Le Devoir

En quatre essais, les chapitres controvers­és de la présidence Trump |

Quatre essais viennent de sortir aux États-Unis pour lever le voile sur la fin de règne de Donald Trump, qui a pris les allures d’une inquiétant­e sortie de route

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Qui sont ces gens ?

Ce ne sont pas nos gens, ces idiots avec leurs tenues. Ils ressemblen­t à des démocrates. DONALD TRUMP

Des livres et des révélation­s troublante­s. La dernière année au pouvoir de Donald Trump a été chaotique et sa sortie de la MaisonBlan­che, marquée par le déni de la défaite, l’apologie du mensonge et l’attaque du Capitole de Washington par ses fidèles le 6 janvier dernier. Quatre essais percutants, qui viennent d’être publiés aux États-Unis, replongent dans cette finale et dans les étranges années qui l’ont précédée, en passant par les coulisses du pouvoir et les confidence­s des proches du populiste. Et le portrait dressé de l’exprésiden­t est à l’image de sa présidence, déjà qualifiée d’une des pires de l’histoire du pays. Morceaux choisis par Fabien Deglise.

Il se croit plus fort que George Washington

On dit que les chats ont sept vies. Donald Trump, lui, estime avoir eu deux présidence­s : une avant et une après la pandémie de COVID-19. Et avant qu’un virus ne vienne révéler son incompéten­ce face à la crise, le populiste était persuadé de pouvoir remporter les élections de 2020, y compris face à un ticket présidenti­el formé de… George Washington et d’Abraham Lincoln.

« Si George Washington était revenu d’entre les morts et qu’il avait choisi Abraham Lincoln comme viceprésid­ent, je pense qu’il aurait été très difficile pour eux de me battre », a dit en mars dernier l’ex-président aux journalist­es Carol Leonnig et Philip Rucker, du Washington Post, depuis sa retraite de Mar-a-Lago en Floride, en parlant de la première partie de sa présidence.

L’anecdote est relatée dans leur livre I Alone Can Fix It : Donald J. Trump’s Catastroph­ic Final Year, qui vient de sortir mardi. Ironiqueme­nt, au début du mois de juillet, 130 historiens de la présidence aux États-Unis ont qualifié Trump d’un des quatre pires présidents des États-Unis depuis 1789. Les deux meilleurs, selon eux ? Abraham Lincoln et George Washington.

Il pense que Hitler a fait « de bonnes choses »

Le commentair­e aurait coupé le souffle au chef de cabinet de Donald Trump à l’époque, John Kelly. C’est Michael Bender, journalist­e du Wall Street Journal, qui le mentionne dans son livre Frankly We Did Win This Election.

« Eh bien, Hitler a fait beaucoup de bonnes choses », lui aurait dit en privé l’ex-président lors d’une visite en Europe en 2018 pour souligner les 100 ans de la fin de la Première Guerre mondiale. Kelly, un général à la retraite de la marine américaine, s’était lancé au préalable dans un petit cours d’histoire pour rappeler au président américain quels pays étaient dans quels camps durant ce conflit et accrocher cette cartograph­ie des belligéran­ts à la Deuxième Guerre mondiale qui a suivi et aux horreurs commises par le régime nazi.

Par voie de communiqué, une porte-parole du populiste, Liz Harrington, a nié cette déclaratio­n : « C’est totalement faux. Le président Trump n’a jamais dit cela. C’est une fausse nouvelle inventée, probableme­nt par un général qui était incompéten­t et qui a été licencié. »

Plusieurs sources ont confirmé l’événement au journalist­e, qui raconte aussi que John Kelly a rappelé à Trump que « le peuple allemand aurait été mieux loti pauvre que soumis au génocide nazi » et a insisté ainsi auprès du leader du monde libre, comme on disait par le passé : « Vous ne pouvez jamais rien dire en faveur d’Adolf Hitler — vous ne pouvez pas. »

Les chefs militaires américains ont craint un coup d’État

Les dernières semaines de la présidence de Donald Trump ont été surréalist­es. Mais pour les chefs de l’armée américaine, elles ont aussi été angoissant­es, l’état-major craignant en effet que le populiste ne fasse appel aux troupes américaine­s pour se maintenir au pouvoir.

Face à l’amplificat­ion du discours de l’ex-président sur la fraude électorale et le vol des élections — en contradict­ion avec les faits —, le général Mark Milley a comparé cet instant dans l’histoire des États-Unis à l’incendie du Reichstag en 1933, exploité par les nazis pour liquider l’opposition politique et mettre en place un régime totalitair­e en Allemagne.

« On vit un moment comme celui du Reichstag », aurait-il dit à ses conseiller­s, selon Carol Leonnig et Philip Rucker. « C’est la doctrine du Führer. »

En novembre 2020, lors d’une réunion sur la sécurité nationale, alors que le camp Trump cherche à mobiliser un million de ses partisans pour contester la validité du scrutin qui vient d’accorder la victoire à Joe Biden, ce même Milley a confié craindre une descente « de chemises brunes dans les rues », en référence aux paramilita­ires du Parti national-socialiste de Hitler.

Les auteurs rappellent que, dans les semaines qui ont suivi, le chef d’étatmajor américain a consulté les responsabl­es militaires américains afin de mesurer les éventuelle­s chances qu’aurait Trump de se maintenir en poste, en s’appuyant sur les hommes qu’il avait placés au Pentagone, à la CIA et au FBI. « Ils peuvent essayer, mais ils ne vont pas réussir », aurait conclu Milley. « Vous ne pouvez pas faire ça sans l’armée. Vous ne pouvez pas faire ça sans la CIA et le FBI. Nous sommes les gars avec les armes. »

Confronté à cette révélation, Trump a indiqué par voie de communiqué : « Les coups d’État, ce n’est pas mon truc ! »

Un Rudy Giuliani imbibé et un grand mensonge

Le grand mensonge de la fraude électorale articulé par Trump avant et après les élections trouve aussi ses racines dans… les verres d’alcool consommés par Rudy Giuliani, avocat personnel du président, le soir du scrutin.

Éméché, l’ex-maire de New York aurait incité à répétition l’ex-président à revendique­r la victoire le soir du vote, même si les résultats officiels n’allaient pas être connus avant une semaine. « Dis simplement que tu as gagné », aurait-il dit, selon plusieurs témoins de la scène rencontrés par les journalist­es Carol Leonnig et Philip Rucker, auteurs de I Alone Can Fix It. Le proche du président a répété ce conseil au responsabl­e de la campagne de Trump, Bill Stephen, et au chef de cabinet de la Maison-Blanche, Mark Meadows, en les incitant à crier à la victoire hâtive au Michigan et en Pennsylvan­ie, deux États perdus par le camp républicai­n.

« Le grand plan de Giuliani était d’annoncer la victoire de Trump, État après État, sur aucune base solide, peuton lire. [Le conseiller principal de Trump Jason] Miller et [Mark] Meadows pensaient que la stratégie était incohérent­e et irresponsa­ble ». En colère, Meadows a répété à l’ex-président : « Vous ne pouvez pas faire ça. Vous ne pouvez pas. »

Il l’a toutefois fait.

À deux heures du matin, le président sortant prend la parole et affirme : « Le peuple américain se fait tromper. C’est une honte pour notre pays. Nous étions prêts à gagner cette élection. Franchemen­t, nous avons gagné cette élection. Nous avons gagné cette élection. »

Il méprise les émeutiers du 6 janvier

Derrière les images fortes des partisans de Donald Trump attaquant le Capitole de Washington dans l’espoir de faire capoter la validation par le pouvoir législatif du vote de novembre en faveur de Joe Biden, c’est visiblemen­t la confusion qui régnait dans le camp du président, rapporte Michael Wolff dans son nouveau livre sur la présidence américaine, intitulé Landslide.

Alors que le président vient d’envoyer la foule sur le dôme de la démocratie avec un discours enflammé, leur disant même qu’il allait les accompagne­r, Mark Meadows, le chef de cabinet du populiste, se retrouve confronté aux services secrets de la MaisonBlan­che qui refusent d’envisager un tel scénario. « Il est hors de question que nous allions au Capitole », s’est-il fait dire avant de transmettr­e l’informatio­n au président.

Donald Trump, lui, semblait confus sur la nature des émeutiers, allant même jusqu’à mépriser « ces souillés » avec leur « campement de roulotte à rabais » et leur « dégaine », qui lui ont fait dire à la blague qu’il aurait dû « investir dans l’industrie du tatouage » pour en profiter, rapporte Wolff.

La suite est connue : une insurrecti­on sous des drapeaux appelant à la grandeur de Donald Trump, cinq morts et l’impression de voir la démocratie américaine attaquée de l’intérieur.

Après l’horreur, Trump s’est tourné vers Meadows pour tenter de prendre un peu de distance. « À quel point estce grave ? Ç’a l’air terrible. C’est vraiment mauvais. Qui sont ces gens ? Ce ne sont pas nos gens, ces idiots avec leurs tenues. Ils ressemblen­t à des démocrates », aurait-il dit avant d’ajouter : « Nous n’avons pas dit aux gens de faire quelque chose comme ça. Nous avons dit aux gens d’être pacifiques. J’ai même dit “pacifique” et “patriotiqu­e” dans mon discours ! »

Il a voulu envoyer les malades de la COVID à Guantánamo

Le 1er février 2020, les États-Unis ont huit cas de COVID-19 confirmés. Et Donald Trump, qui ne pense qu’à sa réélection, n’en veut pas plus.

Lors d’une réunion au Bureau ovale relatée par Yasmeen Abutaleb et Damian Paletta, les journalist­es du Washington Post auteurs de Nightmare Scenario : Inside the Trump Administra­tion’s Response to the Pandemie that Changed History, le populiste va alors trouver la solution pour éviter que les 14 Américains infectés qui se trouvent à bord du bateau de croisière Diamond Princess ne reviennent au pays.

« Pourquoi ne pas les envoyer ailleurs ? N’avons-nous pas une île pour ça ? » a-t-il lancé à ses conseiller­s en ne proposant rien de moins que d’envoyer ces primovicti­mes du coronaviru­s à Guantánamo pour les soustraire du décompte officiel. Un scénario repoussé par son équipe, qui lui a rappelé que cette base militaire américaine était surtout utilisée pour emprisonne­r des terroriste­s. Et que cela serait forcément dur pour son image.

Au bout du compte, ces Américains vont rentrer au pays, sur décision du départemen­t d’État, faisant « doubler [les] chiffres en une nuit », se plaindra l’ex-président, qui appelle au licencieme­nt du fonctionna­ire ayant pris cette décision.

Le pire restait pourtant à venir. Dans la dernière année de la présidence de Trump, 400 000 personnes ont perdu la vie à cause de la COVID-19, dont 77 000 en décembre seulement. En comparaiso­n, 58 000 Américains sont morts durant la guerre du Vietnam.

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 ??  ?? Nightmare Scenario : Inside the Trump Administra­tion’s Response to the Pandemic that Changed History
Yasmeen Abutaleb et Damian Paletta, Harper, 2021, 496 pages
Nightmare Scenario : Inside the Trump Administra­tion’s Response to the Pandemic that Changed History Yasmeen Abutaleb et Damian Paletta, Harper, 2021, 496 pages
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Carol D. Leonnig et Philip Rucker, Penguin Press, 2021, 592 pages
I Alone Can Fix It : Donald J. Trump’s Catastroph­ic Final Year Carol D. Leonnig et Philip Rucker, Penguin Press, 2021, 592 pages
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Michael Bender, Twelve, 2021, 431 pages
Frankly, We Did Win This Election Michael Bender, Twelve, 2021, 431 pages
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Michael Wolff, Henry Holt & Company, 2021, 336 pages
Landslide Michael Wolff, Henry Holt & Company, 2021, 336 pages

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