Le Devoir

De Grasse suit sa propre trace

Il décroche sa troisième médaille olympique en sprint individuel

- ÉRIC DESROSIERS ET JEAN-LOUIS BORDELEAU RESPECTIVE­MENT À TOKYO ET À MONTRÉAL

Si le sprinteur italien Lamont Marcell Jacobs a créé la surprise dimanche en remportant l’or à la finale du 100 m des Jeux de Tokyo, Andre De Grasse est parvenu à décrocher le bronze — sa troisième médaille olympique en individuel —, confirmant ainsi son statut d’athlète des grands moments, souligne son ancien entraîneur.

Le Canadien a démontré sa force de caractère. Après un départ plutôt lent — après 30 mètres, le sprinteur occupait le dernier rang — , il ne s’est pas laissé

C’est magique.

Il ne déçoit jamais.

TONY SHARP

démonter et a remonté les autres, tant et si bien qu’il est arrivé troisième avec un temps de 9,89 s. Sa médaille était la première remportée par un homme de l’équipe canadienne depuis le début des Jeux de Tokyo, contre 13 gagnées par des femmes.

L’Ontarien de 26 ans égale ainsi la performanc­e qu’il avait réalisée à l’épreuve du 100 m aux Jeux de Rio en 2016. Celle-ci avait été remportée par le coureur jamaïcain Usain Bolt. Il reste toutefois à quelques centièmes de seconde du record canadien de 9,84 s, détenu par Donovan Bailey et Bruny Surin.

Tony Sharp, le premier entraîneur d’Andre De Grasse, voit dans son ancien protégé la trempe d’un véritable champion. « Ce ne sont pas tous les athlètes qui peuvent exceller quand il faut être à son maximum, a-t-il fait remarquer au Devoir. À chaque grande compétitio­n internatio­nale, il repart avec une médaille. C’est magique. Il ne déçoit jamais. »

On retrouvera le sprinteur canadien cette semaine au 200 m et au relais 4 x 100 m. « Au 200 m, Andre De Grasse devient Andre “the Great” [Andre Le Grand] », prévient M. Sharp, la longueur de la course permettant de compenser pour les départs plus lents. Le spécialist­e du sprint s’attend même au fracasseme­nt du record canadien, le chrono de 19,80 s établit à Rio en 2016 par De Grasse lui-même.

Un Italien inattendu

Il y avait plusieurs prétendant­s au trône du roi Usain Bolt. Marquée par un faux départ qui a valu au Britanniqu­e Zharnel Hughes d’être disqualifi­é, la course a été plutôt rapide, les trois premiers sprinteurs — l’Américain Fred Kerley la deuxième place — ayant amélioré leurs meilleurs temps personnels. Classé 8e au monde et relativeme­nt peu connu, Jacobs a arrêté le chrono à 9,80 s, suivi par Kerley avec 9,84 s.

L’épreuve du 100 m est devenue beaucoup plus ouverte depuis la retraite de Bolt. Triple champion olympique au 100 m et au 200 m des Jeux de Pékin, Londres et Rio, le Jamaïcain détient le record olympique (9,63 s) et le record du monde (9,58 s) sur la distance.

Pourtant, rares étaient ceux qui anticipaie­nt le sacre de l’Italien de 26 ans. Il s’est révélé en 2021 en devenant champion d’Europe en salle du 60 m cet hiver en Pologne, avant de tout casser cet été : 9,95 s en mai puis 9,84 s en demi-finale dimanche, avant la gloire de la finale. Autrement dit, il n’était jamais passé sous les 10 secondes avant cette saison, ne comptait aucune finale internatio­nale dans sa carrière, aucun podium de renom en plein air, même européen, et a retranché 23 centièmes de seconde à son meilleur chrono en quelques mois.

« Je croyais que ma compétitio­n principale serait les Américains. Je suis donc très surpris, a déclaré De Grasse après la course, soulignant que c’était la première fois qu’il affrontait Jacobs. Ça démontre que notre sport va dans une bonne direction, parce que personne ne sait qui va gagner. N’importe lequel d’entre nous peut gagner. »

La victoire de Jacobs est la première d’un Européen sur 100 m aux Jeux olympiques depuis Linford Christie en 1992. Il s’agit aussi du premier titre olympique sur 100 m pour un Italien.

« Mon seul rêve en arrivant ici, c’était d’entrer en finale. C’est incroyable, je n’ai pas de mot pour décrire ce moment. Je pense avoir besoin de quatre ou cinq ans pour réaliser, comprendre ce qu’il s’est passé », a expliqué Jacobs.

Chez les femmes, les Jamaïcaine­s ont fait samedi soir une démonstrat­ion magistrale que le sprint dans leur pays ne se limitait pas à Usain Bolt, avec un podium au 100 m tout en jaune, vert et noir. Championne olympique en titre, Elaine Thompson-Herah (29 ans, or) s’est offert en prime le record olympique (10,61 s) qui appartenai­t depuis les Jeux de Séoul en 1988 à l’Américaine Florence Griffith Joyner. Shelly-Ann Fraser-Pryce (34 ans, argent) et Shericka Jackson (27 ans, bronze) ont complété le triplé. Les trois femmes seront également des épreuves du 200 m et du relais 4 x 100 m cette semaine. Aucune Canadienne ne s’était qualifiée pour la finale du 100 m.

Soirée chaude

Lourde et chaude, la soirée de dimanche avait commencé par les demifinale­s du 100 m et la finale de saut en hauteur, remportée ex aequo par Mutar Essa Barshim, 30 ans, et Gianmarco Tamberi, 29 ans, grâce à des sauts de 2,37 m.

Le Qatari et l’Italien, deux amis, avaient le choix entre partir dans une sorte de play-off pour désigner un vainqueur unique ou partager l’or, ils ont opté pour la deuxième option, se tombant dans les bras devant le sautoir. Tous les deux sont revenus de graves blessures aux chevilles.

« Partager cela avec Marco me donne un sentiment incroyable, je suis tellement heureux. C’est un rêve que je ne veux pas quitter », s’est réjoui Barshim.

Et Gianmarco Tamberi, ivre de bonheur, s’est aussi longuement roulé par terre avant de sauter dans les bras de tous les athlètes qui passaient près de lui, jusqu’au sacre de son compatriot­e Lamont Marcell Jacobs sur 100 m.

« J’ai simplement voulu revenir au plus haut niveau après mes blessures, mais décrocher l’or c’est incroyable, j’en ai tellement rêvé », a déclaré Gianmarco Tamberi.

« On m’avait dit en 2016 juste avant Rio [grave blessure à une cheville] qu’il y avait un risque que je ne sois plus capable de sauter. La route a été longue. »

Toutes sortes d’épreuves ont continué ensuite de se dérouler, souvent en même temps, dans le Stade olympique où les spectateur­s ordinaires n’étaient pas admis pour des raisons sanitaires. Assez d’athlètes, d’entraîneur­s et d’autres membres des délégation­s étaient quand même venus dans les estrades pour créer une certaine ambiance, sans toutefois parvenir à couvrir complèteme­nt les exclamatio­ns de joie ou de déception des concurrent­s en piste.

À chaque fois qu’une course importante devait se tenir, elle était précédée par deux notes graves d’instrument­s à cordes et un roulement de tambour inquiétant pour en marquer la gravité et commander le silence à tous. Les finalistes du 100 m et grandes vedettes de la soirée ont toutefois eu droit à une mise en scène spéciale avec musique dramatique et animation sur la piste de course.

Durant la soirée, il arrivait que les sauteurs en hauteur doivent s’arrêter un instant pour ne pas entrer en collision avec les coureurs des demifinale­s du 800 m qui traversaie­nt leur piste d’appel avant d’aller passer, plus loin, à côté des finalistes du triple saut féminin où la Vénézuélie­nne Yulimar Rojas a pulvérisé le record mondial (15,67 m).

Ce reportage a été en partie financé grâce au soutien du Fonds de journalism­e internatio­nal Transat-Le Devoir.

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