Le Devoir

L’Université de l’Ontario français peine à recruter en Ontario

Seulement une centaine d’étudiants seront sur ses bancs à la rentrée, la moitié de la cohorte espérée

- ÉTIENNE LAJOIE INITIATIVE DE JOURNALISM­E LOCAL À TORONTO

Après plus de 70 ans d’attente et une naissance difficile , la première université entièremen­t francophon­e de l’Ontario ouvrira ses portes le 7 septembre à Toronto. Mais seulement une centaine d’étudiants seront sur les bancs de l’Université de l’Ontario français (UOF) à la rentrée, la moitié de la cohorte espérée.

Les élèves des rangs secondaire­s ontariens ont été timides : selon les dernières données, pas moins de 95 % des 429 demandes d’admission proviennen­t d’étudiants ontariens qui n’étaient pas au secondaire, de personnes originaire­s d’autres provinces ou d’étudiants étrangers. Seulement deux élèves du secondaire en Ontario ont d’ailleurs choisi un programme de l’UOF comme premier choix.

Ainsi, environ 75 % des étudiants de la première cohorte de l’Université ne seront pas ontariens, dit l’institutio­n.

Le recteur Pierre Ouellette, qui vient de succéder à André Roy à la barre de l’établissem­ent postsecond­aire installé sur les berges du lac Ontario, estime que l’approbatio­n tardive des programmes par la province est en partie responsabl­e

Je sens une pression, mais positive. On fait tout pour que ce projet fonctionne, on y croit. Je ne serais pas là si je n’y croyais vraiment pas foncièreme­nt. PIERRE OUELLETTE

de la situation. « On a pas mal raté la fenêtre de recrutemen­t à cause de ça. Ça nous a beaucoup nui », estime-t-il.

Des bourses pour attirer les étudiants

Tous les étudiants de la cohorte 20212022 bénéficier­ont d’une bourse qui réduira les droits de scolarité à 4600 $ par année pour les étudiants canadiens et 7000 $ par année pour les étudiants étrangers. Deux étudiants africains ont précisé au Devoir avoir obtenu des bourses de 20 000 $. Une lettre a été envoyée aux étudiants à cet effet.

L’Université couvrira donc l’équivalent de 80 000 $ en frais de scolarité pour chaque étudiant étranger. « Le mot “bourse” mentionné dans la lettre, qui fait partie du jargon universita­ire, signifie donc que les étudiants étrangers de notre première cohorte paieront des frais de scolarité nets en deçà du montant usuel », a clarifié par courriel la responsabl­e des communicat­ions de l’UOF, Carole Nkoa.

Moustapha Gaye, un Sénégalais âgé de 32 ans, est l’un des boursiers qui fouleront les classes du 7 rue Lower Jarvis en septembre. Attiré par la possibilit­é de continuer ses études en français, il compte atterrir à Toronto après l’obtention de son permis d’étude. « Toronto a

une atmosphère adéquate pour acquérir de nouvelles connaissan­ces », dit-il.

Diane Eunes Segueda naviguait sur Google lorsqu’elle est tombée sur le site de l’Université de l’Ontario français. Des recherches supplément­aires effectuées par son frère, qui étudie à Polytechni­que Montréal, ont permis à sa famille de conclure que l’université franco-ontarienne « répondait à ses critères ». Les frais de scolarité de l’UOF se comparent aussi favorablem­ent à ceux des autres université­s, dit-elle.

Des débuts cahoteux

Quand la province a révélé en janvier dernier que seulement 39 demandes d’admission à l’Université de l’Ontario français avaient alors été formulées, la jeune université avait été la cible de plusieurs critiques.

« Si les gens ne voient pas que c’est un échec et se disent que peut-être, l’année prochaine [ça va mieux aller], écoutez, je n’arrive pas à comprendre ce réflexe-là », s’était exclamé François Charbonnea­u, professeur à l’école d’études politiques de l’Université d’Ottawa, dont le recteur s’était opposé à la naissance de l’UOF. « C’est bien beau, mais faudrait quand même que la population comprenne ce que ça mange en hiver [ces programmes] », avait lancé à Radio-Canada en février dernier Daniel Cayen, ancien sous-ministre adjoint à l’Office des affaires francophon­es de l’Ontario.

L’établissem­ent postsecond­aire mise sur des programmes transdisci­plinaires — études des cultures numériques, études de l’économie et de l’innovation sociale, études des environnem­ents urbains — pour faire sa marque. Dans un rapport remis au gouverneme­nt ontarien en 2017, le conseil qui étudiait à l’époque la faisabilit­é de l’UOF notait toutefois que les « secteurs du marché de travail affichant la plus grande demande de diplômés francophon­es universita­ires » étaient l’éducation, la santé et les finances.

L’Université souhaite offrir une formation en éducation dès 2022, indique le recteur Ouellette, « et la santé nous intéresse beaucoup ». L’administra­tion continuera d’être guidée par les recommanda­tions du rapport de 2017, assure-t-il.

Le pilote de l’Université de l’Ontario français, lui-même natif de Harty, près de Kapuskasin­g, se dit conscient d’avoir les yeux de la francophon­ie ontarienne rivés sur son travail, car le rêve de cette université plane depuis les années 1940. « Je sens une pression, mais positive. On fait tout pour que ce projet fonctionne, on y croit. Je ne serais pas là si je n’y croyais vraiment pas foncièreme­nt. »

Si les gens ne voient pas que c’est un échec et se disent que peut-être, l’année prochaine [ça va mieux aller], écoutez, je n’arrive pas à comprendre c e réflexe-là FRANÇOIS CHARBONNEA­U

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