En Afghanistan, les talibans toujours plus en avant
Les capitales provinciales Hérat, Kandahar et Lashkar Gah subissent à leur tour les assauts des insurgés
La guerre afghane est entrée dans une nouvelle phase, plus violente et plus dangereuse. Les talibans, à l’offensive depuis la mi-avril, ne se contentent plus d’attaquer des districts reculés, à peine habités et encore moins gardés par des soldats à court de munitions qui s’empressent de fuir quand ils avancent. Ils se lancent à l’assaut de grandes villes, stratégiques et peuplées. Samedi, ils sont entrés quasi simultanément dans trois capitales provinciales : Hérat (ouest), Kandahar et Lashkar Gah (sud). « S’ils venaient à prendre
Hérat ou Kandahar, plusieurs autres villes du sud et de l’ouest tomberaient, comme dans une vague. La guerre est aussi une question de propagande et de moral », dit un responsable sécuritaire afghan, joint à Kaboul.
Dans la nuit de samedi à dimanche, le ministère de la Défense a envoyé en catastrophe plusieurs centaines de forces spéciales à Hérat pour tenter de reprendre le contrôle de la situation. Mais dimanche en début d’après-midi, après quelques heures de calme, les combats avaient repris à l’ouest de la ville, la troisième du pays avec environ 600 000 habitants. Les talibans tentaient toujours d’avancer vers les quartiers du centre.
Reconquérir Kandahar serait un coup de force, aussi symbolique que stratégique, et aboutirait à une partition de fait du pays
Seigneur de guerre
Leur offensive a en réalité démarré jeudi. Selon le responsable sécuritaire, le ministère de la Défense s’apprêtait à lancer une opération pour reprendre le poste-frontière de Torghundi, qui borde le Turkménistan, pris par les talibans début juillet. « Ils ont précipité leur attaque pour bloquer cette opération. Ils ont commencé par couper la route qui mène au poste-frontière et ont avancé sur plusieurs fronts ensuite », explique-t-il.
En face, l’armée afghane n’a pas tenu. Ce sont les hommes d’Ismail Khan, seigneur de guerre de 75 ans, moudjahid lors de l’invasion russe et homme fort de la région, qui se sont interposés. Samedi, il s’est plaint de la lenteur des officiels de Kaboul à envoyer des renforts, malgré leurs promesses. Les talibans ont avancé jusqu’à la lisière du centre-ville et attaqué le bâtiment des Nations unies, tuant un de ses gardes. Ils ont fini par reculer dans la nuit, lorsque les commandos afghans sont arrivés.
La situation est au moins aussi volatile à Kandahar, deuxième ville du pays et fief historique des talibans. C’est là-bas qu’ils se sont formés au début des années 1990 et que vivait la plupart du temps leur fondateur, le mollah Omar. La reconquérir serait un coup de force, aussi symbolique que stratégique, et aboutirait à une partition de fait du pays. Dimanche, ils ont visé à coups de roquettes l’aéroport, provoquant sa fermeture.
Ils enserrent en réalité la ville depuis plusieurs semaines et s’y infiltrent régulièrement. L’aviation américaine est intervenue à plusieurs reprises avec des bombardiers B52, les empêchant de masser des renforts, comme ils ont tenté de le faire il y a une dizaine de jours, et visant des stocks d’armes et de véhicules dont ils s’étaient emparés.
Le 26 juillet, le général américain Kenneth McKenzie a affirmé que son armée et ses avions, dont le retrait total est prévu pour le 31 août, continueraient à appuyer les forces afghanes. « Les talibans tentent de faire croire que leur victoire est inévitable. Ils ont tort », a-t-il déclaré depuis Kaboul. Interrogé sur la poursuite des frappes aériennes après le 31 août, il n’a en revanche pas voulu répondre.
Dans la province du Helmand (sudouest), autre place forte des talibans, la capitale Lashkar Gah, encerclée, est elle aussi sous le feu insurgé. Elle est régulièrement attaquée depuis une dizaine d’années. Mais les talibans n’ont jamais paru aussi proches de pouvoir s’en emparer. Leurs assauts se succèdent depuis plusieurs jours. Ils ont fini par être repoussés samedi, après des frappes de l’aviation afghane. L’un des bombardements a touché un hôpital, tuant une personne. Dimanche, les combats avaient repris.
Exils en hausse
Autant à Hérat qu’à Kandahar et Lashkar Gah, les affrontements ont tué ou blessé plusieurs centaines de civils. À lui seul, l’hôpital Mirwais, le plus grand de Kandahar, a dénombré 700 morts entre le 14 et le 28 juillet, selon le bureau de coordination humanitaire de l’ONU. À Hérat, plus de 2 000 habitants de la ville et du district adjacent à Injil ont, eux, dû fuir leur maison.
Même dans les villes épargnées par les combats, en tout cas pour l’instant, telle la capitale Kaboul, les habitants qui le peuvent cherchent à partir. « Tout le monde essaie de s’exiler, que ce soit avec un visa ou illégalement », explique un responsable afghan d’une ONG. D’après l’Organisation internationale pour les migrations, les passages illégaux de frontières ont augmenté de 30 à 40 % ces dernières semaines. Entre 30 000 et 40 000 Afghans quittent désormais leur pays chaque semaine. « L’Afghanistan est au bord d’une nouvelle crise humanitaire, a averti le 13 juillet le porte-parole du HautCommissariat aux réfugiés de l’ONU. Sans accord de paix, les déplacements de population à l’intérieur du pays augmenteront, tout comme ceux vers les pays voisins et au-delà. »