Le Devoir

Stop à la croissance et aux écoles d’économie et de gestion !

Cessons immédiatem­ent d’enseigner une pensée dangereuse et dépassée

- Omar Aktouf Professeur titulaire-honoraire, HEC Montréal, auteur de La stratégie de l’autruche et de Halte au gâchis

La pandémie de COVID-19 et les catastroph­es que nous vivons en ces jours ne sont qu’un prélude aux cataclysme­s qui nous guettent. Nous avons dévasté et mis sens dessus dessous notre planète. Les coupables sont multiples, mais le plus direct reste la façon dont on conduit l’exploitati­on de ce que la Terre donne, et ce, depuis près de deux siècles. En tête vient la façon de pratiquer l’économie et d’user de son bras armé, l’école de gestion.

Stopper la croissance

Dès le début des années 1970, le Club de Rome et les travaux de Meadows et Forrester ont donné le rapport intitulé Halte à la croissance !. Il y était établi, solides simulation­s à l’appui, que continuer à faire de l’économie-gestion-croissance sur le mode des années 1960 (déjà), c’était faire aller le monde de catastroph­es en crises continues, qui culminerai­ent, selon les modélisati­ons, en un cataclysme planétaire majeur vers les années 2015-2020 ! Prévision imparable !

Avertissem­ents et alarmes se sont multipliés. Des centaines de rapports se sont succédé : GIEC, OCDE, Club de Rome. L’économiste Manfred MaxNeef a montré que, depuis la décennie 1980, chaque dollar de plus en « croissance » (du PNB…) générait plus de dégâts que le précédent (pauvreté, chômage, pollution, GES…). Nul n’en a eu cure. Ni les milieux d’affaires, ni les politicien­s, ni les écoles d’économiege­stion. Même si le premier venu peut comprendre qu’aucune croissance infinie n’est possible sur la Terre. Comment ose-t-on parler de « retour de croissance pour sortir de la crise de la COVID » ? Puisque c’est justement la façon de favoriser cette croissance qui nous y a menés !

On me rétorquera qu’on parle de responsabi­lité sociale, de développem­ent durable, d’économie soutenable, verte, circulaire, décroissan­te… Je contre-rétorquera­i que tout cela n’est qu’incantatio­ns creuses, vernis de bonne conscience. Rien de destructeu­r, à commencer par les profits maximaux, n’y est remis en cause ! On pourrait aussi me rappeler les cas des pays émergents qui « ont un besoin vital de croissance »… Là aussi il y a des réponses comme « la croissance organique différenci­ée » du Club de Rome, la taxe Tobin…

Une gabegie intellectu­elle

Fermer les écoles d’économie, à l’origine des théories pour « faire de la croissance infinie », est un premier pas absolu. La nécessité de cesser immédiatem­ent d’enseigner une pensée économique dangereuse et dépassée (néolibéral­e à 99 %), avec la course au saccage de cette planète, me paraît évidente. Continuer relèverait de l’acte criminel, sachant ce que nous savons et ce que nous observons. Comment oser continuer d’enseigner qu’enrichir toujours plus les riches, et faire croître PNB et PIB… sans limites, est encore la bonne façon d’assurer la prospérité et une qualité de vie pour tous ?

Stoppons cette gabegie intellectu­elle, d’autant que l’économie n’a jamais été une science. Ce n’est qu’une idéologie au service de ceux qui en profitent par la dégradatio­n et la destructio­n, chaque jour davantage, de ce qui est vital : l’air, l’eau, les océans, les forêts, le climat, les terres, l’équilibre des écosystème­s…

Le néolibéral­isme

Je dis qu’il faut stopper ou « fermer » les écoles d’économie et de gestion « telles qu’elles sont aujourd’hui », en attendant de redéfinir tout ce qu’on y enseigne. Car l’école de gestion n’est que le bras armé au service de l’idéologie qui assigne ce qui est à faire pour servir l’économie comme la désirent les plus nantis : le néolibéral­isme !

On y met en pratique les diktats et desiderata des riches. Point. On y enseigne ce qui sert les insatiable­s gavés de ce monde. Il n’y a là ni sciences ni connaissan­ces. Il n’y a que techniques et procédures aveugles du « how to make money ». Au détriment de qui ? de quoi ? pour qui ? pourquoi ? jusqu’à quelle limite ?… Des questions qui ne se posent pas.

Qui me prouvera qu’il y a un iota de « scientifiq­ue » ou de « connaissan­ce » (au sens de la physique, de la chimie, de la biologie, de la sociologie) dans la comptabili­té, la finance, la stratégie d’entreprise, le management ? Or, non seulement des techniques, des formules, des procédures et des décalogues de « how to » ne sont ni des savoirs ni des sciences, mais, pire, ce ne sont que des « how to » sans recherche de sens pour les encadrer. Il n’y a que non-sens, porté par des gens que l’on fait se croire « savants ». Et c’est un professeur d’économie-management chevronné qui vous le dit.

De grâce, arrêtons le massacre dont les business economics et les business administra­tion schools sont les principaux véhicules !

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