L’impasse du glyphosate
Quand une agence fédérale responsable de la protection sanitaire du public hésite entre deux taux d’empoisonnement que la population pourrait tolérer, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond
Quand l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA), une agence fédérale responsable de la protection de la santé publique, hésite entre deux taux d’empoisonnement que la population pourrait tolérer, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond, c’est le moins qu’on puisse dire.
L’hésitation de l’ARLA, provoquée in extremis et en dernier recours uniquement à la suite des réactions du public, en dit long sur les failles du système actuel. De toute évidence, plusieurs gestionnaires mandatés pour la défense de l’intérêt public n’ont pas fait leur travail en amont dans l’analyse de la demande de Bayer.
La proposition soumise à l’ARLA entre en contradiction avec plusieurs des orientations définies dans son mandat en vertu de la Loi sur les produits antiparasitaires, notamment de se conformer au principe de précaution et de faire preuve de transparence. Elle est décriée par l’Union nationale des fermiers, qui souhaite même voir interdire l’utilisation de glyphosate en prérécolte.
Remarquez, nous ne sommes pas en terrain totalement inconnu. Avec la décision de la Financière agricole du Québec à l’automne 2020 de rembourser (pas seulement d’autoriser), en utilisant des fonds publics, l’application de glyphosate en prérécolte, voilà maintenant une autre manifestation de l’abysse qui sépare les pratiques agricoles recommandées de celles souhaitées par les citoyens. Et de l’écart entre les discours et la réalité.
Contrôle des mauvaises herbes
Oui, on utilise de plus en plus de glyphosate, malgré les grands objectifs de réduction et les moyens utilisés jusqu’ici, tous plus inefficaces les uns que les autres (« sensibilisation », subventions lourdes en bureaucratie, etc.). Les méthodes différentes et rentables de contrôle des mauvaises herbes existent. Elles ont été développées en recherche.
Toutefois, les producteurs agricoles n’y ont pas accès, faute de ressources en transfert, ou n’y croient tout simplement pas, peu encouragés par le conseil intéressé qui les encadre la plupart du temps. Bien sûr le serviceconseil doit être offert par des agronomes non liés à la vente de pesticides.
Ce n’est certainement pas le rôle des conseillers des distributeurs de pesticides de parler aux producteurs des méthodes de lutte intégrée (dépistage, rotation diversifiée, cultures de couverture, etc.).
Il faut aussi bien comprendre que l’usage de glyphosate est une composante essentielle d’un système cultural particulier, mais dominant l’ensemble de l’agriculture nord-américaine (OGM, monocultures maïs-soya). Opérer concrètement un changement de système ne peut pas se réaliser en une saison. Mais peut-être dix (?), si au départ on comprenait bien la problématique, et qu’on mettait en oeuvre des moyens plus intelligents.
Mais il y a plus. On utilise aussi plus de glyphosate en prérécolte pour uniformiser la maturité (en clair, tuer les plants encore immatures) et faciliter la récolte. Il s’agit du type de traitement le plus à risque pour la santé publique, car les plants encore vivants absorbent et emmagasinent une partie du glyphosate dans le grain, et donc dans la récolte. Comment se fait-il qu’on se retrouve devant cette situation beaucoup plus souvent qu’auparavant ?
Contrairement à la conclusion à laquelle arrivent de nombreux agronomes et producteurs, ce n’est pas uniquement une conséquence de conditions climatiques défavorables (ou du réchauffement climatique), devant laquelle on ne pourrait rien faire.
Sauver les récoltes
D’ailleurs, les producteurs ne sont que très rarement amenés par leurs conseillers à se questionner sur les causes réelles du problème, et ne voient pas d’autres moyens, tel un réflexe, que de sauver leur récolte par le glyphosate, sans aucun diagnostic. Germination asynchrone, développement inégal, maturité hétérogène… autant de symptômes de dégradation de la structure du sol dont les producteurs devraient d’abord se préoccuper.
La dégradation de la structure est un phénomène qui avait déjà été identifié en 1990 comme étant le plus important fléau affectant la production agricole québécoise (plus de 400 000 ha endommagés en 1990). Depuis, presque rien n’a été fait pour le contrer. Toutes nos observations portent à croire qu’il s’est grandement aggravé.
Hausser les limites de glyphosate dans les légumineuses va à contresens de la tendance lourde actuellement observée en alimentation ; les citoyens intègrent de plus en plus de protéines végétales dans leur alimentation.
Si les intentions de l’ARLA se concrétisent, on observera une généralisation de l’usage de glyphosate en prérécolte. Rien pour aider à atteindre l’objectif d’une alimentation et d’un environnement plus sains.
De toute évidence, plusieurs gestionnaires mandatés pour la défense de l’intérêt public n’ont pas fait leur travail en amont dans l’analyse de la demande de Bayer