Le Devoir

Haïti et Cuba, même combat

La stabilité mise à rude épreuve dans ces pays, de nombreux acteurs tentent ou tenteront d’en profiter pour faire des gains politiques et économique­s

- Rali Jamali Ancien conseiller technique pour OXFAM et SUCO en Amérique latine (Honduras et Bolivie)

Haïti et Cuba, deux des principale­s îles des Caraïbes, sont secouées par de forts remous politiques et sociaux depuis les dernières semaines. À Port-auPrince, l’assassinat du président Jovenel Moïse a plongé les Haïtiens dans l’incertitud­e concernant les cerveaux derrière l’attaque. Elle a aussi entraîné une lutte entre plusieurs prétendant­s au pouvoir s’étant soldée par l’assermenta­tion d’Ariel Henry en tant que nouveau président.

À La Havane, des milliers de protestant­s sont descendus dans les rues pour manifester leur ras-le-bol concernant le manque de nourriture, de médicament­s, la gestion de la COVID-19 et les fortes restrictio­ns des libertés civiles par le gouverneme­nt cubain. Événement rarissime dans ce pays communiste.

Troubles et contestati­ons

La stabilité dans ces pays étant mise à rude épreuve, de nombreux acteurs nationaux et internatio­naux tentent ou tenteront de profiter du changement de leadership à Haïti et de la fenêtre d’opportunit­é qu’offrent les manifestat­ions à Cuba pour faire des gains politiques et économique­s.

Les troubles politiques de Haïti, la présence d’anciens agents de la DEA et du FBI parmi les assassins du défunt président et la demande des autorités haïtiennes pour l’envoi de troupes américaine­s sur leur territoire sont un cocktail explosif.

À Cuba, les vives contestati­ons et les manifestat­ions des citoyens alimentent les appels à un changement de régime plus de 60 ans après la révolution ayant mis fin à la dictature militaire de Batista.

Ces appels à l’aide de certains pans de la population cubaine et haïtienne semblent avoir trouvé une oreille attentive au sein de la Maison-Blanche.

En ce qui concerne La Havane, le gouverneme­nt Biden appelle simplement à la libération des manifestan­ts arrêtés. Le maire de Miami, le républicai­n Francis Suarez, fait preuve de moins de réserve en suggérant d’étudier l’option d’une coalition militaire et de frappes aériennes sur l’île.

Pour Port-au-Prince, le gouverneme­nt Biden reste ouvert à la possibilit­é d’envoyer des troupes pour tenter de stabiliser la situation et éviter un exode de la population vers les États-Unis. Le dernier assassinat d’un président haïtien, en 1915, a entraîné l’invasion et l’occupation américaine de Haïti pour près de 20 ans. Un scénario que plusieurs résidents haïtiens souhaitent éviter de voir se reproduire…

Des coûts financiers vertigineu­x

La défaite évidente des troupes américaine­s en Afghanista­n, où leur retrait récent a permis aux talibans de faire d’importants gains territoria­ux, contribue à l’indécision du président Biden. Un scénario similaire à celui du Vietnam, où 20 ans de guerre n’ont pas permis aux Américains de prendre le dessus sur ce qui est aujourd’hui la République socialiste du Vietnam.

Le débarqueme­nt de la baie des Cochons et les nombreuses tentatives pour assassiner Fidel Castro par la CIA furent aussi des échecs complets. Ce piètre bilan de l’interventi­onnisme américain depuis l’indépendan­ce de Haïti à la guerre contre le terrorisme en passant par la guerre froide a eu des coûts financiers vertigineu­x — plusieurs trillions de dollars — et désastreux sur le plan humain — des centaines de milliers de morts, dont 159 soldats canadiens en Afghanista­n.

En un sens, Haïti et Cuba furent victimes de leurs succès. La révolution haïtienne est considérée comme étant la première révolte d’esclaves réussie du monde moderne.

Elle a permis de mettre fin à l’esclavage pratiqué par les Français dans ce qui était une colonie sucrière et caféière et à ses habitants d’accéder à l’indépendan­ce.

Elle deviendra source d’espoir pour les esclaves des Amériques et source de peur pour les propriétai­res d’esclaves et leurs maîtres. Les coûteuses indemnités extorquées par la France pour avoir obtenu sa liberté et pour avoir expulsé les maîtres d’esclaves ont forcé Haïti à s’endetter et à emprunter à la France et aux États-Unis pour pouvoir effectuer les paiements…

À la fin du XIXe siècle, 80 % des revenus de Haïti étaient destinés au remboursem­ent de ses dettes externes à la France, à l’Allemagne et aux États-Unis. L’occupation de Haïti par les États-Unis au début du XXe siècle a une fois de plus soumis Haïti à de fortes pressions financière­s de la part des banques américaine­s et françaises jusqu’en 1947.

Sanctions et embargo

Les États-Unis ont utilisé une stratégie similaire à Cuba en imposant des sanctions et un embargo financier, commercial et économique ayant coûté plus de 130 milliards depuis sa mise en oeuvre selon les Nations unies.

Cet embargo immoral a laissé une marque indélébile sur le développem­ent de l’économie de Cuba et sur la qualité de vie des résidents cubains. En particulie­r en ce qui a trait à l’importatio­n de médicament­s, d’équipement­s médicaux et des dernières technologi­es médicales.

À titre d’exemple, Cuba a réussi à développer son propre vaccin contre la COVID-19, mais ses efforts pour la vaccinatio­n sont ralentis en raison d’une pénurie de seringues !

Malgré cela, Cuba a l’un des taux de mortalité infantile les plus bas au monde, une espérance de vie similaire à celle des États-Uniens et un taux d’alphabétis­me adulte parmi les plus élevés au monde.

Son système de santé a été présenté comme étant un modèle par l’Organisati­on mondiale de la santé et c’est le pays qui consacre la plus grande part de son budget à l’éducation.

Cuba et Haïti continuent de payer cher le prix de leurs révolution­s et pour avoir tenu tête à l’ingérence des grands empires de l’époque moderne. Les puissances impérialis­tes ont tout fait pour maintenir ces pays dans la pauvreté et empêcher leur développem­ent.

De l’esclavagis­me à l’embargo en passant par la servitude pour dettes, les efforts répétés de déstabilis­ation et de contrôle n’ont toujours pas eu raison des habitants de ces îles des Antilles. Mais pour combien de temps encore ?

Cuba et Haïti continuent de payer cher le prix de leurs révolution­s et pour avoir tenu tête à l’ingérence des grands empires de l’époque moderne

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