Le Devoir

Le Canada est-il vraiment inclusif ?

Les non-croyants mériteraie­nt que l’on s’intéresse aux mesures institutio­nnelles les discrimina­nt

- Marie-Claude Girard des droits de la personne

L’inclusivit­é et le respect de la diversité feront sans doute partie des sujets de la campagne électorale fédérale à venir. Les différents partis soulèveron­t vraisembla­blement les défis de la population autochtone, qui vit, encore de nos jours, sous la tutelle du gouverneme­nt fédéral en vertu de la Loi sur les Indiens.

Un autre groupe de citoyens, les non-croyants, mériterait également que l’on s’intéresse aux mesures institutio­nnelles le discrimina­nt. Dans le cas de ces derniers, leur « exclusion » de la société canadienne est inscrite dans la Constituti­on. En effet, la Loi constituti­onnelle de 1982 indique, dès le départ : « Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaiss­ent la suprématie de Dieu et la primauté du droit […] ». Le texte est clair, le Canada ne prend pas en considérat­ion les non-croyants.

Ensuite, le Canada encourage le prosélytis­me religieux en accordant le statut d’organisme de bienfaisan­ce (OBE) aux organisati­ons vouées à la promotion de la religion — la religion est considérée comme une activité de bienfaisan­ce. Nul besoin pour elles d’offrir un bénéfice tangible aux Canadiens, comme c’est le cas pour les autres organisati­ons obtenant ce statut.

Une « puissance supérieure »

C’est croire en une « puissance supérieure et invisible, comme Dieu, un être ou une entité suprême », qui en est le critère. Les organisati­ons religieuse­s doivent donc uniquement démontrer qu’elles prêchent la religion, entretienn­ent un lieu de culte, offrent des services liés à leurs dogmes et doctrines, ou financent des missions afin de propager leur religion pour être reconnues.

Rappelons que le statut d’OBE représente un avantage financier important pour les organisati­ons religieuse­s, car il leur permet d’être exemptées d’impôt, de remettre des reçus pour dons de bienfaisan­ce, de se faire rembourser une partie des taxes à la consommati­on (TVQ et TPS), en plus de permettre aux membres du clergé de déduire des allocation­s de logement. Ces crédits gouverneme­ntaux au prosélytis­me religieux semblent contradict­oires avec la neutralité de l’État et la liberté de conscience des citoyens, protégée par nos chartes.

Ils freinent également la participat­ion pleine et entière des non-croyants à la société canadienne en offrant des avantages indus aux croyants et en privant ainsi les gouverneme­nts fédéral, provinciau­x et municipaux de revenus servant à financer des services pour tous. Le Canada n’est ni neutre ni inclusif. Il favorise clairement les croyants au détriment des non-croyants. Le Canada ne respecte donc pas sa diversité.

Enfin, le Code criminel canadien accorde une préséance à la liberté d’expression religieuse sur les droits fondamenta­ux des non-croyants. En effet, en 2004, le premier ministre libéral Paul Martin modifiait l’alinéa 319 (3) b) du Code criminel concernant la

Le traitement préférenti­el des religions par l’État canadien n’a pas sa raison d’être

propagande haineuse pour offrir une protection au discours religieux portant préjudice à un groupe identifiab­le, lorsque prononcé de bonne foi. Or, plusieurs religions dénigrent et prônent la haine contre les incroyants (y compris les apostats), les femmes, les homosexuel­s ou certains groupes ethniques ou raciaux.

Pour un État neutre

Le Code criminel canadien ne protège donc pas les non-croyants contre les propos haineux basés sur des textes religieux. Une pétition a été déposée à la Chambre des communes demandant l’abrogation de cet article, mais sans succès.

Au Canada, les non-croyants ne jouissent pas des mêmes droits que les croyants, en dépit du principe d’égalité entre tous les citoyens prévu par nos chartes ; ceux qui reconnaiss­ent la « suprématie de Dieu » ont un avantage.

Le Canada se targue d’être un État neutre, inclusif et respectueu­x de tous.

Force est de constater que sa Constituti­on, ses mesures fiscales et son Code criminel sont en porte-à-faux avec cette prétention. Le traitement préférenti­el des religions par l’État canadien n’a pas sa raison d’être et ostracise les non-croyants.

Rappelons que ces derniers représenta­ient déjà 23,9 % de la population il y a dix ans et qu’on les retrouve autant dans les population­s nées au Canada (24,8 %) ou immigrante­s (20,1 %) que parmi les résidents non permanents (27,9 %).

Devant la diversité religieuse et de conscience de sa population, l’État canadien se doit d’être neutre pour respecter tous ses citoyens. Ses mesures étatiques ne doivent pas privilégie­r un groupe au détriment d’un autre.

Espérons que des correctifs seront proposés, par les différents partis, lors des élections fédérales à venir. Des changement­s sont requis pour que le Canada devienne ce qu’il prétend être, vraiment inclusif.

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VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR Le Canada encourage le prosélytis­me religieux en accordant le statut d’organisme de bienfaisan­ce aux organisati­ons vouées à la promotion de la religion.

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