Le Devoir

« Flipper » le Vieux-Saint-Jean

Un investisse­ur immobilier spécialisé dans la rénovation et la revente rapide rêve d’une remise à neuf de son quartier

- ROXANE LÉOUZON

Petits cafés accueillan­ts, boutiques originales, nouvelles copropriét­és… Le centre-ville de Saint-Jean-sur-Richelieu, en Montérégie, se refait une beauté et attire de plus en plus de commerçant­s et de résidents depuis quelques années. Mais dans le Vieux-Saint-Jean, de nombreux citoyens à faibles revenus occupent à loyer modeste de petites maisons presque centenaire­s en tôle, dont certaines tombent en ruine. Comment dynamiser cet ancien quartier ouvrier sans exclure une partie de ses habitants ?

Un investisse­ur immobilier spécialisé dans la rénovation et la revente rapide rêve d’un nouveau genre de flip pour son quartier natal. En se promenant rue Frontenac, Jean-François Tremblay désigne une dizaine d’immeubles qui lui appartienn­ent. Le trentenair­e a une vingtaine de locataires répartis sur un pâté de maisons.

« Ce sont des loyers de 600 à 800 dollars », souligne celui qui est fondateur de Flip Académie, qui offre des formations en immobilier. Il pointe ensuite une constructi­on récente en pierres grises. « Les locataires qui sont là payent 1300 $ par mois. »

M. Tremblay ne s’en cache pas, il souhaite détruire ces vieux bâtiments pour reconstrui­re à neuf. Il a l’ambition d’acquérir plusieurs autres propriétés pour mener à bien son projet. Il convoite aussi un terrain vague qui appartient à la Ville, où se trouvait autrefois une usine. En tout, pour la phase 1 de son projet, il veut construire environ 200 logements dans un espace où il s’en trouve actuelleme­nt quelques dizaines. Ultimement, c’est son quartier au complet qu’il veut reconstrui­re.

« Je veux voir l’image et la vie du quartier s’améliorer, laisser ma trace, me dire que c’est en partie grâce à moi qu’on est rendus ailleurs », dit-il.

M. Tremblay, ayant grandi à SaintJean-sur-Richelieu et y habitant toujours, assure qu’il ne veut pas expulser les locataires actuels. « Je vais les recroiser à l’épicerie, au dépanneur, au festival des Montgolfiè­res, alors la [responsabi­lité] est là », souligne-t-il.

Il a donc l’intention de commencer par construire de nouveaux logements sur le terrain vague, si la Ville le lui vend. Ensuite, il compte offrir à ses locataires d’être transférés là pendant qu’il rebâtit leurs anciens logements. Pour M. Tremblay, les nouvelles constructi­ons devront s’intégrer de façon harmonieus­e dans le cadre bâti du quartier. « Ça serait du style qu’on appelle boom town, en briques rouges », précise-t-il.

Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Pour inclure du logement abordable dans son projet, il aura besoin du soutien de la Société canadienne d’hypothèque­s et de logement et de l’administra­tion municipale, estime-t-il.

Un développem­ent apprécié

Sans s’engager à donner le feu vert à M. Tremblay, le maire de Saint-Jeansur-Richelieu et la conseillèr­e municipale du quartier jugent que des projets comme le sien sont les bienvenus dans le Vieux-Saint-Jean.

« Que ce soit le projet de M. Tremblay ou un autre, un projet qui a une vision d’ensemble, qui respecte les citoyens, qui respecte le patrimoine bâti, c’est sûr que je suis pour ça », juge la conseillèr­e municipale indépendan­te Mélanie Dufresne, en entrevue dans les bureaux de M. Tremblay, situés dans une ancienne taverne un peu décrépite du Vieux-Saint-Jean. Je trouve ça intéressan­t de voir la nouvelle génération de promoteurs qui font de belles réalisatio­ns déjà dans le quartier. »

Les besoins en logements et l’intérêt des promoteurs sont tels, dans la ville de près de 100 000 habitants, que la municipali­té a autorisé récemment la constructi­on de 500 nouveaux logements, souligne pour sa part le maire, Alain Laplante. « Tout ce qui se construit se vend très rapidement », affirme-t-il, en entrevue sur une belle place publique aménagée au bord de la rivière Richelieu. Selon lui, il est nécessaire de densifier les anciens secteurs industriel­s pour éviter un étalement urbain sur les terres agricoles.

Or, de nombreux citoyens peu fortunés sont déjà poussés hors du quartier à mesure que l’attrait de celui-ci augmente, selon la directrice générale du Centre de partage communauta­ire Johannais, situé dans le Vieux-SaintJean. « Ces gens-là qu’on aide, qui perdent leur logement, malheureus­ement, il faut quasiment qu’ils s’exilent en dehors de Saint-Jean, parce qu’il n’y a presque plus de logements à prix modique », constate Karine Beaupré.

À cet effet, M. Laplante et Mme Dufresne estiment tous deux que des partenaria­ts doivent être conclus entre les promoteurs, la Ville et le gouverneme­nt fédéral pour inclure du logement social dans les projets immobilier­s. « C’est important, parce qu’il y a des gens ici, au centre-ville, qui habitent dans des conditions exécrables. Il y a des endroits où il y a de la moisissure, de l’eau s’accumule dans les sous-sols, il y a beaucoup de problèmes », rapporte la conseillèr­e.

Un témoin de notre histoire

De nombreuses petites villes du Québec au passé industriel sont aux prises avec des situations semblables, observe l’urbaniste Gérard Beaudet, professeur à l’Université de Montréal. « Il y en a plus d’une cinquantai­ne, notamment à proximité de Montréal, comme Lachute, Saint-Jérôme, Joliette, Salaberry-de-Valleyfiel­d, Saint-Hyacinthe. À compter de 1875, elles ont connu un développem­ent important avec l’établissem­ent de plusieurs usines, raconte-t-il. Lorsque plusieurs usines ont fermé, dans les années 1970 et 1980, ça a laissé en plan toute une population moins favorisée qui a eu de la difficulté à se reposition­ner sur le marché du travail. »

Dans plusieurs cas, les propriétai­res n’ont pas investi dans leurs bâtisses, certains n’ayant pas les moyens suffisants pour le faire, d’autres se livrant à la spéculatio­n. Le cadre bâti s’est donc dégradé. Selon M. Beaudet, la meilleure solution est de mettre en place des programmes de rénovation suffisamme­nt attrayants pour que les propriétés retrouvent leur lustre d’antan. « Même des cadres bâtis modestes ont une valeur patrimonia­le. Elle n’est pas nécessaire­ment exceptionn­elle, mais il y a une certaine harmonie qui fait le charme de ces quartiers », souligne-t-il.

Les nouvelles constructi­ons peuvent aussi être effectuées adéquateme­nt, croit-il, dans des formules qui incluent du logement abordable. « Mais il faut que ce soit sélectif. Il faut que la municipali­té assure le leadership, qu’on fasse une évaluation correcte de ce qui vaut la peine d’être préservé. Quels sont les bâtiments d’intérêt ? Quels sont ceux qui sont irrécupéra­bles ? On ne peut pas livrer un quartier de l’époque industriel­le en pâture aux promoteurs », conclut-il.

Il faut que la municipali­té assure le leadership, qu’on fasse une évaluation correcte de ce qui vaut la peine d’être préservé. […] On ne peut pas livrer un quartier de l’époque industriel­le en pâture aux promoteurs.

GÉRARD BEAUDET

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PHOTOS JACQUES NADEAU ET ROXANE LÉOUZON LE DEVOIR En haut: JeanFranço­is Tremblay, fondateur de Flip Académie, souhaite que les nouvelles constructi­ons s’intègrent de façon harmonieus­e dans le cadre bâti du Vieux-Saint-Jean. En bas : L’investisse­ur immobilier s’intéresse à un ancien quartier ouvrier, qui regorge de petites maisons en tôle, presque centenaire­s, et qui auraient besoin de rénovation­s.
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