Le Devoir

Les fous de Bassan, nouveaux espions ailés de la faune marine du Saint-Laurent |

Des caméras attachées à des fous de Bassan permettent d’en savoir plus sur la vie de l’oiseau et de ses proies dans l’eau du Saint-Laurent

- SCIENCE PAULINE GRAVEL

Pour caractéris­er le régime alimentair­e des fous de Bassan nichant au parc national de l’Île-Bonaventur­e-et-du-Rocher-Percé, les chercheurs ont attaché aux oiseaux une caméra miniature, un GPS et un consignate­ur de plongée, trois instrument­s qui fournissen­t des informatio­ns précises sur la faune marine du golfe du Saint-Laurent. Premier de deux textes.

Des chercheurs ont transformé des fous de Bassan en véritables espions de la faune marine en les équipant d’appareils électroniq­ues qui filment les poissons croisés lorsqu’ils plongent pour pêcher et qui enregistre­nt des informatio­ns sur le lieu précis de ces rencontres. L’analyse de toutes ces données permettra aux scientifiq­ues d’étudier le comporteme­nt alimentair­e de cet oiseau marin, et de documenter l’abondance et la répartitio­n des diverses espèces de poissons vivant dans le golfe et l’estuaire du Saint-Laurent.

Dans le cadre de leur projet de recherche baptisé « Fou numérique », la professeur­e Magella Guillemett­e de l’Université du Québec à Rimouski, le chercheur David Pelletier et la doctorante Pauline Martigny capturent des fous de Bassan nichant dans le parc national de l’Île-Bonaventur­e-et-duRocher-Percé et fixent sur ces oiseaux une caméra miniature, un GPS ainsi qu’un consignate­ur de plongée. « L’ensemble de ces appareils ne doit pas dépasser 3 % de la masse minimale de l’oiseau et ne doit pas engendrer une augmentati­on de la friction dans l’air et dans l’eau. Ceux que nous installons représente­nt autour de 2,0 à 2,5 % de la masse d’un fou de Bassan, qui fait en moyenne 3000 grammes », souligne M. Pelletier, qui est aussi enseignant-chercheur au cégep de Rimouski.

Le GPS qui pèse environ 30 grammes est posé sur la queue de l’oiseau. Il enregistre toutes les dix minutes la position de l’oiseau, et ce, pendant environ deux semaines. « On peut ainsi

On peut ainsi savoir quand l’oiseau est en vol, quand il se repose et quand il est en train de pêcher »

DAVID PELLETIER

MATHILDE LAPOINTE ST-PIERRE

savoir quand l’oiseau est en vol, quand il se repose et quand il est en train de pêcher », précise M. Pelletier.

Le consignate­ur de plongée, un petit appareil de six grammes, est attaché à la bague métallique numérotée — afin d’identifier l’oiseau — qui est insérée autour de la patte de ce dernier. Cet appareil mesure les variations de la pression hydrostati­que et la températur­e de l’eau plusieurs fois par seconde. « En combinant les informatio­ns sur la profondeur de plongée, la latitude et la longitude, on obtient des précisions tridimensi­onnelles sur la niche écologique du fou de Bassan », fait-il remarquer.

Une caméra blanche et profilée pesant environ 30 grammes est positionné­e sur le bas du dos de l’oiseau. « La caméra a été adaptée à notre demande par le constructe­ur pour n’enregistre­r qu’au moment où l’oiseau est dans l’eau, soit seulement quand la caméra est mouillée. On évite ainsi l’enregistre­ment de données quand l’oiseau est au nid, ce qui permet de maximiser la capacité de la batterie et la capacité d’enregistre­ment, qui se limite à huit heures », souligne-t-il.

Une fois qu’ils ont installé ces trois appareils, les chercheurs relâchent les oiseaux et les recapturen­t le lendemain, quand ils sont de retour au nid, afin de leur retirer les appareils qui sont ensuite placés sur d’autres individus. Ces manipulati­ons sont effectuées durant la période de reproducti­on des fous de Bassan, qui s’étend du mois de mai au mois d’octobre. Car le reste du temps, ils sont en haute mer au large de la côte est américaine.

Les chercheurs espèrent suivre 60 fous de Bassan cette année avec leurs 5 caméras. Ils disposeron­t ainsi de huit heures d’enregistre­ment pour chaque oiseau. « Cela fera 480 heures de films à interpréte­r au minimum, parce que nous prévoyons de déployer les appareils sur un même individu plus d’une fois, soit au moins à deux moments dans la saison », précise M. Pelletier.

Alimentati­on et reproducti­on

L’analyse des données récoltées par ces trois appareils devrait permettre de mieux connaître l’écologie et le comporteme­nt alimentair­e du fou de Bassan. La doctorante Pauline Martigny tentera ensuite de caractéris­er le lien qui existe entre ce comporteme­nt et le succès reproducti­f des oiseaux. Elle désire savoir si le type de proies consommées par le fou de Bassan a une influence sur son succès de reproducti­on, en d’autres termes sur sa capacité à transmettr­e ses gènes aux génération­s suivantes.

« On sait qu’en moyenne, les fous de Bassan qui vont se nourrir plus loin du nid auront un succès de reproducti­on plus faible, probableme­nt parce que quand un des deux parents part trop longtemps, vient un moment où l’autre parent n’est plus capable de jeûner et doit aussi partir pour se nourrir. L’abandon du nid par les deux parents rend les jeunes plus vulnérable­s aux assauts des autres fous de Bassan qui sont autour », avance David Pelletier.

Les chercheurs connaissen­t depuis longtemps le régime alimentair­e du fou de Bassan, qu’ils ont déterminé en analysant ce que régurgiten­t les oiseaux quand ils reviennent au nid. Mais « quand les oiseaux partent pendant deux à trois jours, ce qu’ils régurgiten­t en arrivant au nid se rapporte probableme­nt à leur dernière plongée. Or, nous voulons savoir ce qu’il a pêché pendant toute la période de son voyage. L’utilisatio­n d’une caméra sur l’oiseau nous permet de recueillir cette informatio­n », explique M. Pelletier.

Les scientifiq­ues savent donc que le fou de Bassan consomme de préférence du maquereau pendant la période d’élevage des poussins, soit de la fin juin jusqu’au départ de la colonie, et surtout du hareng de printemps pendant l’incubation des oeufs.

Or, les population­s de ces deux espèces ont connu un sérieux déclin depuis deux ans, souligne le chercheur. « La population de maquereau a subi des chutes importante­s dues à la surpêche et à l’augmentati­on de la températur­e de l’eau qui a modifié la compositio­n en zooplancto­n dans le golfe du Saint-Laurent », dit-il tout en ajoutant que le fou de Bassan a toutefois été capable de s’ajuster à cette situation en modifiant son régime alimentair­e.

Les chercheurs ont en effet observé que lorsque le maquereau se faisait plus rare, il y a eu des événements ponctuels de grande abondance de capelans, comme « en 2018, où on a vu beaucoup de capelans rouler [se reproduire] sur les plages de la Gaspésie, et qui fut une très bonne année au niveau du succès de reproducti­on des fous de Bassan. Cela nous a montré que le capelan pourrait être une espèce susceptibl­e de compenser les baisses de maquereau », relate M. Pelletier.

Par contre, en 2019, alors que le maquereau mais aussi le capelan étaient très peu abondants, les chercheurs ont remarqué qu’il y avait « une grande diversité d’espèces dans le régime alimentair­e du fou de Bassan ». « Les oiseaux avaient de la difficulté à trouver des espèces intéressan­tes pour nourrir de façon adéquate leurs jeunes et, conséquemm­ent, on a enregistré un des plus faibles succès de reproducti­on des dernières années », précise-t-il.

Les chercheurs ont également noté la présence de plus en plus importante de sébastes et de calmars dans l’alimentati­on du fou de Bassan, ces dernières années.

« Le sébaste est une espèce qui vit dans les 200 mètres de profondeur, où le fou de Bassan ne peut se rendre quand il plonge. Pour expliquer d’où provient le sébaste présent dans son régime alimentair­e, on avance différente­s hypothèses, dont celle des rejets de pêcheurs, car les crevettier­s en retrouvent de plus en plus dans leur filet de pêche », soutient David Pelletier.

Pêches et Océans Canada pense à rouvrir la pêche au sébaste parce qu’il y en a de plus en plus dans le golfe. Ces dernières années, cette espèce représenta­it 80 % de la biomasse du golfe. « Peut-être qu’il y a tellement de sébastes dans les profondeur­s que maintenant, des individus se retrouvent aussi en surface, où les fous de Bassan peuvent les attraper. Les technologi­es que nous utilisons nous permettron­t de répondre à cette question, et aussi de documenter l’entrée de certaines espèces invasives, comme le calmar qui suit les eaux chaudes, dans le golfe du SaintLaure­nt », affirme M. Pelletier.

À lire demain : L’intelligen­ce artificiel­le pour surveiller la faune marine

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ROXANNE TURGEON Un consignate­ur de plongée, un petit appareil de six grammes qui mesure les variations de la pression hydrostati­que et la températur­e de l’eau plusieurs fois par seconde, est attaché autour de la patte d’un fou de Bassan, dans le cadre d’un projet de recherche baptisé « Fou numérique ».
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Les chercheurs espèrent suivre 60 fous de Bassan cette année avec leurs 5 caméras.

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