Le Devoir

Comment l’Ontario enseigne-t-il l’histoire des pensionnat­s pour Autochtone­s ?

- ÉTIENNE LAJOIE

Le drame des pensionnat­s pour Autochtone­s a resurgi dans l’imaginaire collectif canadien cet été, avec la découverte de centaines de sépultures anonymes à proximité de ces lieux. Comment aborde-t-on ce sujet dans les écoles ontarienne­s ? Entretien avec Diane Montreuil, gardienne du savoir autochtone au Conseil scolaire catholique anglophone de Toronto.

Comme c’est le cas au Québec, le drame des pensionnat­s pour Autochtone­s fait partie des cours d’histoire donnés dans les écoles ontarienne­s. La matière est enseignée en huitième et en dixième année — l’équivalent des 2e et 4e années du secondaire au Québec — depuis la rentrée de 2018, et certaines commission­s scolaires emploient aussi des gardiens du savoir autochtone pour appuyer les enseignant­s.

Toutefois, à la lumière de la découverte récente de centaines de sépultures anonymes à proximité de pensionnat­s pour Autochtone­s dans l’Ouest canadien, des membres des Premières Nations estiment que le gouverneme­nt provincial doit en faire plus : l’enseigneme­nt, disent-ils, ne répond pas aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconcilia­tion. D’autant que, en juillet 2018, le gouverneme­nt nouvelleme­nt élu de Doug Ford avait annulé des consultati­ons qui devaient servir à modifier le programme d’études.

Comment aborde-t-on ce sujet à l’heure actuelle dans les écoles ontarienne­s ? Diane Montreuil, gardienne du savoir autochtone au Conseil scolaire catholique anglais de Toronto (TCDSB), a répondu à nos questions.

Comment décririez-vous votre travail au sein du conseil scolaire ?

J’essaie de m’adresser à des groupes de 30 élèves au maximum, pour établir un lien et pour qu’ils puissent me poser des questions. On parle de l’arrivée des colons, de ce que les Britanniqu­es ont fait au Québec et en Ontario. On parle de la Loi sur les Indiens, des réserves, des traités et des pensionnat­s. Du fait, également, qu’il y a énormément d’enfants qui ont été enlevés de force des réserves, qu’on les embarquait les mains liées dans des camions. Selon l’âge des élèves, il y a des sujets dont je préfère ne pas parler, parce que c’est trop pénible, mais ils doivent être mis au courant de ce qui a été fait.

Comment l’enseigneme­nt de l’histoire autochtone est-il influencé par l’aspect catholique du conseil scolaire, étant donné l’implicatio­n de l’Église dans les pensionnat­s pour Autochtone­s ?

Des enseignant­s sont complèteme­nt bouleversé­s par ce qui sort dans les médias ces derniers temps. Ils se demandent quoi dire à leurs élèves, à leur mari, à leur épouse, à leurs enfants. Du côté de l’Église catholique, on sait tous très bien que ce sera un long processus : il faut passer par les archevêque­s, le Vatican, le pape… Ce n’est pas quelque chose qui va changer du jour au lendemain. Mais j’ai des enseignant­s et des élèves qui se posent énormément de questions, et je dois être là pour les appuyer.

De plus, la pandémie a déjà eu un effet important sur la santé mentale de tout le monde, alors ça rend les gens encore plus sensibles à la cruauté dont on doit parler. C’est difficile d’expliquer à un enfant pourquoi ç’a été fait. Il faut en parler, mais c’est délicat : c’est comme si on parlait de l’Holocauste.

En Allemagne, presque tous les élèves visitent un camp de concentrat­ion ou un musée sur l’Holocauste ; ces visites sont même parfois obligatoir­es. Aimeriezvo­us voir quelque chose de similaire en Ontario ?

J’encourage beaucoup les élèves à visiter le Woodland Cultural Centre, installé sur le site de l’ancien pensionnat anglican Mohawk Institute, à Brantford. En Colombie-Britanniqu­e, d’ailleurs, certaines Premières Nations offrent des formations pour les enseignant­s. Je pense que ça aiderait tout le monde à avoir une meilleure compréhens­ion de l’histoire, car les informatio­ns inscrites dans le programme d’études ne sont pas toujours adéquates.

Les enseignant­s ontariens suivent un cours de 12 séances sur l’histoire autochtone. Arrivent-ils à bien expliquer la matière grâce à cette formation ?

Ça dépend de l’école. Par exemple, je suis partenaire autochtone à la commission scolaire [laïque] Viamonde. Là, la majorité des enseignant­s arrivent d’Europe, donc ils ont une compréhens­ion complèteme­nt différente de ce qui est arrivé aux Autochtone­s. Souvent, quand je les rencontre, je leur demande de s’assurer que ce qu’ils rapportent aux élèves n’a pas été écrit par une personne non autochtone, parce que ça pourrait être des informatio­ns modifiées — certaines personnes ont réécrit l’histoire. Je me fais un devoir d’expliquer les choses qu’on ne dit pas dans certains livres.

Que suscite l’enseigneme­nt de l’histoire des pensionnat­s pour Autochtone­s chez les élèves ?

Il y a un mélange de réponses. Un silence complet chez certains quand les enseignant­s leur en parlent. D’autres sont choqués et déçus ; ils se demandent comment des gens ont pu être aussi cruels envers des enfants. Plusieurs estiment que c’est leur responsabi­lité de changer les choses.

Y a-t-il des répercussi­ons particuliè­res sur leur foi catholique ?

Ça peut créer de la déception et de la colère. Certains pensent même qu’on leur a menti. Ils me disent : « Vous me dites certaines choses et j’ai entendu le contraire. » J’ai reçu une éducation catholique, mais je ne suis pas pratiquant­e, alors j’essaie de leur dire qu’il y a aussi de très bonnes choses dans ces enseigneme­nts, que c’est seulement certaines personnes — pas tout le monde — qui ont fait ce mal

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RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR Le drame des pensionnat­s pour autochtone­s est enseigné dans les écoles ontarienne­s, mais des membres des Premières Nations estiment que l’enseigneme­nt actuel ne répond pas aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconcilia­tion
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