Fantasia, 25 ans d’excentricité et de fidélité
Le codirecteur Mitch Davis revient sur l’évolution de ce festival consacré aux films, non pas que d’horreur, mais hors normes
Le festival Fantasia célèbre cette année ses 25 ans. Pandémie oblige, le tout se tiendra à la fois en virtuel et en personne, quelques projections « physiques » étant prévues, dont celle, très attendue, de la superproduction Suicide Squad, de James Gunn, le 4 août : un préambule à l’événement qui débute officiellement le lendemain et qui se déroulera jusqu’au 25 août. Un cru anniversaire, donc, et l’occasion de revenir sur le chemin parcouru en compagnie de Mitch Davis, codirecteur de Fantasia.
Quiconque a déjà fréquenté Fantasia connaît Mitch Davis, ne serait-ce que de vue. Avec sa longue crinière noire et, surtout, sa dégaine animée, il ne passe pas inaperçu. La parole verbomotrice et le geste expressif, Mitch Davis est un authentique passionné.
« Vingt-cinq ans, ça me paraît irréel. J’ai commencé à travailler comme programmateur à Fantasia en 1997, mais j’étais déjà au festival en tant que cinéphile la première année, en 1996 », se souvient Mitch Davis.
Fondé par Pierre Corbeil avec l’aide des copains André Dubois et Martin Sauvageau, Fantasia démarra petit. « Un immense salon et un écran géant, c’était à peu près ça, l’idée… et les gens sont venus », racontait Pierre Corbeil en 2009.
Fantasia grandit rapidement. De poursuivre Mitch Davis : « Tellement de choses ont changé… Maintenant, presque tous les films qu’on présente, surtout les premières, sont achetés sur-le-champ par les compagnies de distributions internationales, qui sont désormais des habituées du festival. »
Quant aux films eux-mêmes, la donne a également changé.
« Dans les années 1990, la plupart des films sélectionnés venaient de l’étranger, mais ils nous parvenaient souvent en versions tronquées, retitrées, avec volontiers une nouvelle musique. Tout ça, supposément, pour plaire davantage à un public nord-américain. Ce genre de pratique n’a plus cours. »
C’est que le public démontra vite que, outre qu’il n’avait pas peur des sous-titres, il souhaitait justement être exposé à des films différents, insolites, excentriques. D’ailleurs, tout au long de l’entretien, Mitch Davis a privilégié l’expression « cinéma excentrique » plutôt que la désignation fourre-tout (et un peu absurde) « cinéma de genres ».
Là au commencement
Quant audit public, ce dernier répondit vite, et en masse, à l’invitation de Fantasia qui, depuis des années, atteint ou dépasse le nombre magique des 100 000 spectateurs. Un succès retentissant longtemps occulté par un certain snobisme médiatique par rapport au type de films présentés. Mais là aussi, les choses ont changé.
« Depuis quelques années, les festivals généralistes prestigieux consentent à sélectionner du cinéma d’horreur ou des films plus insolites en dehors de leurs “programmations de minuit”. Ça fait en sorte que les films de certains cinéastes dont on a présenté les oeuvres depuis leurs débuts ne nous sont plus accessibles. Mais, hé, c’est comme ça. Et puis, il y a toujours de nouveaux talents excitants à découvrir. »
Parmi ces cinéastes dont Fantasia a présenté les premiers films, Mitch Davis signale Adam Wingard, derrière le récent Godzilla vs. Kong, qui fut invité à Montréal à 19 ans pour dévoiler en primeur son premier film,
Home Sick.
« Nous avons été le premier festival à montrer le travail de Takashi Miike dans cette partie-ci du monde. Nous étions là au début de la carrière de James Gunn [la comédie d’horreur Slither, bien avant Guardians of the
Galaxy]. Même chose pour Mike Flanagan [les films d’horreur Abstensia et Oculus, avant la populaire série The
Haunting of Hill House]. Nous avons présenté les premiers Kim Jee-woon,
A Quiet Family et A Tale of Two Sisters, mais il est maintenant un favori du Festival de Venise et il est donc au nombre de ces cinéastes dont on n’a plus guère accès aux films. »
Un public unique
Des modes ont également vu le jour à Fantasia, comme la narration dite « Screenlife », qui fait appel aux caméras des appareils portables et aux réseaux sociaux. Cela, lors de
la première du film Cybernatural, rebaptisé Unfriended après que le studio Universal l’eut acquis au festival. Des années auparavant, le public nordaméricain put se familiariser avec le genre « J-horror », en bonne partie grâce à Fantasia. « Dreamworks a acheté le film Ring [dont il a produit le remake The Ring] lors de notre présentation du film », révèle Mitch Davis.
Or, tous ces hauts faits ne sont pas ce dont Mitch Davis s’enorgueillit. Ce qui le réjouit le plus, c’est le public de Fantasia. Un public non seulement fidèle, mais fervent.
« Une projection à Fantasia s’apparente à un concert rock. À la différence que le public est hyperattentif à la moindre nuance du film. Les spectateurs applaudissent, crient, mais ils sont hyperrespectueux, presque en communion avec l’écran ; on peut sentir des frissons collectifs parcourir la salle. »
Et ce public est nombreux, la majorité des projections affichant complet au jour dit. « Ça étonne souvent les cinéastes invités, qui s’attendent toujours à des assistances clairsemées. C’est particulièrement vrai pour les jeunes cinéastes, qui sont très nerveux pour leur premier film et qui se sauvent presque après une courte présentation empreinte d’autodérision. Puis, ils sont témoins de l’accueil du public, de sa générosité et de son enthousiasme sincère, et tout de suite après, ces jeunes cinéastes sont des êtres transformés : leur regard brille, leur posture n’est plus la même : je vous jure, j’ai été témoin de ce phénomène des tas de fois ! »
Et c’est cela, ce public, avec son mélange d’ouverture, de curiosité et de respect, qui rend Mitch Davis le plus fier. En retour, Fantasia refuse de dresser quelque barrière que ce soit entre les spectateurs et les artistes invités : dans le Hall Building de l’Université Concordia et dans les bars alentour, on se mêle et on jase.
Rêver de la salle
Ces dernières années, le principal défi du festival est venu des plateformes virtuelles et de la vidéo sur demande, qui ont transformé en profondeur l’industrie cinématographique.
« Il arrive qu’on soit impliqué avec un cinéaste dès l’étape du scénario, mais qu’un distributeur en fasse soudain l’acquisition en décidant aussitôt d’une date de sortie en VSD, nous privant alors d’une présentation au festival. C’est triste pour les cinéastes, qui ratent un important moment de célébration de leur travail. »
D’ailleurs, au sujet de ces liens entre Fantasia et certains projets en amont de la réalisation de ceux-ci, il importe de mentionner l’initiative Frontières, un marché de coproduction devenu incontournable, par lequel passa entre autres la récente lauréate de la Palme d’or, Julia Ducournau, pour son premier long métrage, Grave.
Qu’espère Mitch Davis pour l’avenir de Fantasia ? « La même chose, peut-être en plus grand. » Surtout, Mitch Davis a hâte que s’effectue un réel retour en salle, lieu primordial pour un festival comme Fantasia, qui carbure, certes, au cinéma, mais peut-être, surtout, à l’humain.