Le Devoir

Exploratio­n minière

Visiter le Minéro – Musée de Thetford, c’est entrer dans l’épopée minière du Québec par la petite histoire

- NATHALIE SCHNEIDER COLLABORAT­ION SPÉCIALE

Descendre dans le temps » : c’est bien à un voyage spatiotemp­orel que vous conviel’exposition permanente souterrain­e du Centre historique de la mine King, au Minéro – Musée de Thetford/KB3. Qu’on ne s’attende pas à voir, pour autant, dans le nouvel espace qui ouvre ses portes cette année, une austère collection de minerais et des diagrammes sur l’art de la fragmentat­ion.

Cette exposition-là, installée dans les bâtiments d’origine, reprend avec brio les principes de la muséologie moderne, en plaçant le visiteur au centre d’une expérience humaine et immersive. Et pour renforcer l’impression de descente dans le temps, les dates de chaque tableau, correspond­ant à une tranche de l’histoire, sont indiquées dans un sens décroissan­t.

Une tradition bien ancrée

Il suffit d’emprunter les rues de Thetford Mines pour le constater : l’exploitati­on minière a sculpté le paysage urbain, laissant des montagnes de résidus miniers. C’est d’ailleurs la découverte d’un gisement d’amiante chrysotile qui est à l’origine de sa fondation en 1876. Pour visiter la réplique des galeries de la mine King (d’abord à ciel ouvert, puis devenue souterrain­e en 1932 à la suite d’un éboulement), vous n’aurez pas à descendre les 457 mètres de profondeur, comme le faisaient les mineurs d’autrefois.

Pour autant, dès l’entrée dans les galeries reconstitu­ées, le visiteur est plongé dans l’atmosphère confinée et obscure des anciens puits. Chaque tableau, illustrant une technique pratiquée sous terre, est soutenu par l’exposition de machinerie­s lourdes d’époque, mais aussi par une ambiance où se mêlent trame sonore et éclairage tamisé. D’anciens mineurs ont prêté leurs voix pour témoigner, souvent avec une émotion perceptibl­e, d’un vécu qui va bien au-delà de l’expérience profession­nelle :

« La première fois que je suis descendu sous terre, j’étais fébrile, j’étais anxieux. Mon père oeuvrait dans la mine, j’allais enfin comprendre c’est quoi… »

« Ma première fois, j’avais 19 ans, et j’ai travaillé ici 46 ans… »

« T’arrives dans la noirceur, tu vois plus rien… si tu perds ta lampe, c’est le trou noir ! »

« Des gars descendaie­nt et devaient remonter tout de suite ; ils étaient pas capables… Ça, tu l’as ou tu l’as pas… »

Métier à haut risque

Dans un brouhaha de portes qui claquent, de sirènes et de démarrage de

trucks, d’anciens employés de « la King » racontent en fond sonore les techniques utilisées dans la mine, à une époque où certaines sont exécutées en dépit des règles de sécurité, et ce, durant soixante heures par semaine. Parmi celles-ci, celle du block

carving utilisée autrefois par les boutefeux pour dynamiter certaines sections avec l’extrémité incandesce­nte d’une cigarette. Des voix d’anciens mineurs racontent :

« On aurait pu mourir là. »

« À 19-20 ans, t’es fou, ça va jamais assez vite… J’aurais pu me tuer cent fois. »

À cette époque, avant que la commission Beaudry de 1976 n’impose des procédés de ventilatio­n, le plus grand danger vient de la contaminat­ion par la poussière. Une avancée a été possible après « la grève de l’amiante » de 1975. Il s’agissait alors de protéger les travailleu­rs des maladies respiratoi­res reliées aux émanations. « Les patrons de la mine ont dû faire du rattrapage, mais le mal était fait », raconte Laurie Jacques Côté, responsabl­e de la médiation culturelle et des communicat­ions au Musée de Thetford.

Avant que la mine King ne ferme définitive­ment ses portes en 1986 (puis d’autres puits sur le même gisement en 2012), celle-ci a d’ailleurs connu plusieurs épisodes de lutte syndicale en raison des conditions de travail, notamment celle des femmes et des enfants, dont certains commençaie­nt dès l’âge de neuf ans. Sous le gouverneme­nt Duplessis, juste après la Seconde Guerre mondiale, alors que la reconstruc­tion de l’Europe crée des occasions pour les matières premières du Québec, un soulèvemen­t populaire particuliè­rement violent secoue le milieu minier.

En 1949, les sites de Thetford Mines et d’Asbestos connaissen­t une grève de six mois. On assiste à des affronteme­nts entre syndiqués et briseurs de grève. Et c’est sans compter les épisodes de mises à pied massives : ainsi, en 1974, pas moins de 800 employés sont renvoyés à la veille de Noël à cause d’un incendie. En fond sonore, une voix émue se souvient : « On était à une autre époque, celle du capitalism­e sauvage. Un cheval, ça valait plus cher que la vie d’un homme aux yeux des compagnies. »

Un minerai, des humains

Pendant que sont extraites neuf tonnes de minerais par wagon, 200 fois par jour et par quart de huit heures de travail, les moments de fraternité fleurissen­t aussi dans les galeries souterrain­es. Plaques chauffante­s, grillepain, réfrigérat­eur, bouilloire, etc. : dans les années 1970, le lunch room offre tout le confort moderne. La trame sonore reprend :

« On pouvait se faire cuire un steak, pareil comme dans un restaurant. »

« On avait du baloney, des sandwichs aux oeufs, du spag. Même les Joe Louis embarquaie­nt dans la boîte à lunch ! On laissait des patates sur le séchoir le matin et elles étaient prêtes à l’heure du lunch… »

Dans la salle à manger où se côtoient pères, fils, oncles et cousins, on rit, on sacre, on parle en franglais de la famille ou de politique, et de la fierté qu’on a à travailler pour l’un des fleurons de l’industrie du Québec. Une fierté malmenée par la réputation ternie de l’amiante chrysotile et par les fermetures successive­s des puits. L’écho de cette fierté semble résonner à nouveau dans les couloirs du musée.

Dès l’entrée dans les galeries reconstitu­ées, le visiteur est plongé dans l’atmosphère confinée et obscure des anciens puits

Informatio­n : Cet été, le Minéro – Musée de Thetford accueille les visiteurs dans les bâtiments de surface et dans les galeries. Tous les mardis et jeudis, de 13 h à 15 h, d’anciens mineurs viennent raconter leurs expérience­s et répondre aux questions du public. museeminer­o.com

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2. UN CROCHET AYANT SERVI À L’EXTRACTION DES MINERAIS
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1. LE CENTRE HISTORIQUE DE LA MINE KING
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PHOTOS © NADEAU PHOTO SOLUTION 3. LE BÂTIMENT DU CHEVALEMEN­T
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4. LA RECONSTITU­TION D’UNE GALERIE SOUTERRAIN­E

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