À la découverte des champignons de nos sous-bois
Sur les 3000 espèces de champignons que l’on trouve au Québec, une poignée seulement sont à la fois comestibles et savoureuses. Pas étonnant que leur cueillette décourage les non-initiés. Mais pour les curieux, une solution existe : les excursions-découvertes organisées par Mycoboutique.
Ce jour-là, notre promenade en forêt s’étire sur un gros avant-midi et compte une vingtaine de randonneurs venus de tous les horizons : restaurateurs en quête de nouvelles saveurs, couple à la retraite, étudiants très intéressés par les vertus potentielles des champignons magiques… Certains, comme Sarah et Taha, se sont vu offrir cette initiation par leurs conjoints respectifs. Mais, mis à part leur curiosité, la plupart d’entre eux avouent humblement n’avoir aucune connaissance mycologique particulière. Après les présentations d’usage dans une atmosphère décontractée, ce petit monde se disperse à travers la végétation d’une vaste érablière des Cantons-del’Est avec pour seul mot d’ordre celui de remplir son panier avec tous les champignons trouvés sur son chemin… sans y goûter, bien entendu, avant d’avoir consulté Judith.
Judith, c’est Judith Noël Gagnon, biologiste et directrice de Mycoboutique, qu’elle a ouverte il y a une vingtaine d’années au coeur du Plateau à Montréal. Car qui ne s’est jamais arrêté en forêt devant une fraîche éclosion de bolets ou de girolles pour finalement tourner les talons de peur de se tromper et de finir intoxiqué ? Il faut bien le reconnaître : contrairement à l’Europe et à l’Asie, le Québec a longtemps boudé ses champignons. Forts de leur expertise en la matière, Judith et son acolyte, Philip, s’affairent à démystifier la chose, en amenant toujours plus d’amateurs à découvrir les trésors qui se cachent dans nos sous-bois. Ils organisent des excursions chaque fin de semaine, du printemps jusqu’aux premiers froids, afin de permettre au plus grand nombre de s’initier avant de partir faire une cueillette en autonomie.
Des champignons par millions
Au hasard d’un chemin, notre petit groupe croise justement Judith, qui nomme chaque espèce cueillie en un clin d’oeil, avec nom latin et caractéristiques à l’appui. Elle évoque la taille des lamelles, la couleur du chapeau, la friabilité du pied, à la manière d’un Dr House établissant son diagnostic différentiel. En dernier ressort, on goûte, et surtout on recrache : Judith est formelle, la toxicité n’affecte une personne que par ingestion, et le goût, neutre, poivré ou piquant, reste un excellent indice pour déterminer la nature de nos trouvailles. Le verdict tombe pour nous : mis à part quelques grandes collybies de Rodman, un champignon comestible reconnaissable à ses larges lamelles, et quelques russules, comestibles, certes, mais trop piquantes en bouche pour être plaisantes, nous avons surtout récupéré un paquet de bombes intestinales à retardement. Tour à tour, chaque cueilleur en herbe partage son butin. Tel chanceux est tombé sur une table de girolles au pied d’un arbre, un autre a mis la main sur un beau cèpe… Mais, dans l’ensemble, pas encore de quoi faire bombance.
Les randonneurs repartent pour quelques heures, non sans avoir appris qu’un peu plus bas, vers les pruches, il y aurait un fameux coin à bolets. Une fois sur place, c’est la déception : il y a bien là des dizaines de pieds, mais il serait plus honnête de parler d’un cimetière de bolets… dévorés par les vers, percés par la pluie.
Nous sommes hélas arrivés quelques jours trop tard. Judith nous confie que c’est le problème des récoltes de début d’été : les bibittes sont alors affamées. L’éclosion des bolets a lieu deux fois par an, et celle de l’automne est bien mieux préservée de la dégradation.
Le monde envoûtant des fungi
Après avoir dîné tous ensemble, il est maintenant grand temps d’étaler le butin final sur les tables pour une passionnante séance d’analyse et de dégustation. Chaque champignon sera décortiqué, chaque curiosité expliquée.
Au-delà de l’opposition comestible/ non comestible, c’est à une mémorable découverte du monde fantastique des fungi que nous convie Judith. On découvre le polypore des artistes, gros champignon en forme d’assiette que l’on peut graver et exposer. On apprend la différence entre les vesses-de-loup et les sclérodermes, tellement semblables sur pied, mais d’un noir d’encre une fois ouverts. On se désole enfin d’avoir ramassé un plein panier de grandes girolles en entonnoir, qui s’avéreront peu comestibles en raison de leur intérieur creux dans lequel s’accumulent toutes les impuretés. On se réjouit enfin de déguster certaines espèces parmi les plus savoureuses, préparées sur le petit butagaz apporté pour l’occasion. Ce sera bientôt le temps de se quitter, mais pour tous les cueilleurs du jour, une chose est sûre désormais : maintenant que nous sommes armés de ce nouveau savoir, les prochaines randonnées en forêt se transformeront en véritable chasse aux trésors !