Le Devoir

La recette du succès olympique des Canadienne­s

- MYRIAM BOULIANNE

Les Canadienne­s s’illustrent davantage que leurs vis-à-vis masculins aux Jeux olympiques de Tokyo cette année. Certains expliquero­nt ces succès par le fait que la délégation est composée à 60 % de femmes. Mais au-delà des statistiqu­es, la question du financemen­t et de l’encadremen­t des athlètes pourrait apporter quelques pistes de réponse.

Déjà, aux Jeux de Rio en 2016, 16 des 22 médailles remportées l’avaient été par des femmes. À Tokyo, le même scénario est en train de se réaliser : au moment où ces lignes sont écrites, les 11 médailles remportées l’ont été par des athlètes féminines.

« Pour les gens qui suivent le sport féminin en dehors des Jeux olympiques, ce n’est pas une surprise », souligne la codirectri­ce du Centre national de recherche sur l’équité entre les genres dans le sport, Guylaine Demers. « Ce qui me fascine, c’est que puisque le sport féminin est médiatisé une fois tous les deux ans et devient invisible après ça, il y a peu de gens qui savent qu’il y a autant d’athlètes féminines qui s’illustrent. »

Pour Sylvie Béliveau, cofondatri­ce d’Égale Action, le Canada « peut se féliciter d’offrir un encadremen­t de qualité autant aux hommes qu’aux femmes ». Le soutien financier qui leur est accordé est aujourd’hui égal à celui des hommes — mais cela n’a pas toujours été le cas, rappellent les deux expertes.

« Pendant longtemps, c’était les hommes qui remportaie­nt les médailles. Il n’y avait aucun financemen­t, aucun encadremen­t et aucune infrastruc­ture pour les athlètes féminines. Mais en offrant aux femmes des conditions d’entraîneme­nt similaires à celles des hommes, on se rend compte qu’elles performent elles aussi », ajoute Mme Demers, également professeur­e au Départemen­t d’éducation physique de l’Université Laval.

Même son de cloche chez Mme Béliveau. L’ancienne joueuse de soccer se souvient d’ailleurs que son sport n’a fait son entrée aux Jeux olympiques qu’en 1996 : « Dans mon temps, on n’avait pas accès aux Jeux. On ne pouvait pas aller aussi loin. Mais là, maintenant, c’est possible. »

Eric Myles, chef du sport du Comité olympique canadien, tente une explicatio­n : « Le système sportif canadien prône l’inclusivit­é. […] Les femmes ont leur place et on le voit dans les résultats », dit-il avec fierté. Ce dernier exclut toutefois qu’il y ait un « déséquilib­re », dans un sens ou dans l’autre. « On parle souvent des médailles, mais il y a eu des performanc­es exceptionn­elles autant des hommes que des femmes. On compte jusqu’à présent 24 Canadiens parmi les top-5 aux Jeux de Tokyo », précise-t-il.

Pas de « recette magique »

Reste qu’à chances égales, il demeure difficile d’expliquer pourquoi les Canadienne­s remportent la majorité des médailles. Mais quelques indices existent.

« Je pense qu’il y a l’impact des modèles : plus les filles voient des athlètes féminines s’illustrer, plus elles peuvent s’y identifier. Cela fait en sorte que le bas de la pyramide du sport féminin s’élargit de plus en plus, que plus de filles s’initient au sport », explique la professeur­e Demers.

Depuis le début de leur carrière, elles rencontren­t des obstacles que les hommes ne rencontren­t pas. Lorsqu’on réussit à faire face à l’adversité, on tient davantage à son objectif, on s’accroche et on fait tout pour l’atteindre.

S’il n’y a pas de « recette magique » qui explique la bonne performanc­e des Canadienne­s, plusieurs facteurs peuvent y contribuer, selon elle. Plusieurs femmes athlètes font preuve de « déterminat­ion patiente », dit la professeur­e. « Depuis le début de leur carrière, elles rencontren­t des obstacles que les hommes ne rencontren­t pas. Lorsqu’on réussit à faire face à l’adversité, on tient davantage à son objectif, on s’accroche et on fait tout pour l’atteindre. »

Dans le milieu de la natation, la réponse est toutefois plus nette.

Natation Canada a entrepris en 2013 une réforme de son système de détection des talents, basé sur les temps. Une réforme dont les filles ont bénéficié, répond Nicolas Zazzeri, directeur technique à la Fédération de natation du Québec. « Les filles atteignent leur maturité de nageuse plus tôt que les garçons, donc elles s’adaptent plus facilement. » Cela expliquera­it pourquoi les nageuses canadienne­s qualifiées aux JO sont très jeunes : on pense notamment à Penny Oleksiak, qui était âgée de 16 ans à Rio, et à Summer McIntosh, qui est à Tokyo à seulement 14 ans.

On ajoute à cela le déménageme­nt à Toronto du centre de haute performanc­e de Natation Canada, situé au Centre sportif panamérica­in depuis 2014. C’est dans ces installati­ons ultramoder­nes que la majorité de l’équipe canadienne de natation s’entraîne, remarque M. Zazzeri. De plus, dans l’ensemble du pays, la natation est majoritair­ement prisée par les femmes : on compte 17 502 nageuses, contre 13 106 nageurs aux niveaux compétitif et précompéti­tif, selon Natation Canada.

Même si le calendrier des compétitio­ns de la première semaine des Jeux favorise les athlètes féminines du Canada, la tendance devrait se poursuivre à Tokyo, selon M. Myles. « Ça va rester encore fort du côté féminin. La tendance est là depuis les Jeux de Londres », affirme-t-il, même s’il admet qu’il est trop tôt pour conclure quoi que ce soit.

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LEE JIN-MAN ASSOCIATED PRESS Les médaillées d’or Lisa Roman, Kasia GruchallaW­esierski, Christine Roper, Andrea Proske, Susanne Grainger, Madison Mailey, Sydney Payne, Avalon Wasteneys et Kristen Kit du Canada ont remporté le huit d’aviron féminin vendredi.
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