Le Devoir

La vérité est dans le verre

- JEAN AUBRY COLLABORAT­EUR

« Y aurait-il une différence de perception si nous dégustions ce barolo dans des verres différents ? » demandait Paul lors d’une dégustatio­n verticale de nebbiolo cette semaine. Une question si pertinente qu’elle nous a donné l’occasion d’astiquer quelques verres pour tenter d’y répondre. La démarche derrière le protocole ? Cinq vins dégustés chacun dans trois verres différents d’un même volume (100 ml) à une températur­e identique de 14 °C. Le sérieux de la démarche trouvant par une stricte dégustatio­n à l’aveugle toute l’intégrité qui ne saurait échapper à votre quotidien préféré.

De la rigolade, tout ça ? L’exercice a démontré le contraire. La forme, la finesse et le volume du « véhicule » cristallin qu’est le verre a une incidence directe sur la perception qu’on se fait du vin. Buvez votre Montrachet ou votre Hermitage dans un verre à moutarde et vous ne ferez pas la différence entre un hot-dog all-dressed et une belle poularde de Bresse pour les mouiller dignement.

Trois verres donc, soit l’allemand Stölzle INAO (l’outil quotidien du chroniqueu­r) et l’autrichien Riedel dans les versions bordeaux et bourgogne, identifiés respective­ment par les lettres A, B et C aux fins de références.

Polyvalent à souhait, le verre A s’adapte à tous les types de vin en maximisant les qualités, mais aussi les défauts… à défaut peut-être de sensibilit­é. Le verre B, lui, tend à « contenir l’informatio­n » pour ne la laisser filtrer qu’au compte-gouttes en raison d’un bon volume plus étroit de cheminée, alors que le verre C, de type ballon, permet une mouvance plus libre et « oxydative » du vin avec un impact aromatique accru.

Dans les trois cas, finesse du buvant (là où les lèvres fusionnent au verre) et forme du contenant ont une répercussi­on directe sur la perception aromatique, mais aussi sur la « tombée de bouche » qui aura, par sa dynamique, une incidence subtile sur les bourgeons gustatifs et les saveurs élémentair­es perçues.

Voici donc quelques impression­s avec le type de verre « gagnant » souligné en caractères gras. Bourgogne Blanc 2018, Faiveley,

Bourgogne, France (28,05 $ – 966697 – (5) 1/2 – ©)

A. Intensité, boisé soutenu mais fin, pomme ; bien sec, vigueur et texture brillante, mais serrée.

B. Nez plus dépouillé, eau-de-vie de poire ; impression de tanicité, de fraîcheur.

C. Nettement plus floral au nez, vanille douce, charme immédiat ; bouche effilée qui gagne en volume, finale homogène, longueur. Rosé de Minière 2020, Bourgueil, Loire, France (20 $ – 14678138 – Bio – (5) )

A. Nez d’abricot frais soutenu avec une bouche généreuse, très fraîche ; impression de densité immédiate. B. Nez plus « minéral », agrume, cadré, avec une bouche qui décuple l’acidité. C. Nez plus large, floral, épicé, couplé à une bouche tonique qui évolue rapidement sur les amers. Chinon 2020, La Cuisine de ma mère, Nicolas Grosbois, Loire, France (19,65 $ – 12782441 – Bio – (5) )

A. Nez tonique, poivré, betterave, bien centré ; corps et vigueur immédiate, un rien astringent avec une finale saline.

B. Nez intense, mûre ; bouche « froide », allongée, plus homogène de texture, complet.

C. Plus complexe au nez, pivoine et rose, zeste d’orange ; impression de sucrosité rapidement resserrée par des tanins fins et expressifs. Massaya Réserve 2012, Vallée de la Béqaa, Liban (51,75 $ – 10856929 – (5 +) ©)

A. Nez étroit cumulant les épaisseurs tel un millefeuil­le, mais compact et discret, prune et mûre écrasée ; bouche fraîche et serrante cernant des tanins immenses, mais très civilisés.

B. Race et distinctio­n au nez, encens, goudron, sérieux mais harmonieux ; bouche avivant en finesse des tanins mûrs aux nuances de cèdre et de réglisse. Longue finale.

C. Peine à contenir sa complexité galopante avec une montée de nez iodée de zan et de cape de Havane frais, capiteux toutefois ; bouche d’abord sphérique se structuran­t rapidement. Champagne Henriot Blanc de Blancs Brut, Champagne, France (79,75 $ – 10796946 – (5+) )

A. Vigueur et intensité au nez ; bouche alerte, friande, stimulante, un rien malique. Un concentré de bulles fines.

B. Nez détaillé, floral et pomme ; bouche énergique, minérale, florale, touche saline.

C. Bouquet ouvert, mais économe, très distingué ; bouche brillante, tonique. Une mousseline de texture.

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