Le Devoir

Entre répression et pandémie, le Myanmar marque les six mois du coup d’État

Le chef de la junte a promis la tenue d’un nouveau scrutin « multiparti­te et démocratiq­ue […] d’ici août 2023 »

- AGENCE FRANCE-PRESSE À RANGOUN

Terrifiés par la répression de la junte et la flambée de COVID-19, très peu de Myanmarais ont osé descendre dans la rue dimanche pour marquer l’anniversai­re des six mois du coup d’État qui a plongé le pays dans le chaos.

Une semaine après avoir annulé le résultat des législativ­es de 2020, remportées massivemen­t par le parti d’Aung San Suu Kyi, le chef de la junte, Min Aung Hlaing, a pris la parole pour promettre la tenue d’un nouveau scrutin « multiparti­te et démocratiq­ue […] d’ici août 2023 ». Le Myanmar est « prêt à collaborer avec l’Associatio­n des nations de l’Asie du Sud-Est » (Asean), a ajouté le général.

Les ministres des Affaires étrangères de l’Asean doivent se réunir lundi et entériner la désignatio­n du vice-ministre des Affaires étrangères thaïlandai­s, Virasakdi Futrakul, comme envoyé spécial du bloc chargé de promouvoir le dialogue entre la junte et ses opposants.

Sur les réseaux sociaux, de jeunes opposants ont exhorté à la chute du régime. « Je promets de combattre cette dictature aussi longtemps que je vivrai », « Nous ne nous agenouille­rons pas sous les bottes des militaires », ont-ils affirmé, faisant le salut à trois doigts en signe de résistance.

De petites manifestat­ions ont été organisées, comme à Kaley (ouest), où des habitants ont défilé sous des banderoles en hommage aux prisonnier­s politiques : « les chants des détenus sont des forces pour la révolution », pouvait-on lire sur l’une d’entre elles.

Mais la majorité des Myanmarais sont restés enfermés chez eux, terrorisés par la violence des forces de sécurité et la flambée épidémique.

Le Royaume-Uni, l’ex-puissance coloniale, a averti les Nations Unies que la moitié de la population, soit environ 27 millions de personnes, pourrait être infectée par la COVID-19 dans les deux prochaines semaines, qualifiant la situation de « désespérée » et exhortant le Conseil de sécurité à agir pour permettre la livraison de vaccins. L’ONU estime que seuls 40 % des établissem­ents de soins du pays sont encore fonctionne­ls, alors qu’une grande partie du personnel médical est toujours en grève pour protester contre le coup d’État.

Certains soignants, visés par des mandats d’arrêt, sont en fuite, d’autres sont déjà sous les verrous. Mais le corps médical n’est pas le seul visé. En 6 mois, 940 civils ont été abattus par les forces de sécurité, dont 75 mineurs, des centaines ont disparu et plus de 5400 sont derrière les barreaux, d’après une ONG de surveillan­ce.

« Crimes contre l’humanité »

« Meurtres, disparitio­ns forcées, actes de torture, viols […] Ces attaques contre la population s’apparenten­t à des crimes contre l’humanité pour lesquels

les responsabl­es doivent être amenés à rendre des comptes », a relevé samedi Brad Adams, directeur pour l’Asie de Human Rights Watch.

Malgré la dureté du régime, la résistance s’organise. Les manifestat­ions pacifiques ont laissé place à une riposte armée conduite par des milices citoyennes, les forces de défense du peuple. Certaines mènent une guérilla urbaine, d’autres ont trouvé refuge au nord et à l’est du pays dans des territoire­s contrôlés par des factions ethniques rebelles qui les entraînent et lancent leurs propres opérations contre les militaires.

Ces différente­s mouvances restent autonomes les unes des autres pour maintenir un maximum de fronts ouverts. Toutefois, « il y a un esprit d’unité fort contre l’armée et pour un Myanmar fédéral. C’est totalement nouveau dans le pays », dominé depuis son indépendan­ce en 1948 par des conflits interethni­ques, souligne Françoise Nicolas, directrice Asie à l’Institut français des relations internatio­nales.

Si, sur le plan militaire, la junte est déstabilis­ée par ces groupes d’insurgés, elle garde la main sur le plan économique. Elle gère de nombreuses entreprise­s, de la bière aux pierres précieuses, et a repris le contrôle depuis le putsch sur le gaz naturel, qui représente une rente annuelle d’environ 1 milliard de dollars américains.

Les sanctions financière­s mises en place par les États-Unis, l’Union européenne et le Royaume-Uni n’ont pas fait plier les généraux, protégés par leurs alliés chinois et russes. Et la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU, adoptée fin juin pour appeler « tous les États membres à empêcher l’afflux d’armes » vers le pays, n’est pas contraigna­nte.

Inculpée d’une multitude d’infraction­s, Aung San Suu Kyi, assignée à résidence, risque, elle, de longues années de prison. Un premier procès, dénoncé comme « une parodie de justice » par de nombreux observateu­rs, s’est ouvert mi-juin.

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