L’Inde entre dans une lutte sans pitié contre la natalité
Pour limiter les naissances, les autorités de l’Uttar Pradesh veulent faire voter une loi draconienne, mélange d’incitations et de sanctions. Le texte risque de pénaliser les plus pauvres et de nourrir la rhétorique islamophobe des nationalistes hindous au pouvoir.
Tout parent qui aura plus de deux enfants ne pourra plus être fonctionnaire, se présenter aux élections régionales, ni bénéficier des aides publiques. Voici en résumé les mesures-chocs présentées par le gouvernement de l’Uttar Pradesh, l’État le plus peuplé de l’Inde, pour réduire la croissance de sa population. Le projet de loi devrait être présenté au Parlement régional dans quelques semaines, mais fait déjà largement débat, car s’il est appliqué tel quel, il constituerait l’arsenal législatif le plus sévère pour contrôler la démographie régionale indienne.
Cette législation s’inscrit dans le cadre d’une politique plus large de réduction de la croissance démographique : l’Inde compte en effet une population estimée à 1,35 milliard d’habitants, et devrait devenir le pays le plus peuplé du monde dans six ans, dépassant la Chine. Or, à la différence de son voisin autocratique, cette démocratie n’a jamais imposé de mesures punitives nationales pour réduire la taille des familles, et le premier ministre, Narendra Modi, a jugé il y a deux ans que « l’explosion de la population » indienne représentait un sérieux problème et son contrôle, une « forme de patriotisme ».
C’est donc dans l’Uttar Pradesh, tenu par son parti nationaliste hindou du BJP, que cette politique devrait s’appliquer en premier. Cet État du nord du pays compte environ 220 millions d’habitants, soit un sixième de la population indienne, et a un taux de fécondité de 2,7 — supérieur à la moyenne nationale de 2,3 — enfants par femme, selon les chiffres publics de 2015-2016.
Un poids pour les familles pauvres
Le projet de loi comporte des incitations. D’abord : une personne qui se fait stériliser après son deuxième enfant recevra un prêt avantageux pour l’achat d’une maison, ainsi que des subventions sur son tarif d’électricité et d’eau. Si elle le fait après le premier bébé, les soins et les frais de scolarité de cet enfant seront également payés par l’État. Enfin, si c’est une membre d’une famille pauvre qui se fait stériliser après son premier enfant, cette personne recevra une prime de 80 000 roupies (1349 $), soit l’équivalent d’un an de salaire moyen en Inde. Une fortune.
Par contre, les sanctions sont sévères en cas de manquement : une personne qui a un troisième enfant après l’entrée en vigueur de cette loi ne pourra plus se présenter à une élection régionale ou devenir fonctionnaire, ni bénéficier de l’essentiel des aides publiques régionales. Les rations alimentaires, dont bénéficient des dizaines de millions de familles de l’Uttar Pradesh, seront calculées pour des familles de quatre personnes maximum.
Ces mesures sont donc drastiques. Cependant, elles ne devraient avoir « aucun impact sur la croissance démographique », estime Perianayagam Arokiasamy, démographe retraité de l’Institut international sur les sciences de la population. D’abord, le taux de fécondité en Uttar Pradesh a déjà été divisé par deux en vingt ans et selon les projections publiques, la stabilisation de la population régionale, établie à 2,1 enfants par femme, sera atteinte dans cinq ans, sans besoin d’intervenir. « Aujourd’hui, la moitié des familles ont déjà moins de trois enfants, poursuit le démographe. Les parents qui ont plus d’enfants sont les plus pauvres qui n’ont pas accès aux soins ou à l’information sur le planning familial. Et ce sont donc ces familles pauvres qui vont souffrir avec cette loi. »
Selon les statistiques nationales, 18 % des familles de l’Uttar Pradesh déclarent avoir plus d’enfants qu’elles le désirent. Pour réduire cet écart, les spécialistes insistent sur le besoin d’éduquer ces couples modestes et de rendre le planning familial accessible, plutôt que de les punir.
Harcèlement des musulmans
Douze autres États, sur les trente-six que compte l’Inde, ont déjà pris des mesures similaires depuis vingt ans. Moins sévères et souvent révoquées depuis, elles interdisent principalement les parents de familles nombreuses de se présenter aux élections locales. Or, une étude menée en 2005 dans 5 de ces régions du nord du pays a montré que cela avait entraîné une augmentation des divorces, des abandons d’enfants ou des avortements de foetus féminins, signe de la préférence pour les enfants mâles. Les États du sud, comme le Kerala ou le Tamil Nadu, ont quant à eux réussi à faire chuter leur taux de fécondité bien en dessous de 2,1 sans ces contraintes, mais en améliorant plutôt la santé maternelle et infantile des familles pauvres.
En Uttar Pradesh, beaucoup craignent que ces mesures ne constituent un outil supplémentaire pour harceler une population musulmane déjà stigmatisée. Le chef du gouvernement et moine hindouiste Yogi Adityanath, en précampagne pour les élections régionales du printemps, avance en effet que cette loi doit permettre de garantir « l’équilibre entre les différentes communautés religieuses ». Ceci fait écho aux messages des groupes hindous radicaux, qui propagent l’idée selon laquelle la population hindoue serait en danger d’être dépassée par celle musulmane en Inde. Un mythe, car les musulmans ne représentent que 14 % de la population nationale, et 20 % dans l’Uttar Pradesh, et leur taux de fécondité n’est que marginalement supérieur à celui des hindous. Mais un mythe qui peut être utile à instrumentaliser pendant une campagne électorale, à travers cette loi draconienne contre les familles nombreuses.
Aujourd’hui, la moitié des familles ont déjà moins de trois enfants. Les parents qui ont plus d’enfants sont les plus pauvres qui n’ont pas accès aux soins ou à l’information sur le planning familial.
Et ce sont donc ces familles pauvres qui vont souffrir avec cette loi. » PERIANAYAGAM AROKIASAMY