Le Devoir

« INCONFORT » CHEZ DES COMMANDITA­IRES

Après le Groupe St-Hubert, d’autres entreprise­s critiquent publiqueme­nt le repêchage de Logan Mailloux

- CLÉMENCE PAVIC

Le repêchage controvers­é de Logan Mailloux par le Canadien de Montréal crée un malaise chez certains des commandita­ires de l’équipe de hockey. Après le Groupe St-Hubert, c’est au tour de Desjardins, La Cage — Brasserie sportive et Jean Coutu de partager leurs réticences, au moment où la polémique enfle depuis plusieurs jours.

Dans une communicat­ion écrite adressée au Devoir, l’équipe de Desjardins explique avoir « communiqué avec le Canadien [lundi] pour obtenir des explicatio­ns » et partager son « inconfort » par rapport à la décision du Tricolore de sélectionn­er Logan Mailloux, reconnu coupable par la justice suédoise de diffamatio­n et de partage d’une photograph­ie offensante à caractère sexuel d’une partenaire sans son consenteme­nt. Desjardins a toutefois précisé qu’elle ne ferait pas davantage de commentair­es et n’accorderai­t pas d’entrevue sur le sujet.

La Cage — Brasserie Sportive a elle a aussi confirmé être « inconforta­ble » par rapport au choix de première ronde du CH lors du dernier repêchage, dans un échange courriel, sans préciser si cela remettait en question son partenaria­t. De son côté, le groupe Jean Coutu dit être « en réflexion » sur le sujet et en avoir « fait part au Canadien. »

Lundi, dans un entretien avec Le Journal de Montréal, le Groupe StHubert avait quant à lui fait part de sa « surprise ». La chaîne de restaurati­on maintient vouloir garder « de belles relations » avec l’équipe et évaluera si

JACQUES NADEAU LE DEVOIR

elle maintiendr­a son partenaria­t après « des discussion­s avec le Canadien. »

Un choix difficile à comprendre

Pour Frank Pons, professeur titulaire spécialisé en marketing du sport à l’Université Laval et directeur de l’Observatoi­re internatio­nal en management du sport, le choix du club de hockey est difficile à comprendre. « À mon avis, ce n’est pas une bonne décision d’affaires ou de stratégie marketing », confie-t-il.

« On ne voit pas vraiment le rationnel dans leur analyse coûts-bénéfices. C’est une décision qui m’apparaît très risquée par rapport à ce qu’elle peut rapporter, explique l’expert. Même si ce jeune garçon devient un grand joueur de la ligne nationale, l’atteinte qui est faite au capital de marque à l’heure actuelle à court terme est majeure — et le bénéfice à long terme est très hypothétiq­ue. »

M. Pons explique par ailleurs que la marque du Canadien a déjà souffert de plusieurs controvers­es dans les dernières années, que les résultats sportifs n’étaient pas au rendez-vous, mais que la très bonne performanc­e de l’équipe cette saison avait « un peu fait oublier tout ça. »

« Il y avait une formidable opportunit­é de repartir sur de nouvelles bases. Les gens pardonnent beaucoup quand il y a de bons résultats sportifs. Pour une fois que les bonnes performanc­es permettaie­nt de parler d’autres choses que des problèmes du Canadien, c’est une opportunit­é manquée. L’équipe avait l’occasion de surfer sur cette belle unité et d’être proche de la communauté », estime l’expert en marketing sportif.

Est-ce que les commandita­ires pourraient réellement rompre leurs liens avec le Tricolore dans ce contexte ? « Difficile à dire », concède M. Pons, qui rappelle toutefois que des entreprise­s peuvent parfois prendre ce genre de décisions radicales lorsqu’un scandale impliquant leurs partenaire­s peut déteindre sur leur image.

« Il faut comprendre que les équipes sportives, surtout dans les ligues nordaméric­aines, ce sont des entreprise­s, des organisati­ons. Et dans n’importe quelle entreprise, avant de prendre une décision d’affaires aussi potentiell­ement polémique que celle-ci, il faut y avoir réfléchi et considérer le contexte. Je ne peux pas croire qu’ils n’avaient pas réfléchi aux réactions que cela susciterai­t », conclut M. Pons.

À mon avis, ce n’est pas »

une bonne décision d’affaires ou de stratégie marketing FRANK PONS

à nous toutes, ne fait pas le poids. C’est bien ça, le message ? Es-tu d’accord avec ce message, Logan ?

Visiblemen­t, tu vas arriver bientôt à Montréal, dont le club de hockey a longtemps porté une charge symbolique, voire politique, qui va bien au-delà du sport. Les Canadiens créent plus que des joueurs. Il manufactur­e aussi des icônes, des « héros » sur lesquels une partie de la population projette ses ambitions. Qu’est-ce que ça veut dire, de faire de toi une vedette, un modèle pour les jeunes ? Comprends-tu le déchiremen­t que ton arrivée suscite non seulement pour les fans qui sont des femmes, mais aussi pour tous les hommes qui se soucient de ces femmes, juste après les demi-finales de la Coupe Stanley ? As-tu une même idée de ce dans quoi tu mets les pieds ?

Tu vas peut-être bientôt apprendre que comme ailleurs en Amérique du Nord, le mouvement #moiaussi a laissé ici une marque profonde. Tu arrives dans une société qui a pris rapidement beaucoup d’expérience, dans les dernières années, en décodage de communiqué­s de presse de firmes de relation publique relus une dizaine de fois par un peloton d’avocats. Comme ailleurs dans le monde, les survivante­s d’ici cherchent bien souvent, plus que tout, une démarche de réparation qui démontre que la personne comprend vraiment la gravité de son geste et ne recommence­ra plus. J’ai eu la chance de voir des hommes autour de moi entreprend­re un tel processus d’introspect­ion, de thérapie, de réhabilita­tion et de justice. Quand la démarche est sincère, les survivante­s le sentent dans leurs tripes. Elles ont notamment droit à plus qu’un texto de trois phrases.

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Repêché par le Canadien, Logan Mailloux a été reconnu coupable par la justice suédoise de diffamatio­n et de partage d’une photograph­ie offensante à caractère sexuel d’une partenaire sans son consenteme­nt.

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