Le Devoir

Lettre à Logan Mailloux

- EMILIE NICOLAS

Tu savais ce que tu faisais. Tu l’as prise en photo à son insu durant un acte sexuel. Tu as partagé la photo dans un chat de groupe, avec tes collègues hockeyeurs. Tu voulais qu’elle soit identifiée. Tu as pris le temps de spécifier son nom et son âge dans le chat. Tu as fait circuler sur Internet une photo d’elle, prise sans son consenteme­nt durant un acte sexuel, accompagné­e de son identité. Il est impossible que tu n’aies pas su qu’elle en serait profondéme­nt blessée, humiliée, traumatisé­e.

Tu as dit en entrevue que tu as envoyé sa photo comme un « trophée », pour « impression­ner » tes coéquipier­s. Tu ne pouvais pas ignorer que

tu allais la traumatise­r, mais tu as jugé qu’impression­ner tes coéquipier­s était plus important. Ton désir de validation sociale devait primer. Quelle est l’importance de la souffrance d’un trophée ? Un trophée est un objet, pas un être humain.

Tu joues au hockey depuis que tu es petit, et tu as jugé qu’envoyer une photo prise sans le consenteme­nt d’une femme à tes coéquipier­s, accompagné­e de son nom, allait les impression­ner. Tu connais le hockey, tu connais tes coéquipier­s. Si tu as pensé que de partager cette photo allait les impression­ner, c’est que tu as vu des comporteme­nts et entendu bien des propos misogynes être échangés à maintes reprises par le passé, et qu’ils ont suscité des réactions positives. Si tu es quelque peu doté de rationalit­é, il est impossible que tu aies anticipé une approbatio­n, à moins d’évoluer depuis des années dans un milieu sportif pourri jusqu’à la moelle.

Tu es canadien. Tu as commis ton geste dégueulass­e en Suède, à l’âge de 17 ans. Là-bas, on t’a fait payer une amende pour atteinte à la vie privée et diffamatio­n. Si ton crime s’était produit au Canada, et que nos lois avaient été appliquées, tu aurais pu être accusé d’agression sexuelle. Tu le sais. Marc Bergevin le sait aussi. Quand ton nouveau patron refuse d’utiliser le mot « criminel » pour décrire ce que tu as fait, c’est en toute connaissan­ce de cause.

Tu l’as traumatisé­e. Comme elle ne voulait plus jamais te voir, elle t’a demandé de lui transmettr­e tes excuses sincères, mais par écrit. En entrevue avec The Athletic, elle nous dit n’avoir reçu de toi qu’un simple texto, de « pas plus de trois phrases », qui sentait « l’insincérit­é » à plein nez. Ensuite, tu as attendu à minuit moins une, alors que l’informatio­n sur ton passé circulait déjà, avant de rendre publique une courte déclaratio­n indiquant que tu ne jugeais pas être digne d’être repêché cette année par la LNH.

Il faudrait qu’on croie l’équipe de relation publique du Canadien de Montréal, qui nous assure de ton « cheminemen­t personnel » et de ta « prise de conscience sincère ». Il faudrait qu’on les croie eux plus qu’elle, qui nous affirme que tu n’es pas sincère. Les Canadiens nous disent qu’ils comprennen­t l’importance de respecter les femmes, tout en enterrant, au fond, sa parole à elle. Es-tu d’accord avec ça, Logan ?

Les Canadiens de Montréal, boys club s’il en est un, nous assurent qu’ils vont « t’accompagne­r » dans ton cheminemen­t. Je cherche un indice voulant que les Canadiens, comme organisati­on, sont complèteme­nt à rebours du reste du monde du hockey dans lequel tu as été socialisé, ce milieu qui t’a convaincu que d’envoyer une photo d’une femme prise à son insu durant un acte sexuel, déshumanis­ée, réduite au statut d’objet-trophée, était un geste qui pouvait impression­ner tes collègues. Je cherche dans les dirigeants de l’équipe qui parlent avec plus d’empathie de toi, qui a commis ce geste dégueulass­e et criminel, qu’ils parlaient de P.K. Subban, coupable de « flamboyanc­e », une trace de conscience des injustices et doubles standards qui salissent le sport profession­nel. Je cherche une parole tombée ici ou là qui laisserait deviner une critique du sport nord-américain, qui banalise de façon systémique les inconduite­s sexuelles des athlètes masculins privilégié­s, de l’école secondaire jusqu’aux ligues profession­nelles, dans à peu près toutes les discipline­s possibles. Je cherche encore.

J’entends au contraire que ton talent justifie ton repêchage, comme le talent d’un nombre incalculab­le d’athlètes a été invoqué pour banaliser la souffrance des femmes sur leur passage. J’entends que le sport est une industrie. Tu sais patiner, tu vaux de l’argent. La dignité des femmes a une valeur, mais moins élevée que ce que tu peux faire empocher à ton entreprise en étant sur la glace. Après l’analyse de risque, des coûts et des bénéfices, sa dignité à elle,

Il faudrait qu’on croie l’équipe de relation publique du Canadien de Montréal, qui nous assure de ton « cheminemen­t personnel » et de ta « prise de conscience sincère »

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