Le Devoir

« C’est le trou noir »

Dans l’attente d’un permis d’étude pour cet automne, des étudiants étrangers vivent angoisse et incertitud­e

- ANNE-MARIE PROVOST

À l’approche du début des cours, les retards dans l’émission des permis d’étude font vivre un véritable cauchemar à des étudiants étrangers admis dans des université­s du Québec, qui craignent de ne pas pouvoir prendre part à la session d’automne.

L’étudiant brésilien Lucca Alexandre Cicade n’en dort parfois pas la nuit. Admis au baccalauré­at en économie politique à l’Université de Montréal, il a déposé sa demande le 15 avril. Toutefois, il n’a pu fournir ses données biométriqu­es que le 2 juin, étant donné qu’il était difficile d’avoir un rendezvous parce que la majorité des centres au Brésil étaient fermés en raison de la pandémie. La prise des empreintes digitales et une photo sont obligatoir­es pour obtenir son permis. « Je suis très inquiet pour ma session d’automne. Je voulais aller au Canada début août, pour avoir le temps de me trouver un logement, de découvrir l’université et de m’adapter à Montréal », a-t-il dit en entrevue avec Le Devoir.

Anna Aguerre, une étudiante française admise à la maîtrise en science de l’administra­tion à l’Université Laval, a déposé sa demande le 17 avril et n’a pu donner ses données biométriqu­es que le 9 juin. « Des étudiants qui ont fait leurs données biométriqu­es le 15 juin, donc après moi, ont eu une réponse en trois jours. Moi, rien, j’attends encore », dit-elle.

« C’est très lourd psychologi­quement. Je ne pense pas que l’immigratio­n s’en rende compte. C’est notre avenir qui est entre leurs mains. Et, à part stresser et ne pas dormir, on ne peut rien faire », ajoute-t-elle. Elle regarde ses courriels plusieurs fois par jour dans l’espoir de recevoir une réponse. Comme plusieurs, elle déplore le manque de communicat­ion des autorités canadienne­s. « Nous n’avons aucune informatio­n, c’est le trou noir », dit-elle.

Je voulais aller au Canada début août, pour avoir le temps de me trouver un logement, de découvrir l’université et de m’adapter à Montréal

LUCCA ALEXANDRE CICADE »

Immigratio­n Réfugiés et Citoyennet­é Canada (IRCC) avait conseillé aux étudiants de déposer leur demande complète avant le 15 mai pour avoir une réponse le 6 août. « Dans le contexte de la pandémie et des nombreuses difficulté­s qu’elle engendre, nous voulions fournir une date cible aux personnes qui se préparent à commencer leurs études à l’automne », a expliqué une porte-parole dans un courriel envoyé au Devoir.

Sur son site Web, l’IRCC indique accuser des retards de traitement en raison de la pandémie et ne pas pouvoir traiter les demandes normalemen­t. Le ministère ajoute qu’il comprend que des restrictio­ns liées à la COVID-19 dans certains pays ont pu retarder l’envoi des données biométriqu­es, ainsi que l’obtention du certificat de police, d’une preuve d’études ou de l’examen médical. « Nous reconnaiss­ons que ces obstacles pourraient se répercuter sur leur projet d’études au Canada », écrit-on.

Dans sa dernière mise à jour, le ministère indique en être à finaliser la plupart des demandes reçues entre le 1er et le 8 mai. Mais des étudiants qui ont été en mesure de respecter les délais voient d’autres personnes obtenir leur permis avant eux.

C’est le cas de Jude*, étudiant à la maîtrise à l’Université de Montréal et présenteme­nt en Haïti. Celui-ci ne souhaite pas révéler son nom pour ne pas nuire à ses démarches et pour des raisons de sécurité. Il a déjà fait une session en ligne et a déposé sa demande de permis le 26 janvier. Il a terminé ses données biométriqu­es le 2 février, et il attend encore.

« C’est très ennuyant. Je vais avoir beaucoup de difficulté à poursuivre mes études si je ne reçois pas le permis », a-t-il expliqué au Devoir. Il connaît d’autres étudiants dans sa situation. « Je constate qu’il y a des étudiants étrangers qui ont plus d’avantages que d’autres. Je pense que les étudiants d’origine africaine, haïtienne et latino-américaine sont désavantag­és », avance-t-il.

Ali*, qui réside en France et qui souhaite préserver son anonymat pour ne pas nuire à sa demande, a déposé son dossier complet le 30 mars. « Je les ai relancés en mai et en juin, et ils m’ont dit que les retards sont causés par la COVID-19 et que les équipes ne peuvent pas travailler comme avant, raconte-t-il. Ça m’inquiète beaucoup. Ça fait quatre mois et, normalemen­t, pour les gens en France, le délai est de deux mois. »

Le jeune homme est membre d’un groupe Facebook au nom évocateur, « Dépression », avec d’autres étudiants dans sa situation. Selon ce que Le Devoir a constaté, le sujet revient fréquemmen­t sur les réseaux sociaux et ils sont plusieurs à faire part de leur désarroi.

À l’IRCC, on indique que le traitement de certaines demandes peut prendre plus de temps. « Les demandes qui sont incomplète­s ou celles pour lesquelles l’agent doit demander des renseignem­ents supplément­aires au demandeur pourraient ne pas être traitées d’ici le 6 août », écrit-on.

Des ajustement­s en vue

En juin, l’Université de Sherbrooke estimait que, sur 1300 étudiants attendus, de 700 à 1100 pourraient entrer au Canada. Elle a indiqué au Devoir qu’elle reverra ses prédiction­s le 10 août, selon la situation.

De son côté, l’Université de Montréal dit être au fait de la situation. « Nous sommes effectivem­ent conscients qu’il risque d’y avoir du retard dans l’émission des permis d’études des étudiants internatio­naux et que ceux-ci sont très inquiets à ce sujet », a indiqué par courriel une porte-parole de l’Université. L’établissem­ent a prévu des mesures pour les étudiants qui ne recevront pas leur permis à temps. Il est notamment suggéré de faire une demande de report d’admission d’ici le 21 septembre.

Dans un courriel envoyé au Devoir, une porte-parole de l’Université McGill indique que l’Université « reconnaît que certains étudiants internatio­naux pourraient être confrontés à des difficulté­s liées à la pandémie de COVID-19 et pourraient avoir besoin d’aménagemen­ts supplément­aires en début de session ». « Le Bureau du doyen à la vie étudiante travailler­a au cas par cas sur les aménagemen­ts pour ces étudiants », ajoute-t-on.

* Noms fictifs

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