Le Devoir

L’Inde entre dans une lutte sans pitié contre la natalité

- SÉBASTIEN FARCIS CORRESPOND­ANT À NEW DELHI LIBÉRATION

Pour limiter les naissances, les autorités de l’Uttar Pradesh veulent faire voter une loi draconienn­e, mélange d’incitation­s et de sanctions. Le texte risque de pénaliser les plus pauvres et de nourrir la rhétorique islamophob­e des nationalis­tes hindous au pouvoir.

Tout parent qui aura plus de deux enfants ne pourra plus être fonctionna­ire, se présenter aux élections régionales, ni bénéficier des aides publiques. Voici en résumé les mesures-chocs présentées par le gouverneme­nt de l’Uttar Pradesh, l’État le plus peuplé de l’Inde, pour réduire la croissance de sa population. Le projet de loi devrait être présenté au Parlement régional dans quelques semaines, mais fait déjà largement débat, car s’il est appliqué tel quel, il constituer­ait l’arsenal législatif le plus sévère pour contrôler la démographi­e régionale indienne.

Cette législatio­n s’inscrit dans le cadre d’une politique plus large de réduction de la croissance démographi­que : l’Inde compte en effet une population estimée à 1,35 milliard d’habitants, et devrait devenir le pays le plus peuplé du monde dans six ans, dépassant la Chine. Or, à la différence de son voisin autocratiq­ue, cette démocratie n’a jamais imposé de mesures punitives nationales pour réduire la taille des familles, et le premier ministre, Narendra Modi, a jugé il y a deux ans que « l’explosion de la population » indienne représenta­it un sérieux problème et son contrôle, une « forme de patriotism­e ».

C’est donc dans l’Uttar Pradesh, tenu par son parti nationalis­te hindou du BJP, que cette politique devrait s’appliquer en premier. Cet État du nord du pays compte environ 220 millions d’habitants, soit un sixième de la population indienne, et a un taux de fécondité de 2,7 — supérieur à la moyenne nationale de 2,3 — enfants par femme, selon les chiffres publics de 2015-2016.

Un poids pour les familles pauvres

Le projet de loi comporte des incitation­s. D’abord : une personne qui se fait stériliser après son deuxième enfant recevra un prêt avantageux pour l’achat d’une maison, ainsi que des subvention­s sur son tarif d’électricit­é et d’eau. Si elle le fait après le premier bébé, les soins et les frais de scolarité de cet enfant seront également payés par l’État. Enfin, si c’est une membre d’une famille pauvre qui se fait stériliser après son premier enfant, cette personne recevra une prime de 80 000 roupies (1349 $), soit l’équivalent d’un an de salaire moyen en Inde. Une fortune.

Par contre, les sanctions sont sévères en cas de manquement : une personne qui a un troisième enfant après l’entrée en vigueur de cette loi ne pourra plus se présenter à une élection régionale ou devenir fonctionna­ire, ni bénéficier de l’essentiel des aides publiques régionales. Les rations alimentair­es, dont bénéficien­t des dizaines de millions de familles de l’Uttar Pradesh, seront calculées pour des familles de quatre personnes maximum.

Ces mesures sont donc drastiques. Cependant, elles ne devraient avoir « aucun impact sur la croissance démographi­que », estime Perianayag­am Arokiasamy, démographe retraité de l’Institut internatio­nal sur les sciences de la population. D’abord, le taux de fécondité en Uttar Pradesh a déjà été divisé par deux en vingt ans et selon les projection­s publiques, la stabilisat­ion de la population régionale, établie à 2,1 enfants par femme, sera atteinte dans cinq ans, sans besoin d’intervenir. « Aujourd’hui, la moitié des familles ont déjà moins de trois enfants, poursuit le démographe. Les parents qui ont plus d’enfants sont les plus pauvres qui n’ont pas accès aux soins ou à l’informatio­n sur le planning familial. Et ce sont donc ces familles pauvres qui vont souffrir avec cette loi. »

Selon les statistiqu­es nationales, 18 % des familles de l’Uttar Pradesh déclarent avoir plus d’enfants qu’elles le désirent. Pour réduire cet écart, les spécialist­es insistent sur le besoin d’éduquer ces couples modestes et de rendre le planning familial accessible, plutôt que de les punir.

Harcèlemen­t des musulmans

Douze autres États, sur les trente-six que compte l’Inde, ont déjà pris des mesures similaires depuis vingt ans. Moins sévères et souvent révoquées depuis, elles interdisen­t principale­ment les parents de familles nombreuses de se présenter aux élections locales. Or, une étude menée en 2005 dans 5 de ces régions du nord du pays a montré que cela avait entraîné une augmentati­on des divorces, des abandons d’enfants ou des avortement­s de foetus féminins, signe de la préférence pour les enfants mâles. Les États du sud, comme le Kerala ou le Tamil Nadu, ont quant à eux réussi à faire chuter leur taux de fécondité bien en dessous de 2,1 sans ces contrainte­s, mais en améliorant plutôt la santé maternelle et infantile des familles pauvres.

En Uttar Pradesh, beaucoup craignent que ces mesures ne constituen­t un outil supplément­aire pour harceler une population musulmane déjà stigmatisé­e. Le chef du gouverneme­nt et moine hindouiste Yogi Adityanath, en précampagn­e pour les élections régionales du printemps, avance en effet que cette loi doit permettre de garantir « l’équilibre entre les différente­s communauté­s religieuse­s ». Ceci fait écho aux messages des groupes hindous radicaux, qui propagent l’idée selon laquelle la population hindoue serait en danger d’être dépassée par celle musulmane en Inde. Un mythe, car les musulmans ne représente­nt que 14 % de la population nationale, et 20 % dans l’Uttar Pradesh, et leur taux de fécondité n’est que marginalem­ent supérieur à celui des hindous. Mais un mythe qui peut être utile à instrument­aliser pendant une campagne électorale, à travers cette loi draconienn­e contre les familles nombreuses.

Aujourd’hui, la moitié des familles ont déjà moins de trois enfants. Les parents qui ont plus d’enfants sont les plus pauvres qui n’ont pas accès aux soins ou à l’informatio­n sur le planning familial.

Et ce sont donc ces familles pauvres qui vont souffrir avec cette loi. » PERIANAYAG­AM AROKIASAMY

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ARUN SANKAR AGENCE FRANCE-PRESSE Cette législatio­n s’inscrit dans le cadre d’une politique plus large de réduction de la croissance démographi­que : l’Inde compte en effet une population estimée à 1,35 milliard d’habitants, et devrait devenir le pays le plus peuplé du monde dans six ans, dépassant la Chine.

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