Heavy Metal n’est pas mort
En entrevue avec Le Devoir, le réalisateur du film culte, Gerald Potterton, replonge dans ses souvenirs pour évoquer la Seconde Guerre mondiale et les larmes de Buster Keaton
Depuis début juillet déjà et jusqu’à la fin du mois d’août, la Cinémathèque québécoise consacre sa programmation à des oeuvres donnant le beau rôle à la musique, dans une riche série simplement nommée MUSIQUE ! En plus de récentes captations à valeur cinématographique ajoutée — Renegade Breakdown, de Marie Davidson, & l’OEil nu, par Denis Côté, et At State’s End, de Godspeed You ! Black Emperor, par Karl Lemieux et Philippe Léonard — et de classiques du cinéma musical (The Last Waltz, Jailhouse Rock, Bird), on présentera ce mercredi le cultissime film d’animation Heavy Metal pour souligner son 40e anniversaire en présence de son réalisateur Gerald Potterton, avec qui Le Devoir s’est entretenu.
Qui dit film culte dit souvent film bizarre, extravagant, parfois provocateur, et Heavy Metal est tout ça à la fois, appuyé par une tonitruante bande sonore faite de hard rock et de new wave. Projet dérivé du magazine de bandes dessinées « alternatives » américain Heavy Metal — lui-même la version anglophone du célèbre magazine français Métal Hurlant — , le film, produit par Ivan Reitman (réalisateur des Ghostbusters originaux), réunit en un seul récit de science-fiction dix courts métrages conçus par 17 équipes dispersées à Montréal, Londres, New York, Ottawa. Comme dans la version papier, l’action, la violence et les scènes de nudité abondent.
Le compositeur Elmer Bernstein
« Je suis étonné qu’on se souvienne encore de ce film, 40 ans plus tard », dit en rigolant son réalisateur, Gerald Potterton, qui souligne l’importance de la musique de son film, « avec les chansons de tous ces groupes, Blue Öyster Cult, Black Sabbath, Stevie Nicks, Sammy Hagar, je ne les connaissais pas vraiment… Par contre, un des plaisirs que j’ai eus avec ce film fut de pouvoir retourner à Londres avec Elmer Bernstein », célèbre compositeur de musiques de film, dont le thème de The Magnificent Seven (1960) et celle de The Ten Commandments (1956). « On a enregistré la bande originale avec le Royal Philharmonic Orchestra dans une petite église tout près d’où j’ai grandi, à Londres. Là où tombaient les bombes durant la Seconde Guerre mondiale, durant cet été de 1944. Jamais je ne pensais retourner là et replonger dans mes souvenirs of those bloody airbombs… »
Gerald Potterton a quitté l’Angleterre pour venir s’installer au Canada en 1954. Dès son arrivée, il intègre l’Office national du film où il peaufine son art, autant comme réalisateur que comme animateur. « Tous mes amis à l’Office national du film, Claude Jutras, ces gars, ils me parlaient toujours en anglais », dit le résident des Cantons-de-l’Est, en s’excusant pour son français alourdi par l’accent british.
The Railrodder
Par la plus heureuse coïncidence, son parcours d’animateur et de réalisateur l’a aussi mené à travailler sur un autre mythique film d’animation en lien avec la musique populaire : Yellow Submarine (1968), film d’animation racontant les aventures des Beatles, « des personnages qui n’étaient simples à animer », se rappelle . Il n’a fait qu’une petite partie de l’animation de ce film réalisé par le Canadien George Dunning, qui a lui aussi appris son métier à l’ONF. « On a travaillé sur Yellow Submarine depuis Montréal, dans mon studio de l’époque, Place Bonaventure », qui était devenu dans les années 1960 un point de chute et lieu de travail pour
Heavy Metal sera présenté à la Cinémathèque québécoise le 4 août à 18 h 30, en présence du réalisateur.
plusieurs artisans du cinéma d’ici, dont Micheline Lanctôt.
Si Gerald Potterton, qui compte plus d’une trentaine de courts, moyens et longs métrages à sa feuille de route, est surtout connu pour Heavy Metal, il considère The Railrodder (1965) comme son plus important film. D’une durée de 24 minutes, le film, produit par l’ONF, est le dernier film muet mettant en vedette le grand Buster Keaton, légende du cinéma muet hollywoodien. La comédie amène Keaton à traverser le Canada sur les rails à bord d’un petit buggy.
« Un jour, raconte-t-il, je remarque un employé des chemins de fer à bord de cette petite machine. Ça m’a donné l’idée de faire un film d’animation, en reproduisant l’engin et en y mettant la tête de Buster Keaton. À l’époque à l’ONF, il y avait des périodes budgétaires où il restait toujours un peu d’argent à dépenser, alors j’ai proposé l’idée à mon supérieur. Il m’a répondu : on n’a pas le temps de le faire en animation, tourne le live. Moi, j’étais sûr que Buster Keaton était décédé ! En fait, il tournait alors un film à Manhattan, alors je suis allé le rencontrer dans son hôtel, qui donnait sur Central Park. Mon scénario ne tenait que sur une page : un trip à travers le Canada sur le chemin de fer. Ça tombait bien, Buster adorait le chemin de fer. »
Perle cachée du répertoire de l’ONF, The Railrodder est magnifiée par la charmante musique originale d’Eldon Rathburn, monument de la musique de film canadienne et compositeur attitré à l’ONF à partir de 1947. « Et tout comme Buster Keaton, Eldon était aussi un fanatique des trains ! C’était super. Je me souviens, lorsqu’on s’est rencontrés la première fois tous les trois, c’était durant une projection de The General », classique du cinéma muet signé Buster Keaton daté de 1926 dont l’action se déroule justement sur un train. Lors de cette projection, Rathburn accompagnait l’image au piano : « J’étais assis à côté de Buster, il avait versé une larme… »
Cela ne risque pas de nous arriver en revoyant l’hallucinant Heavy Metal, film dont la réputation s’est construite au fil des ans pendant des projections de fin de soirée.
« Ivan Reitman était venu me rencontrer à Montréal pour m’offrir de diriger ce projet. Je connaissais alors un peu le magazine français, avec le travail de l’illustrateur Moebius, un génie. Ce qui me fascinait, c’est cette manière de faire la bande dessinée très différente de l’approche américaine. Ensuite, je n’étais pas emballé par le projet. J’ai demandé à Ivan : comment pourra-t-on mettre à l’écran, avec des images en haute résolution, ces poitrines bondissantes et dénudées qu’appréciaient tant les lecteurs du magazine ? J’ai pris le temps d’y réfléchir, et je me suis dit : ce sera tout un challenge. »