Le Devoir

Entre opportunis­me et inutilité

- ÉLECTIONS FÉDÉRALES ROBERT DUTRISAC

Dans ce qui peut être qualifié de tournée préélector­ale, Justin Trudeau et certains de ses ministres ont multiplié les annonces alléchante­s dans des circonscri­ptions ciblées, notamment à Québec et à Trois-Rivières avec un projet de train à grande fréquence, en Gaspésie avec une aide fédérale à un fabricant de pales d’éoliennes et à Montréal avec un investisse­ment de 440 millions de dollars en recherche-développem­ent dans l’industrie aéronautiq­ue, auquel s’ajoutent environ 250 millions de la part de Québec. C’est majeur.

La semaine précédente, Justin Trudeau était aux côtés du premier ministre de la Colombie-Britanniqu­e, John Horgan, pour annoncer la participat­ion d’Ottawa à un populaire programme de garderies à 10 $. Il s’est aussi déplacé à Sault-Sainte-Marie, en Ontario, en vue de la modernisat­ion de l’aciérie Algoma Steel, qui passera du charbon à l’électricit­é pour redorer son blason environnem­ental. Et ses ministres ont multiplié les annonces d’intérêt local.

Il faut dire que la besace du gouverneme­nt Trudeau est bien remplie. Les 16 derniers mois de pandémie n’ont guère été propices aux annonces gouverneme­ntales en dehors des multiples points de presse sur les mesures liées à la COVID-19. Confinés à divers degrés, empêtrés dans les mesures sanitaires, les citoyens avaient d’autres soucis. Et il y a des limites aux conférence­s de presse sur Zoom.

D’une façon générale, les sondages au fil des ans montrent que la saison estivale est favorable au gouverneme­nt en place : plus détendus, les électeurs sont habituelle­ment moins critiques. Des opérations de vaccinatio­n qui se déroulent rondement, particuliè­rement au Québec, et le déconfinem­ent qui se déploie graduellem­ent créent un contexte qui gonfle l’optimisme des libéraux.

Le premier ministre estime qu’il serait possible pour lui de former un gouverneme­nt majoritair­e. Mais en dehors du fait que les libéraux veulent obtenir cette majorité, tenir des élections est-il dans l’intérêt de la population ? On peut en douter.

En premier lieu, il est faux de soutenir que le gouverneme­nt Trudeau n’a pu agir et que les tactiques de l’opposition l’ont paralysé, comme le leader du gouverneme­nt en Chambre, Pablo Rodriguez, l’a déclaré à la fin de la session parlementa­ire.

Pour un gouverneme­nt minoritair­e, il est dans une position idéale puisqu’il ne dépend pas d’un seul parti ; il a le choix entre le Bloc ou le NPD pour faire avancer ses projets de loi. Quant aux tactiques dilatoires employées par l’opposition officielle, elles auraient été utilisées par les conservate­urs même si le gouverneme­nt avait été majoritair­e.

Le gouverneme­nt Trudeau a pu faire adopter par la Chambre des communes tous les projets de loi auxquels il tenait, notamment le projet de loi C-12 sur les cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre, le projet de loi C-15 concernant la Déclaratio­n des Nations unies sur les droits des peuples autochtone­s et le projet de loi C-30 sur les mesures du budget. Même le projet de loi C-10, qui soumet les GAFA à la Loi sur la radiodiffu­sion et les télécommun­ications canadienne­s, fut adopté en dépit de la farouche opposition des conservate­urs, même s’il n’a pu franchir l’étape du Sénat. Bref, le gouverneme­nt Trudeau a fonctionné sans trop de heurts dans un esprit de collaborat­ion, avec l’appui du Bloc, du NPD ou des deux à la fois.

Il faut rappeler qu’en 2015, Justin Trudeau, la main sur le coeur, s’était engagé à instaurer un mode de scrutin proportion­nel mixte. On voulait réduire le biais de notre système uninominal à un tour qui permet à un parti, même avec un pourcentag­e de votes bien en deçà de 50 %, d’obtenir une majorité de députés, ce qui confère au premier ministre 100 % du pouvoir.

C’est justement ce que cherche à réaliser le chef libéral : exploiter à son avantage les distorsion­s du système, distorsion­s exacerbées par la présence de quatre partis concurrent­iels.

Si l’on se fie aux récents sondages, le gouverneme­nt Trudeau pourrait obtenir essentiell­ement les mêmes résultats qu’en 2019. Le dernier sondage Léger donne aux libéraux 35 % des suffrages, les conservate­urs en recueillen­t 28,5 % et les néo-démocrates, 19,6 %. Au Québec, les libéraux et les bloquistes sont au coude-à-coude, ce qui donne un avantage aux troupes d’Yves-François Blanchet, qui comptent sur une meilleure répartitio­n de leur électorat.

Rien n’est gagné : ou bien les libéraux obtiennent leur majorité avec un faible pourcentag­e des votes, confirmant les failles du mode de scrutin, ou bien les élections auront été inutiles puisqu’on reviendrai­t à la case départ.

Le système actuel récompense l’opportunis­me partisan. S’il gagne son pari, Justin Trudeau fera l’éloquente démonstrat­ion des vices de représenta­tion démocratiq­ue de notre mode de scrutin.

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