Les leçons à tirer d’une journée sans écrans
Réflexion universitaire sur les défis et les bienfaits d’une journée sans écran
Pas de cellulaire, de télévision, d’ordinateur ou encore de jeux vidéo pendant 24 heures. C’est le défi qu’une professeure de l’UQAM a lancé à plus d’une centaine de ses élèves l’automne dernier, en plein confinement. L’expérience, plus facile à dire qu’à faire, les a poussés à entamer une réflexion sur leur usage des écrans qu’ils ont récemment partagée en dehors de l’université.
« Au début c’était difficile, je ne savais pas quoi faire. J’avais juste envie de regarder mon téléphone », confie Rosalie Guay, 21 ans. L’étudiante en cinéma se souvient encore de ces 24 heures de déconnexion effectuées en décembre. « Je me disais que la journée ne se terminerait jamais », ajoute-t-elle en riant.
Elle avait pourtant trouvé l’idée « très intéressante » lorsque la professeure Katharina Niemeyer, qui donne le cours d’Introduction aux théories de la communication médiatique, leur a proposé cet exercice pédagogique au début de la session d’automne.
Dans un contexte de pandémie qui forçait les étudiants à être plus connectés que jamais — cours à distance sur Zoom, spectacles virtuels et 5 à 7 entre amis sur Messenger —, la professeure à l’École des médias souhaitait leur offrir une pause des écrans tout en les encourageant à réfléchir sur leur usage des médias et des technologies.
« C’est la première fois que je proposais ça. […] Je ne m’attendais pas à autant d’ouverture de leur part. Ils ont livré des projets très intimes, avec une belle sensibilité et de la profondeur », indique-t-elle.
Les étudiants avaient le choix de remettre un compte rendu de leur déconnexion sous forme de texte écrit, de vidéo ou de balado. Sur les quelque 150 inscrits au cours, seule une poignée n’ont pu se prêter au jeu pour des raisons personnelles. Les autres ont tellement appris de cette expérience qu’ils ont voulu la partager au grand public sur un site Web lancé le mois dernier, sous la coordination de Mme Niemeyer.
Loin de vouloir faire la morale, ce site se veut un moyen d’encourager quiconque à réfléchir sur sa consommation numérique en donnant « des pistes pour se (re)connecter avec soi et les autres », peut-on y lire.
Apprentissages
Qui aurait pu penser qu’en seulement 24 heures de déconnexion, les apprentissages seraient aussi nombreux ? Dans leurs récits, beaucoup d’étudiants racontent en avoir profité pour passer davantage de temps avec leur famille.
C’est le cas de l’étudiante en médias interactifs Florence Chénier-Jacques. « J’ai appris beaucoup plus sur mes parents et ma soeur en une journée qu’en vivant avec eux pendant 19 ans », lance-t-elle. Bien qu’elle se dise proche de sa famille, son téléphone n’était jamais loin lorsqu’elle passait du temps avec eux, ce qui affectait la qualité de leurs échanges. « Là j’étais plus présente, plus alerte, je leur posais des questions, je voulais savoir ce qu’ils faisaient de leur journée, comment ils allaient. »
Loin de la distraction de leurs écrans bleus, d’autres étudiants soulignent avoir renoué avec d’anciens passe-temps auxquels ils n’accordaient plus d’importance : peinture, lecture, écriture, cuisine, etc.
Et puisque c’était le travail demandé, la plupart ont bien sûr pris le temps de réfléchir à leur utilisation des écrans. Beaucoup ont réalisé être dépendants de leur cellulaire, certains ont même avoué avoir triché durant l’exercice pour envoyer un texto.
« J’ai compris que j’étais plus accro que je pensais, confie d’ailleurs Rosalie Guay, qui a tout de même résisté à la tentation. […] C’est surtout un réflexe, ton téléphone, c’est ta 3e main aujourd’hui. Mais j’avais aussi peur de manquer quelque chose, qu’on me texte pour quelque chose de grave, que je manque une chicane d’amis. »
Le fameux FOMO (« fear of missing out »), cette peur de manquer quelque chose, bien d’autres l’ont exprimé à leur façon. Et c’est surtout une critique de leur utilisation des réseaux sociaux en particulier qui est ressortie de ces confidences.
Bonnes habitudes
« Tout le monde sait que c’est une relation toxique, mais on n’est pas capable de s’en débarrasser, car [les réseaux sociaux] sont aussi une manière de s’évader et de rester connectés avec nos amis », analyse Florence Chénier-Jacques. Cette courte pause lui a justement permis de souffler un peu et de décrocher de cette pression sociale qui la pousse à se comparer aux autres en permanence.
« Souvent on regarde les autres en se disant qu’on voudrait la même vie qu’eux, la même silhouette qu’eux. On veut toujours mieux sans réaliser que ce qu’on a, comment on est, c’est très bien aussi. » Elle précise d’ailleurs dans son texte que cette courte déconnexion lui a « offert un pas vers l’acceptation de [son] corps. »
« Je ne sais pas si c’est la pandémie, qui a enlevé beaucoup de choses à tout le monde, ou cette expérience sans écran, mais je me suis mise à regretter les moments passés où je restais sur mon cell alors que j’étais avec mes amis et ma famille, raconte de son côté Rosalie Guay. Maintenant je profite beaucoup plus du moment présent. […] J’essaie de faire attention, j’utilise vraiment moins mon téléphone. »
Il ne faut pas nier toutefois l’intérêt de ces appareils numériques qui font désormais partie de notre quotidien, nuance-t-elle. « Ça permet de nous garder connectés. Je suis dans une relation longue distance et sans ça, ce serait difficile. »
Florence Chénier-Jacques dit aussi avoir réduit son utilisation des écrans depuis son expérience. Elle indique également avoir « un regard différent » sur elle-même et son utilisation des réseaux sociaux.
« Je pense que je referai cette expérience, lance pour sa part la professeure Niemeyer. C’était très intéressant et bénéfique pour les étudiantes. »
J’ai appris beaucoup plus sur mes parents et ma soeur en une journée qu’en vivant avec eux pendant 19 ans
FLORENCE CHÉNIER-JACQUES
Au début, j’avais juste envie de regarder mon téléphone. Je me disais que la journée ne se terminerait jamais!
ROSALIE GUAY