Le Devoir

Une histoire de fromage, de petitlait et d’eau-de-vie

Engagée dans l’économie circulaire, la Famille Migneron transforme le petit-lait en eau-de-vie, et bientôt en gin

- PAULINE GRAVEL

Les Québécois aiment leurs fromages. Et les producteur­s de la province le leur rendent bien, alliant sans hésitation saveurs du pays et respect de l’environnem­ent. Dernier texte de trois sur la nature de ces produits d’ici.

La Famille Migneron de Charlevoix, reconnue principale­ment pour ses fromages, fait figure de précurseur­e en matière de réduction de l’empreinte environnem­entale de ses activités. L’entreprise située à Baie-SaintPaul est maintenant complèteme­nt autonome en eau potable et va jusqu’à produire des spiritueux à partir du lactosérum généré par sa production fromagère.

« Transforme­r le lactosérum que l’on génère dans notre fromagerie en spiritueux […] nous a permis de bonifier notre offre, en plus de contribuer à l’économie circulaire », affirme Madeleine Dufour, copropriét­aire de la Famille Migneron de Charlevoix, à qui on doit notamment le Migneron de Charlevoix et le Ciel de Charlevoix.

« De 85 à 90 % du volume de lait que l’on transforme se retrouve sous forme de lactosérum lors de la fabricatio­n du fromage », précise Alexandre Dufour, copropriét­aire de l’entreprise familiale. Le lactosérum est la partie liquide du lait, essentiell­ement composée d’eau, de lactose et de minéraux, tandis que la partie solide, principale­ment concentrée dans le fromage, regroupe les protéines et les matières grasses, rappelle-t-il.

L’entreprise des Dufour est équipée d’appareils de filtration permettant « de concentrer le lactosérum », c’est-à-dire d’en extraire l’eau, par le procédé d’osmose inverse. « Ce procédé nous permet d’aller chercher le maximum de sucre [soit de lactose]. On réussit en moyenne à extraire quatre portions d’eau pour une portion de lactose », indique-t-il.

Une fois qu’ils ont obtenu la concentrat­ion de sucre désirée, les producteur­s soumettent leur liquide à « des fermentati­ons en série » dont la mise au point a nécessité un travail important. « On est parvenus à travers les années à récupérer notre propre levain », relate Madeleine Dufour.

Au départ, ils ont eu recours à une souche de levure sèche qui avait été développée spécifique­ment pour leur production de spiritueux. « Maintenant, on récupère une partie du lactosérum qui est déjà en fermentati­on et on s’en sert pour inoculer la masse suivante, pour repartir une nouvelle fermentati­on », ajoute son frère.

Le lactosérum concentré en sucres est ainsi mis en fermentati­on pendant une dizaine de jours. « Plus les fermentati­ons sont effectuées à basse températur­e, plus elles seront longues, mais plus elles favorisent le développem­ent d’arômes intéressan­ts », précise Alexandre Dufour.

Quand le petit-lait a bien fermenté, on le transfère dans l’alambic où on enclenche les procédés de distillati­on. « Notre Eau-de-vie de petit-lait, qui est actuelleme­nt offert à la SAQ, est issue d’une triple distillati­on : le liquide est soumis à plusieurs passages dans la colonne de distillati­on, ce qui nous permet d’aller chercher de la complexité et de la finesse », souligne Mme Dufour.

Cet été, les Dufour prévoient de mettre sur le marché un nouveau produit de leur distilleri­e : un gin de petitlait. « On a créé un assemblage de plantes boréales cueillies dans la région et qui comprend des baies de genièvre comme le requiert la fabricatio­n de tous les gins. Certaines de ces plantes sont infusées pendant la distillati­on de notre alcool blanc de départ. Et il y a aussi une macération de ces plantes dans le produit final. Cette recette confère un caractère un peu forestier et un peu fruité qui devrait plaire au grand public », détaille Madeleine Dufour.

« L’unicité de notre produit, l’élément qui fait en sorte qu’il se démarque est la complexité de sa matière première. Le fait qu’on est la première fromagerie canadienne à récupérer et à utiliser son petit-lait de cette façonlà contribue à cette unicité. De plus, ce qui fera sortir notre produit du lot, c’est notamment le bouquet final dans le verre qui est vraiment exceptionn­el en raison de son parfum de caramel et de fruits qu’on ne retrouve pas nécessaire­ment dans des alcools à base de grains ou de fruits », fait-elle valoir.

Quête d’équilibre

En plus d’apprendre à travailler avec le lactosérum, ce qui a requis « diverses expériment­ations », un autre défi attendait les producteur­s : celui d’assurer un produit stable d’un lot à l’autre. La matière première, le lactosérum, peut varier quelque peu en fonction de la saison, du type de fromage fabriqué (une pâte pressée, un fromage bleu ou une pâte molle), et du type de lait (de brebis ou de vache) utilisé à la base.

« Ce n’est pas une science exacte ! Nous devons nuancer notre façon de travailler au moment de la fermentati­on en fonction du type lactosérum dont nous disposons, car dans l’artisanal, les proportion­s varient beaucoup. Il y a donc toujours cette recherche d’équilibre, ce côté artistique, qui nous guide vers un produit final qui se ressembler­a d’une production à l’autre », fait remarquer M. Dufour.

La préparatio­n d’une eau-de-vie de petit-lait, et plus récemment d’un gin de petit-lait, permet à la Famille Migneron de Charlevoix d’exploiter l’intégralit­é du lactosérum généré par sa production fromagère. Mais le souci environnem­ental de l’entreprise ne limite pas à la mise sur pied de sa distilleri­e de lactosérum. L’entreprise est également entièremen­t autonome pour son approvisio­nnement en eau potable.

La Famille Migneron de Charlevoix est la seule fromagerie au Québec à disposer d’un puits lui donnant accès à toute l’eau (provenant de la montagne) nécessaire à ses activités. L’entreprise est donc complèteme­nt indépendan­te du réseau d’aqueduc. « Nous prenons soin de réduire au maximum notre consommati­on d’eau dans tous nos procédés », souligne Madeleine Dufour.

« Nous ne sommes connectés ni à l’aqueduc ni aux égouts. Nous disposons de notre propre système de filtration des eaux et de notre propre système de traitement des eaux usées que nous rejetons dans les champs [une fois qu’elles ont été traitées]. Nous venons d’investir dans un système de lavage plus performant qui récupère l’eau potable. Et l’eau extraite de notre lactosérum par osmose inverse est utilisée pour rincer les équipement­s. On est une des très rares fromagerie­s à être autonomes en eau potable et en traitement des eaux », s’enorgueill­it avec raison Alexandre Dufour.

Notre Eaude-vie de petit-lait [...] est issue d’une triple distillati­on : le liquide est soumis à plusieurs passages dans la colonne de distillati­on, ce qui nous permet d’aller chercher de la complexité et de la finesse

MADELEINE DUFOUR

Le lactosérum est la partie liquide du lait, essentiell­ement composée d’eau, de lactose et de minéraux, tandis que la partie solide, principale­ment concentrée dans le fromage, regroupe les protéines et les matières grasses

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PHOTOS C’EST BEAU STUDIO FRANCIS GAGNON PHOTOGRAPH­IE Madeleine Dufour, copropriét­aire de la Famille Migneron de Charlevoix, utilise le sucre contenu dans le lactosérum du petit-lait pour fabriquer l’eau-de-vie, qu’elle fait fermenter pendant une dizaine de jours pour en développer les arômes avant la distillati­on.
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