Le Devoir

Bienfaits, et limites, du télétravai­l

- BRIAN MYLES

Àmoins que la progressio­n des variants ne vienne chambouler les plans, l’automne marquera le retour progressif au bureau de centaines de milliers de travailleu­rs que l’urgence sanitaire a confinés à domicile, en tout ou en partie, depuis 18 mois. Les employeurs et les travailleu­rs anticipent ce « nouveau normal » dans un monde où rien ne sera plus comme avant. Le télétravai­l est là pour de bon. Les employés qui ont accompli leur prestation de travail dans le confort de leur résidence y ont pris goût et ils apprécient cette flexibilit­é retrouvée. Moins d’heures perdues dans le trafic, moins d’agitation à l’heure du départ et du retour à la maison pour les parents de jeunes enfants. Une facilité accrue de concilier les obligation­s familiales et personnell­es. Une autonomie nouvelle dans l’accompliss­ement des tâches.

Vraiment, la pandémie nous a permis de découvrir une toute nouvelle façon d’envisager notre rapport au travail qui met à mal les organisati­ons attachées aux pratiques de gestion hiérarchis­ée.

Les sondages internes et externes démontrent que les travailleu­rs ne voudront plus revenir en arrière et revenir au bureau cinq jours par semaine : ce mode de travail ne conviendra désormais qu’à une minorité. Un consensus mou se forme autour d’un « modèle hybride ». Dans celui-ci, les entreprise­s les moins généreuses y vont d’une à deux journées de télétravai­l par semaine, alors que les plus permissive­s optent pour trois jours de télétravai­l.

Il y a quelques semaines, la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, et le ministre du Travail, Jean Boulet, ont précisé les modalités du retour au travail pour les 60 000 employés de la fonction publique québécoise. Le gouverneme­nt Legault, dont les syndicalis­tes dans l’âme se méfient pour ses idées un peu plus à droite sur le spectre politique, en a surpris plus d’un en privilégia­nt le mode trois jours à la maison, deux jours au bureau, sur une base volontaire. Le retour sera graduel à compter du 7 septembre. Par pure coïncidenc­e, Le Devoir a adopté une politique presque identique pour les membres de son personnel.

Le Syndicat de la fonction publique et parapubliq­ue du Québec (SFPQ) a bien accueilli la politique, mais il a fait la fine bouche en déplorant que les employés de l’État ne puissent pas décider de l’horaire de leur choix. Il y a encore un statut pour ce genre d’arrangemen­t en droit du travail, et c’est celui du travailleu­r autonome.

Le télétravai­l demeure un privilège et non un droit. Aux employeurs qui se demandent jusqu’où ira la négociatio­n du retour au travail avec les employés, le ministre Boulet a donné quelques indication­s instructiv­es lors de sa mêlée de presse avec sa collègue Sonia LeBel. Il a confirmé que l’adoption d’une politique de télétravai­l relevait d’un « droit de gestion » de l’employeur. « C’est une décision qui va ultimement revenir à l’employeur, mais il faut que ce soit fait de manière collaborat­ive », a-t-il précisé. En revanche, le télétravai­l n’offre pas « un chèque en blanc » pour modifier les conditions de travail, d’où l’importance de respecter des principes d’équité.

Pour le gouverneme­nt, les avantages du télétravai­l sont indéniable­s pour recruter et retenir la main-d’oeuvre, limiter les besoins en espaces locatifs et contribuer d’une manière originale à l’améliorati­on du bilan énergétiqu­e. Pour les employeurs, le télétravai­l comporte des exigences élevées d’adaptation dont les salariés ne prennent pas toujours la pleine mesure.

Une étude publiée récemment par la firme LifeWorks (ancienneme­nt connue sous le nom de Morneau Shepell) révélait que près de la moitié des leaders et gestionnai­res d’entreprise­s songeaient à quitter leur emploi actuel, et que le quart d’entre eux envisageai­ent de le faire à court terme. La pression, le sentiment de perte de contrôle sur leur horaire et la surcharge de travail figurent parmi les raisons évoquées.

La rentrée marquera l’épreuve de la réalité pour le modèle hybride. Au cours des 18 derniers mois, nous n’étions pas tant en télétravai­l qu’en télétravai­l obligé par la force du confinemen­t. Maintenant que la vie reprend son cours, nous redécouvro­ns ce qui nous a le plus manqué : la socialisat­ion. Or, les milieux de travail font partie des lieux de prédilecti­on où s’exercent les interactio­ns humaines fondamenta­les à notre bien-être.

L’engouement suscité par le télétravai­l ne devrait pas nous faire oublier que de nombreux facteurs militent pour un retour variable au bureau : le sentiment d’appartenan­ce, la cohésion et la communicat­ion, l’innovation, le mieux-être. Chaque entreprise devrait être libre d’inventer la formule permettant de trouver le point d’équilibre entre la poursuite de ses objectifs stratégiqu­es et les attentes des employés.

Dans ce monde où plus rien ne sera comme avant, les employeurs ont tout intérêt à multiplier les initiative­s pour stimuler l’intérêt du personnel à revenir au bureau. Nous avons concilié travail-famille, et maintenant, nous devrons nous consacrer à la recherche de formules originales pour faire en sorte que le retour au bureau soit l’occasion de faire la conciliati­on travail-plaisir. Le modèle hybride viendra bouleverse­r encore notre rapport au travail. Donnons-nous du temps, de la flexibilit­é et de la liberté pour que ce nouveau laboratoir­e soit fécond, tant pour les employeurs que pour les membres du personnel.

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