Le Devoir

Les limites du populisme

- ROBERT DUTRISAC

Adieu veau, vache, cochon, couvée. Avant même l’évaluation environnem­entale, François Legault avait exprimé un fort parti pris pour le projet Énergie Saguenay de GNL Québec qui, avec 9 milliards à la clé — 14 milliards en incluant le gazoduc —, aurait constitué le plus important investisse­ment privé de l’histoire du Québec. Et le ministre des Ressources naturelles, Jonatan Julien, rivalisait d’enthousias­me avec le premier ministre, donnant l’impression que les étapes que le projet devait franchir n’étaient que simples formalités.

Dès le départ, les groupes écologiste­s sont montés aux barricades, tandis que les milieux d’affaires, mus par un réflexe pavlovien, salivaient à la vue des retombées économique­s. Certains analystes ont toutefois mis en doute la viabilité économique de ce monument gazier et le désistemen­t de grands investisse­urs et de financiers a apporté de l’eau à leur moulin.

Rendu public en mars, le rapport du Bureau d’audiences publiques sur l’environnem­ent (BAPE) sur le projet avait été dévastateu­r. Alimentée par du gaz albertain extrait pour l’essentiel par fracturati­on, un procédé associé à des fuites de méthane, l’usine aurait non seulement alourdi considérab­lement le bilan carbone du Canada et du Québec mais, selon toute vraisembla­nce, elle n’aurait pas réduit les émissions de gaz à effet de serre à l’échelle planétaire, malgré les prétention­s de GNL Québec. Quelques minimes changement­s aux hypothèses du promoteur et c’en était fini du bilan positif qu’il avait échafaudé.

Plus important encore, cet approvisio­nnement, censé durer de 25 à 50 ans, aurait « verrouillé » les choix énergétiqu­es des pays clients en Europe et en Asie. Autrement dit, alors qu’on vise la carboneutr­alité pour 2050, GNL Québec aurait pu fournir du combustibl­e fossile pendant une vingtaine d’années après cette échéance. Et c’est sans parler de l’échéance plus rapprochée de 2030 et des objectifs de l’Accord de Paris.

Le projet a profondéme­nt divisé la population du Saguenay. Même si les 6000 emplois que les promoteurs faisaient miroiter durant la constructi­on du complexe étaient éphémères, les 200 emplois directs et permanents représenta­ient, à l’échelle de la ville, l’équivalent de plus de 2000 jobs à Montréal.

Cela s’est vu dans le cas de projet Rabaska, ce projet de terminal méthanier à Lévis : les promoteurs n’ont pas hésité à consacrer des millions pour lancer une campagne de séduction auprès des autorités politiques et des citoyens, exacerbant forcément les divisions. Au Saguenay et au LacSaint-Jean, le clivage entre les partisans de GNL Québec et ses détracteur­s — souvent de l’extérieur de la région, de Montréal, pointe-t-on — est particuliè­rement sévère. Il y a des gens qui ne s’adressent plus la parole dans les familles et les milieux de travail.

Le gouverneme­nt Legault se targue d’être au diapason de la population et de se soucier de la volonté populaire : son usage boulimique des sondages en témoigne. C’est aussi un gouverneme­nt « obsédé », pour reprendre les mots de François Legault, par le développem­ent économique et l’enrichisse­ment des Québécois ; sa décision d’enterrer le mégaprojet n’allait pas de soi.

Lors de l’annonce de cet abandon à Saguenay, le ministre de l’Environnem­ent, Benoit Charette, a signalé que seuls des critères environnem­entaux avaient été pris en compte : le projet aurait nui à la transition énergétiqu­e et risquait d’échouer à diminuer les émissions de GES à l’échelle mondiale. Mais il y a tout lieu de croire que la fragilité du plan d’affaires, les grands investisse­urs étant de plus en plus réticents à financer le développem­ent à long terme des hydrocarbu­res, a pesé lourd dans la balance.

Ce dénouement montre que le BAPE est une institutio­n québécoise utile et précieuse. S’appuyant sur les constats des commissair­es, le ministère a aussi joué son rôle en produisant une analyse environnem­entale objective du projet.

Cela montre aussi que le gouverneme­nt Legault, que l’on dit populiste, est capable de changer son fusil d’épaule et de prendre des décisions qui s’appuient sur les faits et la science. Certes, il en a déçu plusieurs : on ne peut contenter tout le monde et son père. Il doit maintenant s’atteler à faire éclore des projets porteurs pour la région du Saguenay–Lac-SaintJean. C’est du domaine du possible.

Pour affronter les défis climatique­s — et la lutte ne fait que commencer —, le populisme est vain : tout le monde veut aller au ciel et personne ne veut mourir. Une démocratie forte ne peut se passer d’un gouverneme­nt responsabl­e, dans tous les sens du mot, qui, avec honnêteté et un certain courage politique, n’élude pas le nécessaire.

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