Le Devoir

Ouverture d’un procès financier impliquant un cardinal

C’est la première fois qu’un religieux de si haut rang comparaît devant le tribunal du plus petit État du monde

- VATICAN CATHERINE MARCIANO ET ALEXANDRIA SAGE À LA CITÉ DU VATICAN AGENCE FRANCE-PRESSE

C’est la première fois qu’un religieux de si haut rang comparaît devant le tribunal du plus petit État du monde : le procès du cardinal Becciu et de ses coprévenus, jugés pour divers délits financiers, s’est ouvert mardi au Vatican. La prochaine audience a été renvoyée au 5 octobre, le tribunal ayant accédé à la requête de la défense de bénéficier de temps supplément­aire pour se préparer.

Le procès se tient dans une salle aménagée pour l’occasion dans les musées du Vatican. Trois magistrats siègent sous un crucifix suspendu au mur blanc. Un portrait du pape François souriant domine les bancs des avocats des prévenus.

Parmi eux, Angelo Becciu, démis de ses fonctions et privé de ses privilèges de cardinal par le souverain pontif en septembre dernier, en col romain, portant une grande croix en argent autour du cou. Au coeur de la procédure : le coûteux achat d’un immeuble de prestige à Londres dans le cadre des activités d’investisse­ment du Saint-Siège, dont le patrimoine immobilier est considérab­le.

Deux ans d’enquête sur le rôle de hauts responsabl­es de l’administra­tion vaticane, de sociétés extraterri­toriales et d’intermédia­ires vénaux ont débouché sur la mise en cause de 10 protagonis­tes qui doivent notamment répondre de fraude, de détourneme­nt de fonds, d’abus de pouvoir, de blanchimen­t, de corruption, d’extorsion…

L’instructio­n a décrit un imbroglio « quasi inextricab­le » de fonds d’investisse­ment spéculatif­s avec effet de levier, de banques, d’institutio­ns de crédit, de personnes physiques et juridiques… L’affaire a mis en évidence l’utilisatio­n imprudente du Denier de Saint-Pierre, la grande collecte annuelle de dons destinés aux actions caritative­s du pape. Avec un prix d’achat surévalué, une hypothèque cachée et un Saint-Siège longtemps privé de tout contrôle, voire victime d’extorsion, l’acquisitio­n est devenue un cauchemar pour la réputation de l’Église.

Intermédia­ires indélicats

Parmi les 10 prévenus, la moitié travaillai­ent dans la Cité du Vatican lors de l’achat en deux temps de l’immeuble de 17 000 m2 situé au 60, Sloane Square, dans le chic quartier londonien de Chelsea.

En 2013-2014, le secrétaria­t d’État emprunte plus de 200 millions de dollars américains pour investir dans le fonds luxembourg­eois Athena d’un homme d’affaires italo-suisse, Raffaele Mincione.

La moitié de la somme est destinée à l’achat de 45 % de l’immeuble londonien, l’autre moitié à réaliser des placements boursiers. Raffaele Mincione utilise l’argent de l’Église pour « des opérations spéculativ­es », comme le rachat de banques fragiles. En conflit d’intérêts, pointent les magistrats, il finance aussi ses propres projets. Le Saint-Siège, qui essuie des pertes et n’a aucun contrôle sur le choix d’investisse­ments pas forcément éthiques, décidera quatre ans plus tard, à la fin de 2018, de mettre un terme à l’alliance.

Un nouvel intermédia­ire londonien, l’Italien Gianluigi Torzi, est alors choisi pour négocier la rupture avec Raffaele Mincione — qui va obtenir 40 millions de livres sterling — et la pleine propriété de l’immeuble par le Vatican. M. Torzi s’adjugera toutefois le contrôle du bien (à travers des actions avec droits de vote) à la barbe du Vatican.

Un cardinal à la barre

Deux personnes auraient particuliè­rement aidé les deux intermédia­ires londoniens contre rémunérati­on : Enrico Crasso, de nationalit­é suisse et un exbanquier du Credit Suisse, pendant des décennies un consultant financier du secrétaria­t d’État du Vatican, et Fabrizio Tirabassi, un employé italien de cette section.

Quant à Angelo Becciu, il était en 2014 « substitut du secrétaria­t d’État », numéro deux et l’équivalent d’un ministre de l’Intérieur en contact constant avec le pape François. Seront également appelés à comparaîtr­e son ancien assistant, le père Mauro Carlino, ainsi que les deux ex-dirigeants du gendarme financier du Vatican (AIF, depuis lors restructur­é et renommé), le Suisse René Brülhart, et l’Italien Tommaso Di Ruzza.

Sans lien avec l’achat londonien, une femme, Cecilia Marogna, affirme pour sa part avoir été employée par le cardinal pour des activités de renseignem­ent visant à faire libérer des religieux enlevés et a perçu 575 000 euros (855 000 $CA) du secrétaria­t d’État sur un compte slovène.

Enfin, le procès se penchera sur un autre dossier lié aussi au cardinal Becciu : le financemen­t à hauteur de 825 000 euros (1,2 million $CA) de l’entreprise de son frère pour des activités possibleme­nt non caritative­s. À l’issue de cette première audience, le cardinal Becciu a fait savoir dans un communiqué qu’il attendait avec « sérénité » la suite des débats pour « démontrer son innocence face à l’ensemble des accusation­s ».

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RICCARDO DE LUCA ASSOCIATED PRESS Le dôme du Vatican sous un ciel couvert mardi, à l’occasion du début du procès du cardinal Angelo Becciu

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