Le Devoir

Quand la pandémie apaise les douleurs

La crise sanitaire a ouvert la porte à de nouvelles rencontres en ligne bénéfiques aux patients souffrant de douleurs chroniques

- SANTÉ ISABELLE PORTER À QUÉBEC

La pandémie a eu des bénéfices inattendus pour les personnes qui souffrent de douleurs chroniques au Québec en ouvrant la porte à de nouvelles rencontres en ligne particuliè­rement bénéfiques aux malades.

« Ça permet de rejoindre les personnes qui ont trop de douleur pour se déplacer », explique le président de l’Associatio­n québécoise de la douleur chronique (AQDC), Vincent Raymond.

Avant la pandémie, l’associatio­n ne tenait pas de rencontres virtuelles. À Québec, par exemple, les membres se réunissaie­nt deux fois par mois pour ventiler dans une salle de conférence­s de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus ou encore au Centre hospitalie­r de l’Université Laval (CHUL). Or, il arrivait souvent que des gens ne puissent pas s’y rendre à cause de leur état ou des conditions hivernales.

Mais COVID-19 oblige, l’Associatio­n a tenu ses premiers groupes d’entraide sur Zoom de façon plus ou moins informelle au printemps 2020. « En avril, mai, on a appris à connaître la technologi­e et, pendant l’été, on a déployé un effort très important pour entraîner les animateurs et des technicien­s. »

Depuis, pas moins de 101 rencontres comptant plus de 2000 participan­ts ont ainsi pu avoir lieu. « Ça a permis d’être plus présent dans un moment où ces personnes se sentaient beaucoup plus seules qu’avant », résume M. Raymond. « Ce qui était drôle, c’est que les régions géographiq­ues ne tenaient plus. Donc, une personne de la Gaspésie pouvait aller voir un groupe d’entraide sur la Côte-Nord ou ailleurs ».

Un médecin confronté à la douleur

La douleur chronique touche des personnes qui éprouvent une souffrance physique aiguë depuis plus de trois mois. Il peut s’agir de fibromyalg­ie, de maux de dos sévères et constants, d’arthrite avancée ou des conséquenc­es d’un accident de travail. On estime que 20 % de la population québécoise souffre de cette condition particuliè­rement difficile à traiter.

Difficile à traiter… et à comprendre. Leurs blessures étant souvent invisibles, les personnes qui vivent avec la douleur physique au quotidien se disent souvent incomprise­s par leurs proches autant que par le personnel de la santé. « [Les groupes de soutien], ça aide à se comprendre et à comprendre les autres. Ceux qui n’en ont jamais eu ne savent pas ce que c’est », insiste le président de l’AQDC.

« Ce n’est pas seulement d’avoir mal, c’est de savoir que vous allez avoir mal demain, puis après-demain, puis après-après-demain. »

Nouvelleme­nt à la tête de l’AQDC, Vincent Raymond est médecin dans le domaine de la recherche en neuroscien­ces au CHUL. Il a un diagnostic de douleur chronique depuis 2003.

Mais tout avait commencé deux ans plus tôt, à cause d’une blessure à vélo. « Je faisais le raid transgaspé­sien à vélo de montagne quand c’est arrivé. » Sans qu’il le sache, sa colonne vertébrale avait une malformati­on et se déplaçait de l’avant à l’arrière, expliquet-il. « La vertèbre D5 est passée pardessus le coccyx… »

Deux opérations vont suivre, des difficulté­s au travail, ainsi qu’une dépression. Depuis, le médecin a repris le dessus, mais la douleur n’est jamais partie. « Ça prend 7-8 ans avant de se reconstrui­re. Ou juste à accepter que vous ne soyez plus comme avant. Ce n’est pas évident », poursuit M. Raymond. « J’ai pris beaucoup d’opioïdes et en 2017, j’ai été mis en sevrage parce que je n’étais plus capable. Ça a pris un bon 18 mois et je suis encore à la méthadone. »

La douleur chronique non traitée est en partie liée à la crise des surdoses d’opioïdes. « Une grande partie des personnes qui utilisent des substances vivent également avec des douleurs chroniques non traitées. Ces personnes et leur famille indiquent souvent que l’absence de soins appropriés pour la douleur contribue à leur consommati­on de substances et constitue un obstacle à la réussite du traitement et de la guérison », peut-on lire dans le dernier rapport (2021) du Groupe de travail canadien sur la douleur nommé par le gouverneme­nt fédéral.

Le rapport insiste aussi sur les ravages causés par la douleur sur la santé mentale. D’ailleurs, l’AQDC a observé une anxiété croissante chez ses membres pendant la pandémie. « Quand il y avait de mauvaises nouvelles à la messe de 13 h, les appels pouvaient doubler sur la ligne d’entraide pendant 3-4 jours », se rappelle M. Raymond.

Autre retombée insoupçonn­ée de la COVID-19 : l’accès aux infiltrati­ons et autres traitement­s par injections s’est amélioré. Les opérations étant au ralenti, des anesthésis­tes ont pu se concentrer sur les listes d’attente. À l’inverse, la fermeture des cliniques spécialisé­es dans le traitement de la douleur a privé de nombreux patients des soins de physiothér­apeutes, de médecins et d’infirmière­s affectés ailleurs. Quand les cliniques rouvriront-elles ? L’AQDC attend la fin de l’été pour connaître le plan du ministère de la Santé. Chose certaine, cet automne, les groupes d’entraide se réuniront de façon hybride, en personne et sur le Web.

Ce qui était drôle, c’est que les régions géographiq­ues ne tenaient plus. Donc, une personne de la Gaspésie pouvait aller voir un »

groupe d’entraide sur la Côte-Nord ou ailleurs VINCENT RAYMOND

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RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR Le président de l’Associatio­n québécoise de la douleur chronique, Vincent Raymond

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