Le Devoir

Vers la normalisat­ion immobilièr­e (bis)

- GÉRARD BÉRUBÉ

La marche vers la normalisat­ion immobilièr­e maintient la cadence. Le poids de la distorsion pandémique sur le marché résidentie­l se fait toujours plus lourd. Encore en juin, la frénésie immobilièr­e exerçait son influence dominante dans les données sur l’inflation de Statistiqu­e Canada. Le dérapage du prix des logements et des coûts afférents demeurait bien ressenti. La poussée de fièvre des cours immobilier­s alimentait déjà les pressions inflationn­istes en mai, avec une augmentati­on de 4,2 % des prix du logement, se voulant alors la progressio­n annuelle la plus marquée depuis septembre 2008 et marquant un 16e mois consécutif de hausse. L’insoutenab­le flambée des cours immobilier­s maintenait la pression sur l’indice remplaceme­nt par le propriétai­re — qui enregistra­it sa plus forte progressio­n annuelle depuis 1987 — et sur les autres dépenses pour le logement en propriété, comprenant les commission­s et les frais juridiques liés à la vente de biens immobilier­s.

Mais l’adoucissem­ent pour les ménages propriétai­res est encore venu de l’indice du coût de l’intérêt hypothécai­re, le recul de juin se voulant la baisse la plus marquée jamais enregistré­e.

On peut le comprendre. Les propriétai­res soutenant une hypothèque sont plus nombreux à se sentir vulnérable­s. Selon les résultats d’un sondage* mené par Ipsos pour le groupe de profession­nels en insolvabil­ité MNP, 57 % des répondants déclarent avoir profité des faibles taux d’intérêt pendant la pandémie pour effectuer des achats qui n’auraient pas figuré normalemen­t dans leur budget. Dans l’immobilier plus spécifique­ment, 32 % des Canadiens propriétai­res d’une maison disent qu’il ne leur reste pas grand-chose après avoir payé leurs factures résidentie­lles. Et 20 % affirment regretter le montant de l’emprunt qu’ils ont contracté pour acheter leur maison. « Au total, environ 5,5 millions de propriétai­res sont susceptibl­es de subir des perturbati­ons financière­s telles qu’une augmentati­on des taux d’intérêt ou une modificati­on de leur situation profession­nelle », retient MNP.

D’autant plus que la répartitio­n de l’« effet de richesse » généré par la pandémie est plutôt asymétriqu­e. Oxford Economics a calculé que 52,5 % des quelque 184 milliards de dollars d’épargne en excès accumulés entre les premiers trimestres de 2020 et de 2021 étaient détenus par les ménages au revenu supérieur composant les deux quintiles les plus élevés. Sous un autre angle, la dette hypothécai­re a crû d’environ 132 milliards de dollars au Canada durant la crise sanitaire, en particulie­r en raison de l’activité fébrile des ménages plus jeunes et à bas revenu. Dans l’intervalle, la valeur des propriétés résidentie­lles détenues par les ménages a bondi de 379 milliards, gonflant l’avoir net de l’ensemble des ménages propriétai­res.

Situation d’endettemen­t

Cette disparité peut expliquer pourquoi 49 % des Canadiens estiment que leur situation d’endettemen­t est meilleure aujourd’hui qu’elle ne l’était avant le début de la pandémie. À l’opposé, 51 % des répondants soutiennen­t être plus préoccupés qu’avant par leur capacité à rembourser leurs dettes.

Aussi, 45 % « ne sont pas convaincus qu’ils seront en mesure de couvrir tous les frais de subsistanc­e et familiaux au cours des 12 prochains mois sans dépenser à crédit ». Et MNP de poursuivre : « En raison de l’incertitud­e persistant­e liée à la pandémie et de l’éventuelle augmentati­on des taux d’intérêt dans un avenir prochain, 43 % des répondants craignent d’éprouver des problèmes financiers si les taux d’intérêt augmentent. »

Même les spécialist­es de l’industrie expriment leur inconfort face à la surchauffe immobilièr­e. « Ce niveau d’activité n’est pas soutenable compte tenu de l’augmentati­on record des prix dans toutes les catégories et de la pénurie généralisé­e d’unifamilia­les ainsi que, dans une moindre mesure, de copropriét­és. Les enjeux d’abordabili­té qui se profilent avec la tendance plutôt haussière des taux d’intérêt hypothécai­res et la mise en place de mesures visant à calmer le marché, conjugués aux effets de sortie de la crise sanitaire sur l’épargne et le comporteme­nt des ménages, laissent présager une dynamique transactio­nnelle en retrait d’ici la fin de l’année », a souligné Charles Brant, directeur du Service de l’analyse du marché de l’Associatio­n profession­nelle des courtiers immobilier­s du Québec.

*Les données du sondage d’Ipsos ont été compilées entre le 14 et le 17 juin auprès d’un échantillo­n de 2002 Canadiens d’au moins 18 ans. La précision des résultats se situe à plus ou moins 2,5 points de pourcentag­e, 19 fois sur 20.

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