Exploration minière
Visiter le Minéro – Musée de Thetford, c’est entrer dans l’épopée minière du Québec par la petite histoire
Descendre dans le temps » : c’est bien à un voyage spatiotemporel que vous conviel’exposition permanente souterraine du Centre historique de la mine King, au Minéro – Musée de Thetford/KB3. Qu’on ne s’attende pas à voir, pour autant, dans le nouvel espace qui ouvre ses portes cette année, une austère collection de minerais et des diagrammes sur l’art de la fragmentation.
Cette exposition-là, installée dans les bâtiments d’origine, reprend avec brio les principes de la muséologie moderne, en plaçant le visiteur au centre d’une expérience humaine et immersive. Et pour renforcer l’impression de descente dans le temps, les dates de chaque tableau, correspondant à une tranche de l’histoire, sont indiquées dans un sens décroissant.
Une tradition bien ancrée
Il suffit d’emprunter les rues de Thetford Mines pour le constater : l’exploitation minière a sculpté le paysage urbain, laissant des montagnes de résidus miniers. C’est d’ailleurs la découverte d’un gisement d’amiante chrysotile qui est à l’origine de sa fondation en 1876. Pour visiter la réplique des galeries de la mine King (d’abord à ciel ouvert, puis devenue souterraine en 1932 à la suite d’un éboulement), vous n’aurez pas à descendre les 457 mètres de profondeur, comme le faisaient les mineurs d’autrefois.
Pour autant, dès l’entrée dans les galeries reconstituées, le visiteur est plongé dans l’atmosphère confinée et obscure des anciens puits. Chaque tableau, illustrant une technique pratiquée sous terre, est soutenu par l’exposition de machineries lourdes d’époque, mais aussi par une ambiance où se mêlent trame sonore et éclairage tamisé. D’anciens mineurs ont prêté leurs voix pour témoigner, souvent avec une émotion perceptible, d’un vécu qui va bien au-delà de l’expérience professionnelle :
« La première fois que je suis descendu sous terre, j’étais fébrile, j’étais anxieux. Mon père oeuvrait dans la mine, j’allais enfin comprendre c’est quoi… »
« Ma première fois, j’avais 19 ans, et j’ai travaillé ici 46 ans… »
« T’arrives dans la noirceur, tu vois plus rien… si tu perds ta lampe, c’est le trou noir ! »
« Des gars descendaient et devaient remonter tout de suite ; ils étaient pas capables… Ça, tu l’as ou tu l’as pas… »
Métier à haut risque
Dans un brouhaha de portes qui claquent, de sirènes et de démarrage de
trucks, d’anciens employés de « la King » racontent en fond sonore les techniques utilisées dans la mine, à une époque où certaines sont exécutées en dépit des règles de sécurité, et ce, durant soixante heures par semaine. Parmi celles-ci, celle du block
carving utilisée autrefois par les boutefeux pour dynamiter certaines sections avec l’extrémité incandescente d’une cigarette. Des voix d’anciens mineurs racontent :
« On aurait pu mourir là. »
« À 19-20 ans, t’es fou, ça va jamais assez vite… J’aurais pu me tuer cent fois. »
À cette époque, avant que la commission Beaudry de 1976 n’impose des procédés de ventilation, le plus grand danger vient de la contamination par la poussière. Une avancée a été possible après « la grève de l’amiante » de 1975. Il s’agissait alors de protéger les travailleurs des maladies respiratoires reliées aux émanations. « Les patrons de la mine ont dû faire du rattrapage, mais le mal était fait », raconte Laurie Jacques Côté, responsable de la médiation culturelle et des communications au Musée de Thetford.
Avant que la mine King ne ferme définitivement ses portes en 1986 (puis d’autres puits sur le même gisement en 2012), celle-ci a d’ailleurs connu plusieurs épisodes de lutte syndicale en raison des conditions de travail, notamment celle des femmes et des enfants, dont certains commençaient dès l’âge de neuf ans. Sous le gouvernement Duplessis, juste après la Seconde Guerre mondiale, alors que la reconstruction de l’Europe crée des occasions pour les matières premières du Québec, un soulèvement populaire particulièrement violent secoue le milieu minier.
En 1949, les sites de Thetford Mines et d’Asbestos connaissent une grève de six mois. On assiste à des affrontements entre syndiqués et briseurs de grève. Et c’est sans compter les épisodes de mises à pied massives : ainsi, en 1974, pas moins de 800 employés sont renvoyés à la veille de Noël à cause d’un incendie. En fond sonore, une voix émue se souvient : « On était à une autre époque, celle du capitalisme sauvage. Un cheval, ça valait plus cher que la vie d’un homme aux yeux des compagnies. »
Un minerai, des humains
Pendant que sont extraites neuf tonnes de minerais par wagon, 200 fois par jour et par quart de huit heures de travail, les moments de fraternité fleurissent aussi dans les galeries souterraines. Plaques chauffantes, grillepain, réfrigérateur, bouilloire, etc. : dans les années 1970, le lunch room offre tout le confort moderne. La trame sonore reprend :
« On pouvait se faire cuire un steak, pareil comme dans un restaurant. »
« On avait du baloney, des sandwichs aux oeufs, du spag. Même les Joe Louis embarquaient dans la boîte à lunch ! On laissait des patates sur le séchoir le matin et elles étaient prêtes à l’heure du lunch… »
Dans la salle à manger où se côtoient pères, fils, oncles et cousins, on rit, on sacre, on parle en franglais de la famille ou de politique, et de la fierté qu’on a à travailler pour l’un des fleurons de l’industrie du Québec. Une fierté malmenée par la réputation ternie de l’amiante chrysotile et par les fermetures successives des puits. L’écho de cette fierté semble résonner à nouveau dans les couloirs du musée.
Dès l’entrée dans les galeries reconstituées, le visiteur est plongé dans l’atmosphère confinée et obscure des anciens puits
Information : Cet été, le Minéro – Musée de Thetford accueille les visiteurs dans les bâtiments de surface et dans les galeries. Tous les mardis et jeudis, de 13 h à 15 h, d’anciens mineurs viennent raconter leurs expériences et répondre aux questions du public. museeminero.com