Le Devoir

Entre Énergie Saguenay et les bélugas, Québec a choisi

Le projet d’usine de liquéfacti­on de gaz naturel n’était pas compatible avec les politiques environnem­entales de la province

- MYLÈNE CRÊTE CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À QUÉBEC

Le projet Énergie Saguenay de GNL Québec aurait contrevenu à deux politiques environnem­entales du gouverneme­nt québécois s’il était allé de l’avant : le Plan pour une économie verte 2030 et la protection du béluga. C’est le constat dressé par les analystes du ministère de l’Environnem­ent dans leur rapport d’évaluation rendu public jeudi, au lendemain de l’annonce du gouverneme­nt Legault sur la mort du projet.

« L’analyse effectuée ne permet pas de conclure à l’acceptabil­ité environnem­entale du projet, malgré les modificati­ons apportées et engagement­s déposés par GNL Québec inc., écrivent les analystes. Le bilan positif des GES au niveau mondial, la transition énergétiqu­e, le bilan des avantages et coûts du projet et l’impact appréhendé sur les population­s de bélugas demeurent des enjeux non résolus comportant une grande part d’incertitud­es. »

Dans le document de 97 pages daté du 30 juin, les fonctionna­ires québécois soupèsent les répercussi­ons de la constructi­on d’une usine et d’un terminal maritime d’exportatio­n de gaz naturel au Saguenay sur les milieux humides, les cours d’eau, la faune, les émissions de gaz à effet de serre et la transition énergétiqu­e de la province, mais aussi les répercussi­ons sociales et économique­s, dont celles sur le tourisme.

« L’acceptabil­ité sociale comporte aussi sa part d’incertitud­es, sans compter l’espace important que le projet occuperait au niveau environnem­ental par rapport à sa raison d’être pour le

Les analystes du ministère de l’Environnem­ent notent que le projet « risque d’entraîner un verrouilla­ge dans l’utilisatio­n de cette énergie fossile »

Québec », notent les fonctionna­ires du ministère de l’Environnem­ent.

Le promoteur n’a pas réussi à démontrer que le projet générerait un bilan positif de réduction des GES à l’échelle de la planète en remplaçant le charbon par du gaz naturel liquéfié moins polluant. Les analystes du ministère notent plutôt qu’il « risque d’entraîner un verrouilla­ge dans l’utilisatio­n de cette énergie fossile empêchant ou retardant l’utilisatio­n d’énergies moins émettrices de GES ». L’expression « verrouilla­ge carbone » revient 11 fois dans le document.

Les analystes notent également que le gouverneme­nt doit faire des choix s’il veut atteindre la cible de réduction des GES fixée dans son Plan pour une économie verte 2030. Le Québec s’est donné pour objectif en 2015 de réduire ses émissions de 37,5 % par rapport aux niveaux de 1990. Les fonctionna­ires estiment que le projet Énergie Saguenay doit « être considéré comme un ajout potentiel important » au bilan des GES, qui fait déjà « l’objet de nombreux efforts pour atteindre la cible de réduction établie ». Par exemple, on note que la grande quantité d’électricit­é nécessaire pour alimenter l’usine de liquéfacti­on du gaz naturel ne pourrait plus servir à décarbonis­er d’autres secteurs d’activité au Québec.

L’augmentati­on de la circulatio­n maritime dans le fjord du Saguenay générée par le projet aurait également mis en péril l’habitat des bélugas nordiques, selon le ministère de l’Environnem­ent. Les bruits sous-marins auraient eu un impact négatif sur cette espèce considérée comme menacée en vertu de la loi québécoise.

Le ministre de l’Environnem­ent, Benoit Charette, avait donc en main deux rapports très critiques à l’endroit du projet de GNL Québec — celui de ses fonctionna­ires et celui du Bureau d’audiences publiques sur l’environnem­ent (BAPE) — lorsqu’il a annoncé que le gouverneme­nt n’autorisait pas le projet à aller de l’avant.

« C’est un changement de cap bienvenu », a souligné la directrice générale du Centre québécois du droit de l’environnem­ent, Geneviève Paul. Autant le premier ministre François Legault que M. Charette avaient fait des déclaratio­ns favorables au projet par le passé. « Cette décision-là nous apparaît conforme avec les lois environnem­entales du Québec », a-t-elle ajouté.

En Alberta, le premier ministre, Jason Kenney, qui aurait souhaité que le projet aille de l’avant, s’est abstenu de commenter la décision du Québec. De son côté, l’Associatio­n canadienne des producteur­s pétroliers n’a pas caché sa déception. « Avec le projet Énergie Saguenay qui n’ira pas de l’avant, c’est une occasion manquée autant pour l’environnem­ent que pour la reprise économique du Canada », a déclaré sa porte-parole, Shannon Joseph, en faisant allusion au fait que le gaz naturel liquéfié est moins polluant que d’autres types d’énergies fossiles.

Le chef du Parti conservate­ur du Canada, Erin O’Toole, qui s’était porté à la défense d’Énergie Saguenay durant la dernière course à la direction, n’était pas disponible pour une entrevue. « C’est crève-coeur, mais il faut respecter la décision du gouverneme­nt du Québec », avait dit mercredi le député conservate­ur de Chicoutimi–Le Fjord, Richard Martel.

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GREMM L’augmentati­on de la circulatio­n maritime dans le fjord du Saguenay générée par le projet aurait également mis en péril l’habitat des bélugas nordiques, selon le ministère de l’Environnem­ent. Les bruits sous-marins auraient eu un impact négatif sur cette espèce considérée comme menacée en vertu de la loi québécoise.

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