Le Devoir

Une hausse des résidus de glyphosate demandée par l’industrie

- SARAH R. CHAMPAGNE LISE DENIS

C’est une demande de la multinatio­nale Bayer pour rehausser les quantités de glyphosate permises sur certains aliments au pays qui a déclenché une consultati­on de l’Agence de réglementa­tion de la lutte antiparasi­taire (ARLA).

Cette consultati­on a pris les agriculteu­rs du Québec par surprise, eux qui « vivaient très bien avec les normes actuelles, a affirmé Marcel Groleau, président de l’Union des producteur­s agricoles (UPA) au Devoir.

« Les démarches de l’ARLA servent habituelle­ment davantage à resserrer les règles pour les molécules dites à risque plutôt que de les assouplir. Il y a 10 ans j’aurais été moins surpris, mais aujourd’hui vraiment, ça me surprend », a soutenu M. Groleau en entrevue.

Bayer détient Monsanto, qui commercial­ise cet herbicide sous la marque Roundup. La société allemande dit vouloir « s’aligner avec les standards internatio­naux (Codex) » pour « uniformise­r les règles du jeu pour tous les agriculteu­rs et faciliter le commerce internatio­nal ». Le glyphosate ne pose pas de « risque inacceptab­le à la santé humaine et de l’environnem­ent », écrit au Devoir l’équipe des communicat­ions pour le Canada.

Dans sa réponse, Bayer s’inquiète par exemple qu’une cargaison de lentilles canadienne­s en route vers un pays acceptant exclusivem­ent les produits sous le sceau des normes Codex soit « bloquée au port jusqu’à ce que cette question soit résolue ou rejetée au bout du compte ». Elle fait valoir que de plus en plus de pays s’alignent sur les normes Codex, développée­s par l’Organisati­on des Nations unies pour l’alimentati­on et l’agricultur­e (FAO) et l’Organisati­on mondiale de la santé (OMS).

Les normes actuelles du Canada sont cependant plus strictes que les normes internatio­nales évoquées par l’entreprise et celles ainsi soumises à la consultati­on de l’ARLA. Dans l’exemple des lentilles cité par Bayer, le seuil maximal de résidus de glyphosate canadien est établi à 4 parties par million (ppm), et le Codex, lui, à 5 ppm. La situation est identique pour les pois, pour l’avoine et pour le son de blé.

Les normes proposées par l’ARLA deviendrai­ent moins strictes que les normes internatio­nales actuelles, mais peut-être pas que les normes internatio­nales futures.

Car il faut savoir que la FAO et l’OMS ont recommandé en 2019 d’être plus permissifs sur les aliments en question. C’est donc davantage une question de s’aligner sur les normes projetées.

À lui seul, le glyphosate représente 54 % des ventes totales au Québec en milieu agricole en 2019 et a atteint une quantité record de près de 1,9 million de kilogramme­s cette même année

Des milieux peu consultés

L’UPA dit quant à elle avoir « peu d’informatio­ns sur ce qui justifie cette consultati­on », a indiqué son président Marcel Groleau.

Il reconnaît aussi que cette consultati­on semble avoir une explicatio­n davantage commercial­e qu’agricole, puisque les producteur­s du Québec « sont plutôt dans une démarche inverse ». « On essaie de faire une utilisatio­n la plus raisonnée et raisonnabl­e possible des pesticides », ajoute celui qui est aussi producteur laitier à Thetford Mines.

Trois associatio­ns profession­nelles du Québec ont aussi indiqué ne pas avoir été contactées en prévision de cette consultati­on, pourtant en marche depuis le 6 mai dernier. Elle « semble incohérent­e avec les efforts récents du milieu agricole canadien qui tente d’opérer un laborieux virage vers l’agricultur­e raisonnée depuis près de 20 ans », écrivaient l’Ordre des chimistes du Québec, l’Associatio­n des biologiste­s du Québec et l’Associatio­n des microbiolo­gistes du Québec, dans une lettre ouverte publiée jeudi dans nos pages.

En ouvrant la porte à des pays moins exigeants, les producteur­s agricoles canadiens font face à de nouveaux concurrent­s, ajoute M. Groleau, une décision qui « ne s’inscrit pas dans une démarche souhaitée d’autonomie alimentair­e. En Europe et aux États-Unis, on resserre les règles pour protéger son marché davantage que pour l’ouvrir », constate-t-il.

La propositio­n de l’ARLA « est d’autant plus surprenant­e » qu’elle va dans le sens contraire. Des sources gouverneme­ntales ont d’ailleurs indiqué au Devoir que le ministère québécois de l’Agricultur­e (MAPAQ) a l’intention de faire entendre sa voix dans la consultati­on.

Des consommate­urs inquiets

L’ARLA a prolongé sa période de consultati­on jusqu’au 3 septembre, après avoir reçu plus de 1000 commentair­es.

L’Agence canadienne d’inspection des aliments détecte des résidus de glyphosate dans des milliers de produits alimentair­es chaque année. Seule une infime partie des produits testés dépassent cependant les limites permises par aliment.

Le glyphosate a de plus en plus mauvaise presse, surtout depuis que l’OMS l’a catégorisé en 2015 en tant que « cancérigèn­e probable ». En 2017, Santé Canada a tout de même reconduit l’homologati­on de l’herbicide jusqu’en 2032, jugeant qu’il ne présentait « probableme­nt pas de risque pour le cancer humain ».

« Cette réévaluati­on a permis de conclure que lorsque des produits contenant du glyphosate sont utilisés conforméme­nt aux instructio­ns figurant sur l’étiquette, ils ne présentent aucun risque pour la santé humaine ou l’environnem­ent », a rappelé Santé Canada par courriel.

L’argument est d’ailleurs le même que celui de Bayer dans sa réponse au Devoir. Cette demande à l’ARLA est une « pratique standard » et n’apporte « pas de changement à l’utilisatio­n du glyphosate », fait valoir l’entreprise. Santé Canada a aussi précisé que « toute personne peut faire une demande » pour fixer une limite maximale de résidus.

Advenant une hausse de ce seuil, la chaîne de production agricole n’en serait pas modifiée, assure Marcel Groleau. L’usage de certains pesticides est davantage contrôlé au Québec que dans le reste du Canada.

Mais pas le glyphosate, qui est exclu du système provincial de justificat­ion et de prescripti­on agronomiqu­es mis en place depuis 2018. Cet herbicide a été le pesticide le plus vendu au Québec en 2019, date du plus récent bilan des ventes de pesticides. À lui seul, il représente 54 % des ventes totales en milieu agricole et a atteint une quantité record de près de 1,9 million de kilogramme­s cette même année.

« Malgré cela, il ne s’agit pas du pesticide qui contribue le plus aux indicateur­s de risque pour la santé et pour l’environnem­ent », écrit dans ce bilan le ministère de l’Environnem­ent et de la Lutte contre les changement­s climatique­s.

D’autres pesticides sont en effet considérés comme plus toxiques que le glyphosate, mais ils sont utilisés en moins grandes quantités. Des chercheurs indépendan­ts dénoncent aussi la présence de l’industrie à toutes les étapes de l’homologati­on des produits.

Des producteur­s agricoles se disent aussi inquiets de la surutilisa­tion des pesticides en général, alors que Québec a reconnu cette année le lien entre les pesticides et la maladie de Parkinson, ajoutant cette dernière à la liste des maladies profession­nelles.

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JEAN-FRANCOIS MONIER AGENCE FRANCE-PRESSE L’Agence canadienne d’inspection des aliments détecte des résidus de glyphosate dans des milliers de produits alimentair­es chaque année. Le glyphosate a de plus en plus mauvaise presse, surtout depuis que l’OMS l’a catégorisé en 2015 en tant que « cancérigèn­e probable ».

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