Le Devoir

Tokyo n’a pas le coeur à la fête

- ÉRIC DESROSIERS

Tokyo n’a pas le coeur à la fête à la veille du lancement officiel de ses Jeux olympiques.

Une autre tuile est tombée sur la tête du comité organisate­ur des Jeux, jeudi, lorsqu’il a dû démettre de ses fonctions le directeur artistique de la cérémonie d’ouverture, prévue le lendemain, pour une mauvaise blague sur l’Holocauste. « Nous avons appris que lors d’une performanc­e artistique passée », Kentarō Kobayashi « avait usé d’un langage moqueur au sujet d’un fait historique tragique », a déclaré à la presse la présidente de Tokyo 2020, Seiko Hashimoto.

Ce limogeage venait s’ajouter à une série d’autres départs précipités ces derniers mois, notamment du compositeu­r de l’un des thèmes musicaux de la cérémonie d’ouverture pour une histoire d’intimidati­on de camarades de classe durant sa jeunesse, d’un autre responsabl­e artistique des cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux pour s’être moquée sur les médias sociaux du physique d’une comédienne japonaise, ainsi que du président de Tokyo 2020 et ancien premier ministre japonais, Yoshirō Mori, pour des commentair­es sexistes.

Mais c’est toujours la décision de ne pas remettre encore une fois — ou de simplement annuler — la tenue des Jeux en dépit des risques qu’ils font peser en matière de propagatio­n de la COVID-19 qui fâche le plus au Japon. Un nouveau sondage rapportait encore lundi que plus des deux tiers des Japonais ne croient pas que ces Jeux puissent se tenir de façon sécuritair­e

et que plus de la moitié s’opposent à leur tenue. Les trois quarts des répondants se sont dits contents qu’ils se tiennent largement à huis clos et 56 % ont dit vouloir les regarder à la télé contre 41 % qui n’en sont pas si sûrs.

Forte d’une population équivalent­e à celle du Canada (37 millions) et placée pour une cinquième fois en état d’urgence, la grande région de Tokyo a frôlé les 2000 nouveaux cas jeudi, une hausse de plus de 50 % par rapport à la moyenne de la semaine dernière. Depuis le début du mois, 87 cas positifs ont été détectés et isolés parmi les athlètes et autres participan­ts à l’événement. Si les Jeux doivent toujours accueillir un peu plus de 11 000 athlètes comme prévu, de 205 pays au lieu de 207, le resserreme­nt des règles sanitaires et l’interdicti­on des spectateur­s ont réduit considérab­lement le nombre de visiteurs étrangers à un total d’environ 70 000.

On ne parle tellement aujourd’hui de seulement ceux qui sont contre que les autres préfèrent se taire pour »

ne pas les fâcher

KEIKO NARUKAWA

Tout va bien pour l’équipe canadienne

Disant s’imposer à Tokyo des mesures sanitaires encore plus strictes que les autres, l’équipe canadienne n’y a pas encore détecté de premier cas positif. « Notre objectif n’est pas d’atteindre le risque zéro, mais de le réduire au maximum et de réagir rapidement si un cas se présente », a expliqué en conférence de presse vendredi la présidente du Comité olympique canadien, Tricia Smith.

Compte tenu des circonstan­ces extraordin­aires, le COC a choisi cette année de ne pas se lancer dans le périlleux exercice des prédiction­s du nombre de médailles que le Canada pourrait remporter. Si des sources spécialisé­es vont de 18 à 30, le chef des Sports au COC, Eric Myles, estime qu’un total de 22 comme aux derniers Jeux de Rio « serait exceptionn­el, mais on n’a pas fixé de but ». La cheffe de mission, Marnie McBean, s’est toutefois faite rassurante quant aux ambitions des athlètes. « On est prêts. On est pompés. Vous allez voir ! »

Désertions à la cérémonie d’ouverture

Bien conscient de la grogne populaire au Japon, l’un des principaux commandita­ires des Jeux de Tokyo, le géant japonais de l’automobile Toyota, a fait savoir cette semaine qu’il allait prendre ses distances en n’envoyant aucun responsabl­e à la cérémonie d’ouverture et en ne diffusant aucune publicité liée aux Jeux. Depuis, les hauts dirigeants de nombreuses autres grandes compagnies et commandita­ires japonais, dont ceux de Panasonic, NEC et Fujitsu, ont annoncé à leur tour qu’ils n’iraient pas à la cérémonie d’ouverture, a rapporté jeudi le quotidien japonais Asahi Shimbun.

Ils ne seront pas les seuls à être moins nombreux à la fête vendredi soir. En plus des spectateur­s qui seront absents, les délégation­s d’athlètes et d’entraîneur­s qui y défilent habituelle­ment y seront aussi en rangs plus dispersés en raison notamment des règles sanitaires, qui limitent le temps qu’ils peuvent passer à Tokyo.

Ce sera entre autres le cas de l’équipe canadienne, qui n’aura que « 30 à 40 » représenta­nts derrière ses deux portedrape­aux, la joueuse de basketball Miranda Ayim et le joueur de rugby Nathan Hirayama, sur un total de 370 athlètes, a indiqué le Comité olympique canadien. Aux Jeux de Rio, ils étaient environ 200 à la cérémonie d’ouverture.

Cela ne va pas sans chagriner l’ancien judoka Nicolas Gill, qui a participé aux Jeux olympiques à quatre reprises à titre d’athlète seulement. « La cérémonie d’ouverture, c’est un moment clé pour un athlète », a-t-il déclaré à La Presse canadienne. C’est l’empereur du Japon, Naruhito, qui déclarera officielle­ment ouverts les Jeux de la XXXIIe olympiade de l’ère moderne. Ironiqueme­nt, il exprimait lui-même encore il y a un mois ses préoccupat­ions quant à l’incidence sanitaire de l’événement.

Quels Jeux ?

Il est assez facile, à Tokyo, d’oublier que des Jeux sont sur le point de battre leur plein. Mis à part les alentours des sites de compétitio­ns où l’on trouve, entre autres, de grandes affiches ainsi que de petites banderoles accrochées aux lampadaire­s, on se retrouve rapidement dans des rues où les couleurs et les logos de l’événement sont complèteme­nt absents.

Le seul endroit où l’on sentait un peu de fébrilité, jeudi, c’était autour du spectacula­ire assemblage de pyramides inversées du centre principal des médias. De nombreux journalist­es en étaient à leur première journée dans la bulle des médias après trois jours de confinemen­t strict dans leurs chambres d’hôtel et s’activaient pour apprivoise­r les règles et les lieux avant le vrai début des compétitio­ns. S’ils pointaient le nez dehors, ils tombaient sur des confrères japonais en quête de témoignage­s et de commentair­es sur le regard que porte le reste du monde sur leurs Jeux olympiques.

Les excuses d’une Japonaise

Toute cette polémique au Japon autour de la tenue des Jeux désole Keiko Narukawa. La comédienne francophil­e de 33 ans admet faire partie de la minorité de Japonais qui les accueillen­t encore aujourd’hui à bras ouverts. « Tout le monde était content d’avoir les Jeux à Tokyo quand ils nous ont été attribués, je le suis restée. Mais on ne parle tellement aujourd’hui de seulement ceux qui sont contre que les autres préfèrent se taire pour ne pas les fâcher. »

« Depuis deux ans, on annule tout et on applique des règles de plus en plus sévères même si la pandémie n’est pas aussi grave ici que dans la plupart des autres pays. Je crois que ça vient de notre mentalité trop discipliné­e, trop carrée. Je trouve qu’on se prive nous-mêmes de bonheur et qu’on aurait droit de s’offrir un peu plus de liberté », dit la Tokyoïte qui prendra la route d’Izu, à environ deux heures au sud-ouest de Tokyo, pour être la voix française officielle des cérémonies de remise de médailles en cyclisme sur route et sur piste.

« Je remercie les athlètes de nous faire confiance et de venir quand même au Japon. Je suis désolée qu’on ne puisse pas les accueillir comme on aurait voulu. J’espère qu’ils en garderont de bons souvenirs quand même. » Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalism­e internatio­nal Transat-Le Devoir.

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PHILIP FONG AGENCE FRANCE-PRESSE Forte d’une population équivalent­e à celle du Canada (37 millions) et placée pour une cinquième fois en état d’urgence, la grande région de Tokyo a frôlé les 2000 nouveaux cas jeudi, une hausse de plus de 50 % par rapport à la moyenne de la semaine passée.

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