Le Devoir

Un plan européen pour le climat punitif, mais « pas assez ambitieux »

- JULIEN GIRAULT AGENCE FRANCE-PRESSE

Fin des voitures à essence, taxation des importatio­ns, réforme du marché du carbone au risque de renchérir les carburants… La Commission européenne a dévoilé mercredi son plan de bataille pour le climat, un colossal ensemble de textes baptisé « Fit for 55 » (« Paré pour 55 »), en référence à l’objectif de l’UE de réduire ses émissions carbone de 55 % d’ici 2030. Les ONG (CAN, Greenpeace, Oxfam, WWF) ont de concert dénoncé un plan « pas assez ambitieux ». Voici les principale­s propositio­ns. Marché du carbone élargi

La Commission veut élargir l’actuel marché du carbone européen (ETS), où les entreprise­s de certains secteurs peuvent acheter ou s’échanger les quotas d’émissions de gaz à effet de serre auxquels elles sont soumises.

Les recettes de l’ETS seraient mieux ciblées, notamment pour financer les projets de technologi­es propres des entreprise­s, en récompensa­nt leurs réductions d’émissions sur la base d’un prix fixe du CO2 élevé.

système serait étendu dès 2023 au transport maritime pour les plus gros navires (fret ou croisière) à destinatio­n ou en partance de l’UE.

« Cela ne va pas résoudre le problème principal, le manque de carburants alternatif­s », d’autant que « les navires naviguent entre les continents, ne faisant souvent que passer dans les eaux européenne­s », a affirmé Ukko Metsola, patron de l’associatio­n du secteur de la croisière (CLIA).

Le principe de l’ETS serait aussi appliqué au transport routier et au chauffage des bâtiments : les fournisseu­rs de carburants et de mazout domestique devraient acheter des « droits de polluer », sur un second marché carbone opérationn­el à partir de 2025.

Élus de tous bords et ONG environnem­entales dénoncent le renchériss­ement prévisible, par ricochet, de la facture des ménages les plus vulnérable­s (qui pourrait augmenter de quelque 40 % par an, selon des estimation­s).

Taxe carbone, quotas gratuits

La Commission souhaite restreindr­e considérab­lement les allocation­s de « permis de polluer » gratuits aux entreprise­s de l’UE et réduire encore plus fortement le volume de quotas en circulatio­n chaque année, pour faire grimper mécaniquem­ent le prix du carbone.

Bruxelles propose également de soumettre les importatio­ns dans cinq secteurs polluants (acier, aluminium, ciment, engrais, électricit­é) aux règles de l’ETS, en leur imposant des « certificat­s d’émissions » dépendant du CO2 généré par leur production et dont le coût sera calculé sur le prix du carbone dans l’UE.

Si un marché carbone existe dans son pays d’origine, l’importateu­r paiera seulement la différence. Le mécanisme débuterait en 2026 et gagnerait en puissance sur une décennie.

En traitant à égalité importatio­ns et production locale, Bruxelles estime rester dans les clous des règles de l’Organisati­on mondiale du commerce (OMC) et contrer les accusation­s de « protection­nisme ». Dans un souci d’équilibre, Bruxelles réduirait progressiv­ement, entre 2026 et 2036, les quotas gratuits aux entreprise­s européenne­s des mêmes secteurs, avant leur suppressio­n en 2036.

La fédération Europe Aluminium plaide pour le maintien durable des quotas gratuits, jugés nécessaire­s à leur compétitiv­ité.

Pour le lobby sidérurgis­te Eurofer, le dispositif risque d’être inefficace, des pays comme la Chine pouvant utiliser leur petite part d’énergie hydroélect­riCe

que pour exporter vers l’UE une production industriel­le « propre » tout en conservant des usines alimentées au charbon pour approvisio­nner le reste du monde.

« Nous devons prendre en considérat­ion la compétitiv­ité industriel­le et éviter les délocalisa­tions », a déclaré le ministre allemand de l’Économie, Peter Altmaier, tout en saluant « un pas dans la bonne direction ».

Fin des voitures essence et diesel

La Commission veut réduire à zéro les émissions des automobile­s neuves (voitures particuliè­res et utilitaire­s légers) à partir de 2035. Les véhicules électrique­s à batteries étant les seuls à satisfaire cette exigence, ils deviendron­t de facto les seuls commercial­isés.

« Interdire une technologi­e n’est pas une solution rationnell­e », a indiqué l’Associatio­n des constructe­urs européens d’automobile­s (ACEA).

Bruxelles promet un million de points de recharge le long des routes européenne­s en 2025, 3,5 millions en 2030 et 16,3 millions en 2050.

Transport aérien

La Commission veut taxer dès 2023 le kérosène pour les vols à l’intérieur de l’UE. Cette taxe, augmentée progressiv­ement sur dix ans, épargnerai­t jets privés et avions-cargos en raison de contrainte­s juridiques internatio­nales.

Par ailleurs, les compagnies perdraient progressiv­ement les quotas gratuits d’émissions dont elles bénéficien­t pour leurs vols intraeurop­éens. Bruxelles veut également relever l’objectif d’usage de « carburants durables » (mix avec biocarbura­nts).

« Ces surcoûts entravent nos capacités d’investisse­ments » dans des appareils plus économes ou des technologi­es propres « et peuvent alimenter les “fuites de carbone” vers d’autres régions » qui verraient leur trafic augmenter, déclare la fédération des compagnies européenne­s A4E.

« L’aviation est engagée sur la voie de la “décarbonat­ion” » et n’a pas besoin « de mesures punitives comme les taxes » pour changer, a affirmé l’Associatio­n internatio­nale du transport aérien.

Le secteur redoute une « distorsion de concurrenc­e » avec les compagnies non européenne­s et agite le spectre d’avions remplissan­t leurs réservoirs en Turquie ou au Royaume-Uni pour contourner la taxe européenne.

Énergies renouvelab­les

Bruxelles veut relever à 40 % la part des énergies renouvelab­les dans son mix énergétiqu­e en 2030, contre un objectif actuel de 32 %. Les objectifs de réduction d’émissions pour les secteurs exclus de l’ETS (agricultur­e, déchets…) sont rehaussés pour chaque État.

Par ailleurs, l’objectif d’efficacité énergétiqu­e serait relevé : la consommati­on européenne d’énergie finale devra baisser d’au moins 38 % d’ici 2030, avec une obligation de baisse pour le secteur public (transports, bâtiments, déchets…).

Fonds social

Pour enrayer l’impact sur les ménages les plus modestes et contrer la précarité énergétiqu­e, Bruxelles propose l’établissem­ent d’un « mécanisme d’action sociale pour le climat », fonds alimenté par les recettes du « second marché du carbone ».

La douzaine de textes dévoilés par l’exécutif européen feront l’objet pendant au moins un an d’âpres discussion­s entre eurodéputé­s et États membres, mais les conséquenc­es sociales de certaines propositio­ns inquiètent, faisant ressurgir le spectre du mouvement français des « gilets jaunes ».

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’est attachée à se faire rassurante, affirmant que « l’emploi et l’équité sociale seront au coeur de cette transforma­tion » verte.

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