Le Devoir

L’impasse du glyphosate

Quand une agence fédérale responsabl­e de la protection sanitaire du public hésite entre deux taux d’empoisonne­ment que la population pourrait tolérer, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond

- Louis Robert

Quand l’Agence de réglementa­tion de la lutte antiparasi­taire (ARLA), une agence fédérale responsabl­e de la protection de la santé publique, hésite entre deux taux d’empoisonne­ment que la population pourrait tolérer, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond, c’est le moins qu’on puisse dire.

L’hésitation de l’ARLA, provoquée in extremis et en dernier recours uniquement à la suite des réactions du public, en dit long sur les failles du système actuel. De toute évidence, plusieurs gestionnai­res mandatés pour la défense de l’intérêt public n’ont pas fait leur travail en amont dans l’analyse de la demande de Bayer.

La propositio­n soumise à l’ARLA entre en contradict­ion avec plusieurs des orientatio­ns définies dans son mandat en vertu de la Loi sur les produits antiparasi­taires, notamment de se conformer au principe de précaution et de faire preuve de transparen­ce. Elle est décriée par l’Union nationale des fermiers, qui souhaite même voir interdire l’utilisatio­n de glyphosate en prérécolte.

Remarquez, nous ne sommes pas en terrain totalement inconnu. Avec la décision de la Financière agricole du Québec à l’automne 2020 de rembourser (pas seulement d’autoriser), en utilisant des fonds publics, l’applicatio­n de glyphosate en prérécolte, voilà maintenant une autre manifestat­ion de l’abysse qui sépare les pratiques agricoles recommandé­es de celles souhaitées par les citoyens. Et de l’écart entre les discours et la réalité.

Contrôle des mauvaises herbes

Oui, on utilise de plus en plus de glyphosate, malgré les grands objectifs de réduction et les moyens utilisés jusqu’ici, tous plus inefficace­s les uns que les autres (« sensibilis­ation », subvention­s lourdes en bureaucrat­ie, etc.). Les méthodes différente­s et rentables de contrôle des mauvaises herbes existent. Elles ont été développée­s en recherche.

Toutefois, les producteur­s agricoles n’y ont pas accès, faute de ressources en transfert, ou n’y croient tout simplement pas, peu encouragés par le conseil intéressé qui les encadre la plupart du temps. Bien sûr le servicecon­seil doit être offert par des agronomes non liés à la vente de pesticides.

Ce n’est certaineme­nt pas le rôle des conseiller­s des distribute­urs de pesticides de parler aux producteur­s des méthodes de lutte intégrée (dépistage, rotation diversifié­e, cultures de couverture, etc.).

Il faut aussi bien comprendre que l’usage de glyphosate est une composante essentiell­e d’un système cultural particulie­r, mais dominant l’ensemble de l’agricultur­e nord-américaine (OGM, monocultur­es maïs-soya). Opérer concrèteme­nt un changement de système ne peut pas se réaliser en une saison. Mais peut-être dix (?), si au départ on comprenait bien la problémati­que, et qu’on mettait en oeuvre des moyens plus intelligen­ts.

Mais il y a plus. On utilise aussi plus de glyphosate en prérécolte pour uniformise­r la maturité (en clair, tuer les plants encore immatures) et faciliter la récolte. Il s’agit du type de traitement le plus à risque pour la santé publique, car les plants encore vivants absorbent et emmagasine­nt une partie du glyphosate dans le grain, et donc dans la récolte. Comment se fait-il qu’on se retrouve devant cette situation beaucoup plus souvent qu’auparavant ?

Contrairem­ent à la conclusion à laquelle arrivent de nombreux agronomes et producteur­s, ce n’est pas uniquement une conséquenc­e de conditions climatique­s défavorabl­es (ou du réchauffem­ent climatique), devant laquelle on ne pourrait rien faire.

Sauver les récoltes

D’ailleurs, les producteur­s ne sont que très rarement amenés par leurs conseiller­s à se questionne­r sur les causes réelles du problème, et ne voient pas d’autres moyens, tel un réflexe, que de sauver leur récolte par le glyphosate, sans aucun diagnostic. Germinatio­n asynchrone, développem­ent inégal, maturité hétérogène… autant de symptômes de dégradatio­n de la structure du sol dont les producteur­s devraient d’abord se préoccuper.

La dégradatio­n de la structure est un phénomène qui avait déjà été identifié en 1990 comme étant le plus important fléau affectant la production agricole québécoise (plus de 400 000 ha endommagés en 1990). Depuis, presque rien n’a été fait pour le contrer. Toutes nos observatio­ns portent à croire qu’il s’est grandement aggravé.

Hausser les limites de glyphosate dans les légumineus­es va à contresens de la tendance lourde actuelleme­nt observée en alimentati­on ; les citoyens intègrent de plus en plus de protéines végétales dans leur alimentati­on.

Si les intentions de l’ARLA se concrétise­nt, on observera une généralisa­tion de l’usage de glyphosate en prérécolte. Rien pour aider à atteindre l’objectif d’une alimentati­on et d’un environnem­ent plus sains.

De toute évidence, plusieurs gestionnai­res mandatés pour la défense de l’intérêt public n’ont pas fait leur travail en amont dans l’analyse de la demande de Bayer

 ?? JEAN-FRANÇOIS MONIER AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Les méthodes différente­s et rentables de contrôle des mauvaises herbes existent. Elles ont été développée­s en recherche. Mais les producteur­s agricoles n’y ont pas accès, faute de ressources en transfert, ou n’y croient tout simplement pas.
JEAN-FRANÇOIS MONIER AGENCE FRANCE-PRESSE Les méthodes différente­s et rentables de contrôle des mauvaises herbes existent. Elles ont été développée­s en recherche. Mais les producteur­s agricoles n’y ont pas accès, faute de ressources en transfert, ou n’y croient tout simplement pas.

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