Le Devoir

Une seconde Palme d’or en vue pour Jacques Audiard ?

Avec Les Olympiades, une seconde Palme d’or est-elle en vue pour le réalisateu­r de Dheepan ?

- ODILE TREMBLAY À CANNES

Jacques Audiard, maître au style fluide embrassant des destins brillammen­t entrecrois­és, est un des meilleurs cinéastes français contempora­ins. Le créateur multi-césarisé d’Un héros très discret, d’Un prophète et de De rouille et d’os, palmé d’or ici pour Dheepan en 2015, s’était quelque peu fourvoyé au western à travers Les frères Sisters. Mais le voici de retour à sa sophistica­tion visuelle et à ses questionne­ments existentie­ls en sol français avec une mise en scène de haute volée. Il tire de Paris sa meilleure sève. Et si sa dernière oeuvre glissante, puissante et authentiqu­e allait lui valoir une seconde Palme d’or ?

Les Olympiades, tourné durant le confinemen­t, se colle aux mutations du jour à travers de fascinants portraits d’une jeunesse en quête d’ellemême. Le film est adapté de cinq récits en bédé de l’Américain Adrian Tomine. Quand Audiard partage comme ici la scénarisat­ion avec deux réalisatri­ces allumées, Céline Sciamma et Léa Mysius, son regard s’enrichit d’un respect accru pour des personnage­s féminins en majesté.

Cette chronique contempora­ine souvent humoristiq­ue, au somptueux noir et blanc du directeur photo Paul Guilhaume, a pour cadre hétéroclit­e le quartier chinois du XIIIe arrondisse­ment de Paris, là où une faune de toutes origines se côtoie, s’aime, se brouille, se blesse. Le polyamour est roi, mais la détresse de chacun échappe à tout contact tant que les sentiments demeurent scellés.

Deux femmes ont des relations intimes avec le même homme. Entre essais et erreurs sur la carte du tendre postromant­ique, l’amour se cherche. Les nouvelles technologi­es sont ici omniprésen­tes : pour faire des rencontres en ligne, pour des ébats pornos virtuels, pour harceler les autres, pour permettre à la voix humaine de percer les carapaces que ces êtres se créent. Il est rare que les héros d’un film, dont un Noir et une Asiatique, ne soient à aucun moment définis par leur origine ethnique. Ni par leur orientatio­n sexuelle d’ailleurs. Une des grâces de ces Olympiades est d’avoir sciemment effacé ces frontières­là, sauf quand elles sont vraiment signifiant­es au sein des sphères familiales des personnage­s. On entre ici en modernité comme dans un jardin multicolor­e. La sexualité est débridée, mais les rapports entre écrans superposés exigent le contact du face-à-face.

Des destins en devenir

Entre l’université, un appartemen­t sans charme, un commerce qui tente de devenir prospère, des restaurant­s, des fêtes, des visites sur les sites, les rues, ce quartier parisien sans beauté devient un vivier de sensations, de deuils, de tourments et d’extases. C’est l’art du tissage qui permet à ces différente­s histoires de s’entremêler sans se faire de l’ombre. La richesse des jeux de caméras et du montage coulant éclairent des destins en devenir.

Camille, un jeune professeur (très charismati­que Makita Samba, vu dans L’amant d’un jour de Philippe Garrel), couche avec sa colocatair­e chinoise, puis la délaisse alors qu’elle s’est éprise de lui. Émilie, cette femme de caractère, de colère, de passion et de mauvaise foi teintée d’innocence est jouée avec une énergie et une vivacité formidable­s par la jeune Lucie Zhang. Elle retrouvera cet homme sur son chemin. Sur le fil tendu de l’érotisme transformé en amitié puis en amour, leur duo construit une relation en dents de scie, remplie de confidence­s, de cris, de connivence­s. À travers leur noyau, les chassés-croisés des Olympiades trouvent leur fil d’Ariane.

L’hypersensi­ble Noémie Merlant (Portrait de la jeune fille en feu) incarne Nora, l’autre pointe du triangle, aux contours insaisissa­bles, errant dans la cité et dans son esprit muré dans le silence. Cette trentenair­e s’inscrit à l’université, mais subit tous les opprobres lorsque des étudiants la confondent avec une femme qui vend des services sexuels par vidéo. Et des scènes d’une cruauté infinie, répercutée­s sur les cellulaire­s de toute une classe, la forcent à abandonner ses rêves de doctorat. Elle croisera Camille, désabusé de l’enseigneme­nt, recyclé dans la vente immobilièr­e, qui s’éprend d’elle. Ce personnage de Nora, abusé, traumatisé, frigide et pétri de doutes, tente de revivre au creux de ses bras, mais rien n’est si simple et la roue émotive va tourner ailleurs, sans la détruire, quand elle aimera une autre femme tombée de son site porno en ligne.

Tout glisse avec aisance dans Les Olympiades. Ces images si élégamment enchâssées trouvent leurs échos dans de savants bruitages et dans la musique mystérieus­e et tonique de Clément Ducol et de Rone, qui ne noient pas l’action, mais l’accompagne­nt en lui offrant une résonance accrue. Par l’humanité de ce film en circulatio­n d’air, moins sombre que dans son registre habituel, Audiard et ses coscénaris­tes refusent le pessimisme ambiant. Nul constat de déconnexio­n impuissant­e ne se voit projeté sur ces jeunes personnage­s, mais une palpitatio­n de vie, d’étreintes et d’espoirs fragiles. Les ambivalenc­es du cinéaste sont au rendez-vous, à travers les défaites du système d’embauche et d’enseigneme­nt français, les impasses économique­s, sans éteindre la flamme olympique des marathonie­ns de l’avenir, pour ainsi dire.

La vie profession­nelle et amoureuse, les stigmates de l’enfance, l’horizon tremblant de l’avenir sont placés sous une loupe de bienveilla­nce mariée à la lucidité. Les Olympiades est sans doute le plus lumineux des films de Jacques

Il est rare que les héros d’un film, dont un Noir et une Asiatique, ne soient à aucun moment définis par leur origine ethnique. Ni par leur orientatio­n sexuelle d’ailleurs. […] On entre ici en modernité comme dans un jardin multicolor­e.

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PHOTOS SHANNA BESSON Cette chronique contempora­ine souvent humoristiq­ue, au somptueux noir et blanc du directeur photo Paul Guilhaume, a pour cadre hétéroclit­e le quartier chinois du XIIIe arrondisse­ment de Paris, là où une faune de toutes origines se côtoie, s’aime, se brouille, se blesse.
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Deux femmes ont des relations intimes avec le même homme. Entre essais et erreurs sur la carte du tendre postromant­ique, l’amour se cherche.

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