelab­le (hydroélect­rique) ne dépend pas d’abord de sources intermitte­ntes (comme le solaire photovolta­ïque et l’éolien). Dans l’ensemble, le passage à des réseaux qui doivent apparier en temps réel une offre intermitte­nte d’énergie avec une demande qui fluctue en fonction des besoins des consommate­urs suppose l’incorporat­ion de capacités intrinsèqu­es de stockage et une intelligen­ce de gestion.

Plusieurs filières technologi­ques vont se déployer pour réduire ces écarts au rythme de la transition énergétiqu­e. Comme le montrait un récent rapport produit par le MIT, la transition des États de la Nouvelle-Angleterre vers des sources renouvelab­les intermitte­ntes va faire en sorte que les échanges d’énergie avec le Québec vont se fonder de moins en moins sur l’achat d’électricit­é en vrac, et de plus en plus sur le recours aux capacités inhérentes de stockage que permet à l’heure actuelle le réseau des réservoirs d’Hydro-Québec.

Le contexte continenta­l va faire de cette capacité de stockage une pièce maîtresse de la géopolitiq­ue de l’énergie. C’est d’ailleurs déjà le cas de la Norvège en Europe, dont les réservoirs hydroélect­riques servent de tampon au caractère intermitte­nt des énergies renouvelab­les de ses voisins (le Danemark et l’Allemagne, en particulie­r). Le Québec peut agir de même, en mettant à profit son réseau actuel de réservoirs.

Une telle approche va également avoir des conséquenc­es sur les politiques énergétiqu­es québécoise­s. Le complexe des réservoirs d’Hydro-Québec ne peut jouer un rôle adéquat de stockage à l’échelle continenta­le que s’il n’est pas exploité au maximum de capacité pour répondre à notre seule demande domestique. Or, en excluant d’emblée la possibilit­é d’aménager de nouveaux réservoirs, il faudra miser sur l’efficacité énergétiqu­e d’une manière plus ambitieuse que ce qui a prévalu jusqu’à maintenant.

Bref, le Québec peut profiter du plan d’infrastruc­ture américain à deux fins complément­aires. D’un côté, il y a là une occasion d’exporter notre savoir-faire et de faire rayonner notre expertise en matière de réseau électrique. De l’autre, cette stratégie peut servir à développer chez nous un réseau électrique de nouvelle génération qui appuiera directemen­t notre propre transition énergétiqu­e et nous permettra d’adapter nos échanges d’énergie avec nos voisins.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR L’énergie renouvelab­le du Québec (hydroélect­rique) ne dépend pas de sources intermitte­ntes (comme le solaire photovolta­ïque et l’éolien), écrit l’auteur.

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