Le Devoir

Entre dénonciati­on et réhabilita­tion

Le repêchage du hockeyeur Logan Mailloux a fait réagir jusqu’à Ottawa, le premier ministre Justin Trudeau dénonçant une « erreur de jugement »

- ANNE-MARIE PROVOST

Le premier ministre Justin Trudeau s’est dit « très déçu » mardi de la décision du Canadien de Montréal de repêcher de Logan Mailloux, condamné en Suède pour avoir partagé une photograph­ie de nature sexuelle d’une femme sans son consenteme­nt. Cette affaire alimente également la réflexion sur le pouvoir masculin et le dossier épineux de la réhabilita­tion.

C’est « une histoire de boys club », tranche l’autrice Martine Delvaux. Selon la militante féministe, « ce sont les propriétai­res du club, le gérant, les coachs, les joueurs et les fans, qui sont en très grande majorité des hommes, qui décident de quand et comment on paye quand on a commis une violence sexuelle ».

Ils sont nombreux à avoir exprimé depuis quelques jours leur incompréhe­nsion vis-à-vis de la décision du Canadien de repêcher le joueur, qui avait 17 ans au moment des faits. Martine Delvaux estime que les arguments comme l’erreur de jeunesse, ou le fait que d’autres jeunes hommes font la même chose, l’ont emporté.

« Au fond, un sportif peut faire ce qu’il veut, et avoir un salaire et un statut important », dit-elle. Elle y voit une applicatio­n de la loi d’un « club impénétrab­le, inébranlab­le et impuni » cimenté par la camaraderi­e masculine. Et ce, au détriment des femmes qui portent la blessure de la violence sexuelle.

La question de la réhabilita­tion

La question de la réhabilita­tion du joueur de 18 ans est centrale à la discussion. Plusieurs mettent de l’avant le fait que Logan Mailloux avait demandé aux

Je pense que le club a des explicatio­ns à offrir aux Montréalai­s et aux fans à travers le pays

JUSTIN TRUDEAU

équipes de ne pas le repêcher. « Être repêché dans la LNH est un honneur et un privilège qui ne doit pas être pris à la légère, avait-il écrit sur Twitter. Je ne crois pas avoir démontré assez de maturité pour obtenir ce privilège en 2021 ». Il a par la suite exprimé des remords lors d’une conférence de presse.

Une réhabilita­tion efficace prend du temps et il est décevant que le Canadien n’ait pas respecté sa volonté, souligne la juge à la retraite Nicole Gibeault, qui a elle-même donné son lot de deuxième et troisième chances lors de sa carrière.

« Il avait bien amorcé sa réhabilita­tion en disant qu’il n’était pas prêt et en débutant une thérapie. Mais une réhabilita­tion ne se fait pas en criant lapin. C’est un processus sur le long terme pour trouver d’où vient le problème, l’origine de cette idée qu’il a eu et comprendre la culture autour », dit-elle.

Elle estime que la condamnati­on, arrivée il y a moins d’un an, est « très grave », que son repêchage est arrivé « trop tôt » et que le joueur a « des choses à mûrir ».

« Je crois en une réhabilita­tion cartésienn­e, et il avait débuté de cette façon-là, ajoute-t-elle. Mais quel message on envoie en lui donnant un contrat du Canadien et en disant “on va s’en occuper” ? »

Sur Twitter, l’animateur Bernard Drainville a de son côté plaidé pour une « deuxième chance », comme plusieurs autres. « Sinon ? Le condamner pour la vie pour un crime grave sans possibilit­é de réhabilita­tion ? Combien d’autres de 17 ans sommesnous prêts à condamner pour la vie ? Beaucoup de parents d’ados comprennen­t à quel point un ado peut être con », a-t-il écrit, en insistant sur le fait qu’il n’y a pas de « vérité absolue » dans ce débat et qu’il comprend la position des personnes qui n’acceptent pas la décision du Canadien.

Le directeur général du Canadien, Marc Bergevin, avait de son côté expliqué aux journalist­es cette fin de semaine que l’écart entre Logan Mailloux et le joueur suivant sur la liste du Tricolore était trop important pour l’ignorer. Il croit aussi que le jeune défenseur aurait été repêché de toute façon par une autre équipe si le club ne l’avait pas choisi.

Kharoll-Ann Souffrant, doctorante à l’Université d’Ottawa, estime que cette décision est déconnecté­e des mouvements sociaux et qu’il faut plutôt envoyer le message que ce type de comporteme­nt n’est pas acceptable. Mais elle ne croit pas pour autant que Logan Mailloux devrait être « mis au bûcher ».

Celle qui étudie le mouvement #MoiAussi rappelle qu’il a été initié par une femme noire, Tarana Burke, et qu’il ne s’agit pas d’une mouvance « où on annule des gens ».

« Il faut penser aux auteurs de ces gestes et à des façons de les réhabilite­r, mais sans entrer dans le jeu des relations publiques. Il faut vraiment les responsabi­liser, et les inclure dans la solution et l’analyse », estime-t-elle. Elle pense que les origines du mouvement ont depuis été oubliées. « Le mouvement #MoiAussi est devenu un mouvement où on annule beaucoup de gens », dit-elle.

« Une erreur de jugement »

Le premier ministre Justin s’est dit de son côté « très déçu » du repêchage de Logan Mailloux par le Canadien de Montréal.

« Je pense que ç’a été une erreur de jugement. Je pense que le club a des explicatio­ns à offrir aux Montréalai­s et aux fans à travers le pays », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse, mardi.

Des élus québécois et des organismes ont également manifesté leur déception, notamment Isabelle Charest, ministre responsabl­e de la Condition féminine.

Le Canadien de Montréal n’a pas donné suite aux demandes du Devoir. Selon Martine Delvaux, le club attend que la poussière retombe. « Parce qu’au bout du compte, c’est le compte en banque qui l’emporte », affirme-t-elle.

La logique d’affaire l’a emporté sur la décision personnell­e de Logan Mailloux, renchérit Nicole Gibeault. « C’est une décision d’affaires avant tout, c’est clair. Mais ce ne sont pas tous les partisans qui acceptent ce qui s’est passé », analyse-t-elle.

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