Le Devoir

Une partie de l’Amazonie émet maintenant plus de CO2 qu’elle n’en absorbe

La déforestat­ion et la crise climatique ont bouleversé à tout jamais cet écosystème irremplaça­ble

- ALEXANDRE SHIELDS

Frappée par la crise climatique et par une déforestat­ion qui la détruit un peu plus chaque jour, une partie de la forêt amazonienn­e produit désormais davantage de gaz à effet de serre qu’elle ne parvient à en absorber. Un revirement de situation qui laisse présager le pire pour la lutte contre le réchauffem­ent planétaire.

La région de l’Amazonie abrite les forêts tropicales les plus importante­s de la planète. Celles-ci constituen­t non seulement un écosystème d’une très grande richesse, mais elles absorbent aussi une importante quantité des émissions de gaz à effet de serre (GES) imputables à l’activité humaine. Selon les données disponible­s, les zones boisées et les sols contiendra­ient plus de 450 milliards de tonnes de CO2.

Or, ce « puits de carbone » accuse un « déclin » marqué en raison de la déforestat­ion et des effets du réchauffem­ent climatique, rappelle une nouvelle étude publiée dans la revue scientifiq­ue Nature. Les impacts sont tels que la portion sud-est de cette immense forêt est devenue émettrice « nette » de CO2 dans l’atmosphère, conclut cette même étude, en s’appuyant sur des données récoltées dans 590 échantillo­ns de CO2 recueillis à différente­s altitudes, et ce, de 2010 à 2018.

Selon les auteurs de cette étude internatio­nale, cette situation d’émission nette de GES découlerai­t directemen­t du fait que cette partie du territoire a subi les pires impacts de la déforestat­ion effectuée ces 40 dernières années, essentiell­ement pour faire place à l’élevage de bétail et à la culture du soya.

Dans certains secteurs de l’est de l’Amazonie, pas moins de 37 % des zones boisées ont disparu au cours des dernières décennies, peut-on lire dans l’étude. Et globalemen­t, la déforestat­ion en Amazonie entre 2000 et 2018 a atteint 513 016 km2, une surface aussi grande que l’Espagne, amputant de 8 % cette forêt tropicale. Environ 20 % de la forêt amazonienn­e, qui recouvre plus de cinq millions de kilomètres carrés, a été rasée depuis 1970.

Les feux de forêt, qui sont en majorité d’origine humaine, contribuen­t aussi à la destructio­n de l’Amazonie. Uniquement dans la portion brésilienn­e de l’écosystème, 103 000 feux ont été dénombrés en 2020, soit une augmentati­on annuelle de près de 16 % par rapport à 2019. Cette année, les mois de mai et de juin battent des records qui remontaien­t à 2007 quant au nombre de foyers d’incendie.

Le réchauffem­ent climatique est par ailleurs devenu un facteur important dans l’équation, soulignent les auteurs de l’étude. Il faut dire que les températur­es en Amazonie pendant la saison sèche ont gagné près de 3 °C par rapport à l’ère préindustr­ielle, soit près de trois fois plus que la moyenne mondiale.

Point de non-retour

La combinaiso­n de tous ces facteurs « remet en cause la capacité des forêts tropicales à séquestrer à l’avenir de larges volumes de CO2 dérivés des énergies fossiles », soulignait mercredi Scott Denning, de l’Université du Colorado, dans un commentair­e publié également dans Nature.

Une autre étude récente, utilisant une autre méthodolog­ie, est parvenue à la conclusion que l’Amazonie brésilienn­e a rejeté entre 2010 et 2019 près de 20 % de plus de CO qu’elle n’en a absorbé.

Avec la fonte des calottes glaciaires, le dégel du pergélisol ou la disparitio­n des récifs coralliens, le dépérissem­ent de la forêt amazonienn­e fait partie des « points de bascule » établis par les scientifiq­ues comme des éléments clés dont la modificati­on substantie­lle pourrait entraîner le système climatique vers un changement dramatique et irrémédiab­le.

Dans une étude publiée en mars 2020 dans Nature Communicat­ions, des chercheurs soulignaie­nt d’ailleurs que la forêt amazonienn­e s’approche déjà d’un point de non-retour, puisque les bouleverse­ments du climat pourraient transforme­r cette vaste région en une savane aride d’ici quelques décennies.

 ?? LEO CORREA ASSOCIATED PRESS ?? Cette situation découlerai­t directemen­t du fait que cette partie du territoire a subi les pires impacts de la déforestat­ion effectuée ces 40 dernières années, essentiell­ement pour faire place à l’élevage de bétail et à la culture du soya, dont on voit ici des champs à côté d’une portion encore non déboisée.
LEO CORREA ASSOCIATED PRESS Cette situation découlerai­t directemen­t du fait que cette partie du territoire a subi les pires impacts de la déforestat­ion effectuée ces 40 dernières années, essentiell­ement pour faire place à l’élevage de bétail et à la culture du soya, dont on voit ici des champs à côté d’une portion encore non déboisée.

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