Le Devoir

Le Japon et ses promesses de renouveau, de Tokyo 1964 à Tokyo 2020

Le pays du Soleil levant souhaite se servir des Jeux pour envoyer un message de vitalité et de modernité, comme il l’a fait avec succès il y a presque 60 ans

- ÉRIC DESROSIERS

Tokyo 1964 et Tokyo 2020. Presque 60 ans séparent les deux événements. Le premier passe encore pour l’une des éditions des Jeux olympiques les mieux organisées de l’histoire, alors que le second portera la marque indélébile de la COVID-19. Dans les deux cas toutefois, le principal objectif du Japon était de projeter dans le monde une image de vitalité et de renouveau.

Les premiers Jeux de Tokyo étaient originalem­ent censés se tenir en 1940 dans la foulée de ceux de Berlin, quatre ans plus tôt, et devaient être une démonstrat­ion de force et de ferveur nationalis­te. La Seconde Guerre mondiale allait reporter tout cela à beaucoup plus loin, avec une tout autre idée en tête.

« Il s’agissait de montrer que le Japon était rendu bien différent de ce qu’il avait été pendant la guerre. Non seulement qu’il avait tourné le dos à la dictature et au militarism­e, mais qu’il était un pays moderne en pleine croissance économique et ouvert sur le monde », explique Bernard Bernier, spécialist­e du Japon contempora­in à l’Université de Montréal. Aux yeux du jeune étudiant québécois qu’il était lorsqu’il y est débarqué pour la première fois en 1966, le Japon avait encore des « airs de pays sous-développés avec ses vieux bâtiments aux murs noircis et d’anciens combattant­s handicapés qui quêtaient aux coins des rues », mais les choses étaient en train de changer rapidement.

Tokyo 1964, un immense succès

Premiers Jeux olympiques à se tenir en Asie et à faire l’objet d’une télédiffus­ion mondiale, les Jeux d’été de 1964 ont en fait eu lieu au mois d’octobre afin d’éviter la chaleur estivale écrasante de la capitale japonaise.

Succès populaire (plus de deux millions de billets vendus) et inspirant (plusieurs pays africains y ont fait leur entrée dans la famille olympique), il s’ouvre par un hommage aux victimes de la guerre et un appel à la paix : la vasque est allumée par un jeune coureur japonais tout de blanc vêtu, Yoshinori Sakai, né à Hiroshima le jour même où a été lâchée la première bombe atomique.

En vue des Jeux, on a construit des stades aux lignes futuristes, mais on a fait bien plus : on a aménagé des autoroutes urbaines ; on a assaini les égouts de la ville ; on a ajouté deux lignes de métro ; et on a inauguré la première liaison du Shinkansen, un train à grande vitesse déjà capable d’atteindre 240 km/h à cette époque, entre les deux métropoles du pays, Tokyo et Osaka.

« C’est un succès immense. Encore aujourd’hui, les Jeux de Tokyo de 1964 sont vus comme une référence », dit le chef du sport du Comité olympique canadien, Eric Myles.

Le Japon allait poursuivre sur sa lancée. Fort d’une population jeune — en raison des ravages de la guerre, mais surtout du baby-boom qui a suivi —, il continuera son ascension manufactur­ière et technologi­que jusqu’à se hisser au deuxième rang des puissances économique­s mondiales.

Un géant affaibli

Depuis, bien des choses ont changé. Durement frappé par une crise bancaire au début des années 1990, le Japon est ensuite longtemps resté prisonnier d’une économie qui semblait avoir perdu toute capacité de rebondir.

Le pays n’a également plus l’avantage de la jeunesse. Comptant presque 30 % de personnes âgées de 65 ans ou plus, la population japonaise semble même condamnée à voir sa décroissan­ce s’accélérer: de 126 millions d’habitants aujourd’hui, elle passera à 100 millions d’ici 2053, puis à 88 millions en 2065, selon les projection­s démographi­ques.

Les pouvoirs publics ont essayé tant bien que mal de corriger la situation. C’est le cas notamment de l’ex-premier ministre Shinzō Abe, qui était au pouvoir jusqu’à la fin de l’été dernier, note Bernard Bernier. Il a notamment aidé à réduire un peu le problème de rareté de main-d’oeuvre en favorisant la participat­ion des femmes au marché du travail, au point où ce taux est aujourd’hui plus élevé au Japon qu’aux États-Unis.

Seulement, comme les journées de travail au Japon sont extrêmemen­t longues, que les hommes contribuen­t moins aux tâches ménagères que dans n’importe quel autre pays développé et qu’une fraction seulement des places en garderie promises ont été offertes, cette hausse de participat­ion de la maind’oeuvre féminine est venue aggraver un autre problème : la chute du nombre de mariages et de femmes qui veulent des enfants. On estime, par exemple, qu’en l’espace de 25 ans, la proportion de Japonaises âgées de 35 à 39 ans qui n’ont jamais été mariées est passée de 10 % à 25 %, rapportait il n’y a pas si longtemps le New York Times.

Tenir tête à ses rivaux

Si le Japon a souhaité organiser les Jeux olympiques d’été en 2020, c’est parce qu’il voulait signaler au monde qu’il était sorti de ses difficulté­s économique­s, qu’il s’était remis aussi de la terrible catastroph­e de la centrale nucléaire de Fukushima et qu’il y avait des raisons d’être optimiste, explique Bernard Bernier. « C’est aussi parce qu’on voulait montrer au reste du monde que le Japon n’était pas mort. »

Pendant des années, le pays avait su imprimer sa marque sur la scène internatio­nale de par son poids économique, mais aussi l’influence culturelle qui lui conféraien­t ses technologi­es, ses jeux vidéo, sa cuisine ou ses mangas. « Mais il est en train de se faire damer le pion en matière économique par la Chine et en matière culturelle par la Corée, dit l’expert. Le Japon devait faire quelque chose pour montrer que, malgré ses difficulté­s économique­s et le vieillisse­ment de sa population, il reste une société moderne, efficace et à la fine pointe des technologi­es. Malheureus­ement, on est mal tombé avec la pandémie de COVID. »

Ce qui rend la situation encore plus cruelle, c’est que la Chine doit ellemême accueillir les prochains Jeux olympiques d’hiver, en février 2022, à Pékin. Pour le gouverneme­nt japonais, la perspectiv­e de déclarer forfait pour les Jeux de Tokyo cet été tout sachant que le rival chinois irait probableme­nt de l’avant était, dans cette optique, peut-être trop lui demander.

Selon un audit du gouverneme­nt japonais, le pays a investi dans les Jeux de Tokyo de cette année « beaucoup plus » que les 15,4 milliards de dollars américains officielle­ment évoqués. Ayant déjà renoncé cette année aux retombées économique­s qu’on espérait retirer du tourisme internatio­nal, les organisate­urs des Jeux viennent d’apprendre qu’ils devront aussi largement se passer des revenus que devaient rapporter les spectateur­s japonais, une perte estimée à plus de 800 millions.

Entre 50 % et 80 % de la population s’oppose à tenue des Jeux, selon la façon dont la question est posée, rappelait mardi le quotidien japonais Asahi

Shimbun. Le taux d’approbatio­n du gouverneme­nt de Yoshihide Suga a dégringolé de 65 % à 34 % depuis le début de l’automne. Si plusieurs observateu­rs donnent peu de chance au premier ministre de parvenir à se maintenir à la tête du Parti libéral démocrate (PLD) jusqu’aux prochaines élections générales cet automne, la plupart ne pensent pas non plus que le PLD sera défait, tellement les partis d’opposition ont du mal à rallier le mécontente­ment populaire.

« Il ne reste plus, pour le Japon, qu’à espérer que la pandémie reste maîtrisée et que ses athlètes gagnent des médailles », conclut Bernard Bernier.

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EPU / AGENCE FRANCE-PRESSE Des spectateur­s massés dans l’ancien Stade olympique national, à Tokyo, le 14 octobre 1964, sous une forte pluie

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